Middle East Eye
Les problèmes de corruption de
Netanyahou ?
Ce sont les Palestiniens
qui en paieront le prix
Danny Rubinstein
Lundi 19 février 2018
Les mesures
engagées pour inculper le Premier
ministre israélien pour corruption
pourraient le pousser encore plus dans
les bras de la droite nationaliste, ce
qui risque d’aggraver la situation des
Palestiniens
En tant que
journaliste israélien chevronné qui
écrit au sujet des Palestiniens
quasiment depuis la fin de la guerre des
Six Jours, je souhaite témoigner du fait
que depuis quelques semaines, les
Palestiniens affirment n’avoir jamais
connu pire situation.
Et celle-ci
s’est encore aggravée à la suite du
tremblement de terre politique provoqué
par la recommandation formulée par la
police israélienne d’inculper Benyamin
Netanyahou pour corruption. Plus le
statut de Netanyahou sera précaire, plus
il devra compter sur sa base
traditionnelle, à savoir la droite et
les colons. Et ce sera aux Palestiniens
d’en payer le prix. Pour expliquer la
relation entre Netanyahou et les
Palestiniens, nous devons revenir à un
épisode de son passé.
Lors d’une
rencontre à Jérusalem entre Israéliens
et Palestiniens, il y a quelques années,
le poète israélien Avot Yeshurun
(pseudonyme de Yehiel Perlmutter) s’est
levé et s’est adressé au poète arabe
Hanna Abu Hanna.
« Juste un
petit peu »
Yeshurun a
expliqué qu’il était venu en tant que
pionnier sur la terre d’Israël, après la
persécution en Europe, pour construire
une nouvelle société juive, une société
juste. Il a longuement parlé de sa
découverte d’une société et d’une
culture arabes qui, depuis des centaines
d’années, formaient l’avant-garde de la
civilisation mondiale. « Vous, les
Arabes, vous êtes grands et forts »,
a-t-il déclaré.
« Vous avez
eu les premières écoles de médecine au
monde, vous avez introduit l’algèbre en
Europe avec le système décimal et le
zéro, vous avez revigoré la philosophie
aristotélicienne, vous avez dirigé le
monde dans les domaines de l’art, de la
poésie, de la science, de la géographie
et de l’astronomie et vous avez
rapidement conquis l’immensité de
l’Orient ainsi que certaines parties de
l’Europe. »
« Que
voulez-vous dire par “Bougez sur un peu
de territoire” ?
Comment ça, un peu ? Je
suis né à Jaffa et toute ma famille
y
vivait depuis des centaines d’années, et
je n’ai pas bougé un peu,
j’ai beaucoup
bougé, j’ai complètement bougé.
Nous
sommes des réfugiés. Nous avons tout
perdu »
Yeshurun a
tourné les yeux vers Hanna Abu Hanna et
crié : « Voici ce que je vous demande :
bougez sur un peu de territoire, juste
un petit peu. Vous régnez de l’océan
Atlantique [le Maroc] au golfe Persique,
un territoire qui regroupe 300 millions
d’habitants ; donnez-nous un peu de
place, bougez sur un peu de territoire,
juste un petit peu ! »
Je me
souviens très bien de cette rencontre
parce que l’interlocuteur suivant était
un jeune Arabe inconnu qui s’est levé
pour faire face à Avot Yeshurun et lui
dire : « Que voulez-vous dire par
“Bougez sur un peu de territoire” ?
Comment ça, un peu ? Je suis né à Jaffa
et toute ma famille y vivait depuis des
centaines d’années, et je n’ai pas bougé
un peu, j’ai beaucoup bougé, j’ai
complètement bougé. Nous sommes des
réfugiés. Nous avons tout perdu. La
maison et le verger se sont envolés, la
famille est dispersée dans tous les
sens. C’est ça, un peu ? »
Faibles et
forts à la fois
Parmi les
Palestiniens que j’ai connus, il y a
toujours eu une tension entre leur
affiliation en tant qu’Arabes et leur
affiliation en tant que Palestiniens. En
tant qu’Arabes, ils appartiennent à une
nation immense, puissante et riche, mais
en tant que Palestiniens, ils sont
faibles et impuissants. Nous avons
récemment vécu le centenaire de la
publication de la déclaration Balfour
(novembre 1917) qui, dans la chronologie
palestinienne, est considérée comme le
début du conflit entre la Palestine et
Eretz Yisrael.
On a souvent
demandé à Yasser Arafat ce qui avait
causé le problème palestinien et sa
réponse était toujours la même :
« Nous
avons été trahis par les Arabes »
Et tout au
long de ce siècle, les Palestiniens ont
continuellement cherché l’aide du grand
et puissant monde arabe dans leur lutte
contre le Yishouv juif (la
communauté juive vivant en Palestine
avant la création de l’État israélien)
puis contre Israël. Les pays arabes ont
bel et bien essayé d’aider les
Palestiniens. Ils ont essayé pendant la
grande révolte arabe de 1936 – 1939 et,
bien sûr, pendant les guerres de 1948,
1967 et octobre 1973. Mais toutes ces
tentatives ont échoué.
