Gaza 2020 : il est si facile pour le
monde
de supprimer la souffrance des
Palestiniens
David Hearst
Un homme tient la
main de Maria al-Gazali, un bébé
palestinien de 14 mois
tué au cours
d’une attaque aérienne israélienne à
Gaza, en mai 2019 (AFP)
Samedi 11 janvier 2020
Par négligence ou
par défaut, tous les gouvernements
occidentaux sont complices d’une
expérience inhumaine : comment maintenir
plus de 2 millions de personnes à un
niveau de subsistance considéré comme
intolérable par l’ONU sans les faire
basculer dans la mort
La mémoire
éléphantesque de Google semble avoir
souffert d’amnésie après ce qui s’est
passé il y a un peu plus d’un mois
à Deir al-Balah, dans la bande de Gaza.
Pour récapituler
– parce que vous aussi, vous avez
peut-être oublié –, le 14 novembre, un
pilote israélien a largué
une bombe JDAM d’une tonne sur un
bâtiment où dormaient huit membres d’une
même famille. Cinq d’entre eux étaient
des enfants, dont deux nourrissons.
Les corps de cinq
enfants d’une même famille tués lors
d’une frappe aérienne israélienne
le
14 novembre reposent dans un hôpital de
Gaza (MEE/Atiyya
Darwish)
Au départ, l’armée
israélienne a tenté de mentir pour se
soustraire à toute responsabilité dans
le massacre de la famille al-Sawarka
(un autre membre de la famille est mort
des suites de ses blessures, ce qui
porte le total à neuf victimes). Son
porte-parole arabophone a affirmé que le
bâtiment était un poste de commandement
pour une unité de lancement de roquettes
du Djihad islamique situé dans le centre
de la bande de Gaza.
Toutefois,
comme l’a révélé Haaretz, les
informations sur la cible dataient de
plus d’un an. Les renseignements étaient
basés sur des rumeurs et personne
n’avait pris la peine de vérifier qui
vivait à l’intérieur de ce bâtiment :
ils se sont contentés de lâcher la bombe
au petit bonheur la chance.
L’armée israélienne
n’aurait pas dû se donner la peine de
mentir.
Personne n’y a prêté attention
Capables
d’identifier et de frapper des cibles
mobiles comme
Bahaa Abou al-Atta, le commandant du
Djihad islamique dans le nord de la
bande de Gaza – ou de tenter de tuer
Akram al-Ajouri, un membre de son
bureau politique à Damas –, les services
de renseignement militaire israéliens
s’avèrent dans le même temps incapables
de mettre à jour une banque de cibles
vieille d’un an.
L’armée israélienne
n’aurait pas dû se donner la peine de
mentir. Personne n’y a prêté attention.
Ni l’échange de tirs de roquettes, ni le
meurtre de la famille Sawarka n’ont fait
la une du Guardian, du New
York Times ou du Washington Post.
Le régime prévu
par Israël pour Gaza
Telle est la
situation de Gaza aujourd’hui : un siège
brutal d’un peuple oublié qui subsiste
dans des conditions qui, selon les
prévisions de l’ONU en 2012,
rendraient l’enclave inhabitable à
l’horizon 2020.
Il est inexact de
dire que le massacre de la famille
Sawarka a rencontré l’indifférence en
Israël.
Le seul rival de
Benyamin Netanyahou aux commandes du
pays est
Benny Gantz. Les Occidentaux qui se
fourvoient en prenant Gantz pour un
pacifiste simplement parce qu’il défie
Netanyahou devraient regarder
une série de vidéos de campagne que
l’ancien chef de l’armée israélienne a
publiées récemment à propos de Gaza.
L’une d’elles
commence par le genre d’images qu’un
drone russe aurait pu prendre après le
bombardement d’Alep-Est. Le niveau de
dévastation rappelle Dresde ou Nagasaki.
Il faut quelques secondes troublantes
pour se rendre compte que ces images
horribles sont une célébration – et non
une dénonciation – de la destruction.
Son message en
hébreu est sans ambiguïté pour ce qui
est considéré en droit international
comme un crime de guerre. « Certaines
parties de Gaza sont revenues à l’âge de
pierre… 6 231 cibles détruites…
1 364 terroristes tués… 3 ans et demi de
calme… Seul le plus fort gagne. »
L’indifférence
n’est pas le mot le plus juste. Cela
ressemble davantage à de la jubilation.
L’étranglement de
Gaza par Israël est antérieur au siège
qui a commencé lorsque le Hamas a pris
le pouvoir en 2007. Comme l’a indiqué
l’auteur israélien
Meron Rapoport, les dirigeants
israéliens ont depuis longtemps des
pensées génocidaires quant à ce qu’il
faut faire de l’enclave vers laquelle
ils ont chassé tous ces réfugiés
après 1948.