On a souvent
demandé à Yasser Arafat ce qui avait
causé le problème palestinien et sa
réponse était toujours la même : « Nous
avons été trahis par les Arabes. »
Arafat pensait que les Arabes avaient
trahi les Palestiniens lorsqu’ils
avaient signé les accords d’armistice de
1949 avec Israël, puis une nouvelle fois
lorsqu’ils n’ont pas permis aux
Palestiniens de poursuivre leur lutte
populaire contre Israël.
Le camp de
réfugiés palestiniens de Chatila,
dans
la banlieue sud de la capitale libanaise
Beyrouth, en janvier 2018 (AFP)
Il a lui-même
connu la prison en Égypte alors qu’il
était étudiant au Caire. Plus tard, il a
été emprisonné au Liban ainsi qu’en
Syrie (1966) ; il a également été
persécuté en Jordanie au cours de
Septembre noir, en 1970. La raison était
toujours la même : Arafat et ses
nationalistes loyalistes palestiniens
exigeaient que les États arabes les
aident à combattre – et depuis longtemps
désormais, les dirigeants arabes
refusaient.
La « trahison
arabe » des Palestiniens se poursuit à
ce jour – plus que jamais. Prenez par
exemple l’Égypte, le plus grand et le
plus puissant des États arabes, qui a
combattu au nom des Palestiniens plus
que tout autre pays arabe. Le régime au
Caire sous le général al-Sissi est très
mal en point. La population de l’Égypte
frôle aujourd’hui les 100 millions
d’habitants. Les problèmes économiques
sont sans précédent. Une fois, au Caire,
le président Sadate nous a dit, à un
groupe d’Israéliens, qu’il comprenait
les problèmes de sécurité d’Israël.
« Vous avez toujours peur que les Arabes
vous attaquent, mais notre peur est
différente ; chaque jour, nous craignons
de ne plus rien avoir à manger le
soir. »
Outre le
terrible défi économique consistant à
nourrir une centaine de millions
d’Égyptiens, le régime du Caire est
menacé par des groupes islamistes
extrémistes. L’État islamique est actif
dans la péninsule du Sinaï ; récemment,
le groupe a lancé une attaque contre une
mosquée à l’ouest d’el-Arich et tué plus
de 300 fidèles. Le général Sissi
rencontre de gros problèmes face à
l’islam extrémiste.
Dans ces
circonstances, je peux imaginer le
président palestinien Mahmoud Abbas
(Abou Mazen) arriver pour une rencontre
au Caire avec Sissi et lui dire : « Vous
devez m’aider. Les Israéliens ont
construit 50 nouvelles unités
d’habitation dans leur colonie de Ma’ale
Adumim, procédé à des expulsions et
démoli les maisons de dizaines de
familles palestiniennes, et un soldat a
arrêté une jeune fille à Nabi Saleh,
près de Ramallah… »
La
coopération militaire et en matière de
renseignement
entre Israël et l’Égypte
est meilleure qu’elle ne l’a jamais été.
Israël aide l’Égypte dans sa guerre
contre les extrémistes
islamiques dans
le Sinaï
Dans ce genre
de scénario imaginaire quelque peu
étrange, le général Sissi pensera
qu’Abou Mazen a perdu la tête. L’Égypte
est confrontée à des questions de vie ou
de mort pour des dizaines de millions de
personnes et Abou Mazen vient parler au
dirigeant égyptien d’un parc de
mobil-homes dans des colonies. C’est ça,
les problèmes des Palestiniens ?
Dans ce
contexte, la coopération militaire et en
matière de renseignement entre Israël et
l’Égypte est meilleure qu’elle ne l’a
jamais été. Israël aide l’Égypte dans sa
guerre contre les extrémistes islamiques
dans le Sinaï. L’Égypte est devenue un
véritable allié d’Israël.
Les choses
sont similaires entre Israël et la
Jordanie, où le roi Abdallah éprouve des
difficultés à faire face économiquement
aux centaines de milliers de réfugiés
syriens et à repousser les militants
islamistes aux frontières de la Jordanie
avec la Syrie et l’Irak. La coopération
en matière de renseignement entre Israël
et Amman est un fait établi et bien
connu.
Des alliés
arabes
Et les choses
ne s’arrêtent pas là. Il existe
également une coopération politique de
haut niveau entre Israël et l’axe
saoudo-émirati. Israël, les Saoudiens et
les États du Golfe ont un ennemi
commun : l’Iran. Les Saoudiens
combattent les Iraniens au Yémen – d’où
les Iraniens lancent des missiles en
direction du territoire saoudien – ainsi
que sur le sol syrien et libanais.
Ainsi, une sorte d’alliance stratégique
a pris forme entre Israël et les États
arabes sunnites contre l’Iran chiite. Le
tout sous l’égide du président américain
Donald Trump.
Dans ce
Moyen-Orient, les Palestiniens n’ont
aucune perspective d’avenir. Absolument
aucune. Aucun pays arabe ne les aidera ;
ces pays pourraient même très bien leur
nuire. Benyamin Netanyahou et son
gouvernement le savent. Ils peuvent
faire ce qu’ils veulent aux
Palestiniens. Ainsi, le gouvernement
israélien de droite continue de
construire et de développer les colonies
en Cisjordanie.
Un
Palestinien tenant un enfant regarde des
pelles hydrauliques israéliennes démolir
un bâtiment palestinien près de la route
35, au nord de la ville d’Hébron,
en
Cisjordanie occupée, le 14 février 2018
(AFP)
Les 60 % de
la Cisjordanie qui, selon les accords
d’Oslo, sont contrôlés par Israël ont
été presque entièrement annexés par
Israël. Presque chaque semaine, nous
entendons parler de nouvelles lois ou de
nouvelles réglementations
discriminatoires à l’égard des Arabes en
Cisjordanie et en Israël. Au cours de la
semaine dernière, par exemple, une loi
spéciale a été adoptée pour accorder à
l’université de la colonie d’Ariel le
même statut que les institutions
académiques en Israël.
À propos de
Gaza, il n’y a presque plus rien à dire.
Les deux millions de Palestiniens de
Gaza sont assiégés depuis une décennie,
tandis que les Égyptiens et le régime de
Ramallah font très peu pour les aider.
Par conséquent, Gaza est au bord d’une
catastrophe humanitaire massive.
L’électricité n’est accessible que
quatre à huit heures par jour. L’eau
n’est pas potable. Le chômage approche
la barre des 50 %. L’économie se limite
aux largesses des organisations
internationales d’aide humanitaire, avec
à leur tête l’ONU, qui a récemment fait
les gros titres lorsque Trump a annoncé
son intention de réduire
considérablement son budget.
Les choses ne
vont pas si bien
La situation
des Palestiniens, comme on l’a vu,
n’avait pas été aussi mauvaise depuis
très longtemps. Nous avons affaire à une
société brisée, embourbée dans la
pauvreté et sujette à la domination
partiale de l’Autorité palestinienne
dont les membres des forces de sécurité
sont devenus, dans une large mesure, des
collaborateurs d’Israël.
Beaucoup
d’Israéliens pensent que si les
Palestiniens sont mal en point, nous, en
Israël, nous portons bien. C’est ainsi
que les choses se passent dans les
conflits à somme nulle. Mais dans notre
cas, ce n’est pas ce qui se passe.
Il y a des
cercles libéraux en Israël qui pensent
que nous sommes également mal en point.
Depuis quelque temps désormais, diverses
organisations de défense des droits de
l’homme forment l’opposition la plus
inflexible au gouvernement Netanyahou.
À LIRE : Pour l'Arabie saoudite et les
Émirats, la Palestine n'est plus une
priorité
La preuve en
est la campagne d’attaques féroces
lancée par le régime contre ces ONG.
Breaking the Silence et ses soldats
réservistes qui critiquent ouvertement
la conduite de l’armée en Cisjordanie,
mais aussi B’Tselem, Machsom Watch,
l’Association pour les droits civils en
Israël, le New Israel Fund : toutes ces
organisations existent depuis au moins
vingt ans, mais ce n’est que récemment
que le gouvernement Netanyahou en a fait
l’ennemi numéro un.
Netanyahou
jouit d’un large prestige international.
Il est invité dans les capitales
mondiales de Delhi à Varsovie, de Moscou
à Washington. Ses ennuis sont avant tout
intérieurs. Les critiques proviennent
principalement des cercles libéraux, à
l’intérieur d’Israël, qui ne peuvent
supporter la réalité de ce qui arrive
aux Palestiniens. Il soutient toujours
que toutes les critiques dirigées contre
son comportement corrompu émanent de
cercles libéraux de gauche qui cherchent
à renverser son gouvernement.
Même la
recommandation formulée par la police de
l’inculper pour corruption est
considérée par Netanyahou comme une
nouvelle tentative de coup d’État
politique des traîtres de gauche. D’où
la grande crainte que la situation
actuelle ne le pousse encore plus dans
les bras de la droite nationaliste et
vers de nouvelles mesures contre les
Palestiniens et ses ennemis de gauche.
Alors que l’emprise de Netanyahou sur le
pouvoir faiblit, les Palestiniens et la
gauche libérale en Israël risquent d’en
payer le prix.
- Danny
Rubinstein est un
journaliste et auteur israélien. Il a
précédemment travaillé pour
Haaretz, où il était analyste
des affaires arabes et membre du comité
de rédaction.
Les
opinions exprimées dans cet article
n’engagent que leur auteur et ne
reflètent pas nécessairement la
politique éditoriale de
Middle East Eye.
Photo : le
Premier ministre israélien Benyamin
Netanyahou a déclaré que son
gouvernement était « stable » et a
critiqué l’enquête policière menée
contre lui après que des inspecteurs ont
recommandé sa mise en examen pour
corruption, ce qui a suscité des appels
en faveur de sa démission (AFP).
Traduit de
l’anglais (original)
par
VECTranslation.
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