« L’idée est de
mettre les Palestiniens au régime,
mais
pas de les faire mourir de faim »
– Dov Weisglass,
conseiller du gouvernement israélien
« Justement parce
qu’ils suffoquent et se sentent
emprisonnés, peut-être que les Arabes
quitteront la bande de Gaza […]
Peut-être que si nous ne leur donnons
pas assez d’eau, ils n’auront pas le
choix, parce que les vergers jauniront
et se flétriront », a-t-il suggéré,
selon des procès-verbaux déclassifiés de
réunions du gouvernement publiés
en 2017.
En 2006,
Dov Weisglass, un conseiller du
gouvernement, a déclaré : « L’idée est
de mettre les Palestiniens au régime,
mais pas de les faire mourir de faim. »
Le passage
frontalier de Rafah, une soupape de
sécurité
Le temps n’a pas
atténué ni altéré ces sentiments.
Aujourd’hui, la
différence est que les dirigeants
israéliens ne ressentent plus le besoin
de dissimuler leurs pensées sur Gaza.
Comme l’a fait Gantz, ils affirment à
haute voix ce qu’ils disaient ou
pensaient autrefois en privé.
En privé, les
Premiers ministres israéliens n’ont
jamais cessé de communiquer avec le
Hamas par le biais d’intermédiaires,
principalement au sujet des échanges de
prisonniers.
Des manifestants
palestiniens fuient les tirs de gaz
lacrymogène des forces israéliennes
à
l’est d’al-Bureij, dans le centre de la
bande de Gaza, en décembre 2019 (AFP)
Tony Blair, ancien
émissaire du Quartet au Moyen-Orient, a
engagé sa propre
diplomatie en offrant au Hamas un
port maritime et un aéroport en échange
de la fin du conflit avec Israël. Cela
n’a abouti à rien.
Le passage
frontalier de Rafah est un robinet
Il
suffit de le fermer pour exercer une
pression politique sur le Hamas
Le Hamas a
indépendamment proposé une hudna
(un cessez-le-feu) à long terme et a
modifié sa
charte pour refléter un règlement
basé sur les frontières de la Palestine
en juin 1967. Mais il a refusé de mettre
hors service ses forces armées ou de les
livrer. Le Fatah et l’OLP se sont
retrouvés sur la voie de la décadence et
de l’insignifiance politique depuis
qu’ils ont chacun reconnu l’existence
d’Israël. Cela n’incite guère le Hamas
et les autres groupes de résistance à
Gaza à revoir leur position.
Avec le temps, le
va-et-vient entre palabres et guerres
ainsi que les intérêts des autres
parties vis-à-vis du siège de Gaza sont
également devenus évidents. Parfois, ces
parties ont été plus royalistes que le
roi dans leur souhait de voir Gaza et le
Hamas être mis au pas.
En 2012, sous le
règne du président Mohamed Morsi,
34 000 personnes
en moyenne franchissaient chaque
mois le passage frontalier de Rafah.
En 2014, après l’arrivée au pouvoir de
Sissi, la frontière avec l’Égypte est
restée fermée pendant 241 jours.
En 2015, elle a été fermée pendant 346
jours – ouverte pendant seulement
19 jours. Sissi a géré le poste
frontalier de Rafah quasiment comme
l’aurait fait Israël.
Le passage
frontalier est un robinet. Il suffit de
le fermer pour exercer une pression
politique sur le Hamas en refusant aux
mourants l’accès à des soins médicaux
appropriés. Il suffit de l’ouvrir pour
atténuer la pression subie par les
détenus de cette prison géante.
L’Autorité
palestinienne (AP) elle-même constitue
un troisième acteur du siège.
Selon le Hamas, depuis avril 2007,
l’AP a réduit les salaires de ses
employés à Gaza, contraint 30 000 de ses
fonctionnaires à prendre une retraite
anticipée, diminué le nombre de permis
médicaux octroyés en vue de traitements
à l’étranger, réduit les médicaments et
les fournitures médicales. Les
réductions salariales sont
incontestées.
Une expérience
inhumaine
L’effet cumulé du
siège sur l’enclave est
dévastateur.
Imaginez la
réaction de la communauté internationale
si l’on observait à Hong Kong ou New
York, deux autres territoires aussi
surpeuplés, un taux de chômage de 47 %,
un taux de pauvreté de 53 %, des classes
d’une taille moyenne de 39 élèves et un
taux de mortalité infantile de
10,5 décès pour 1 000 naissances
vivantes.
Aujourd’hui, le
fait est que Gaza doit assurément être
considérée
comme une tache humaine sur
la conscience du monde
La communauté
internationale a pris l’habitude
d’absoudre Israël de toute
responsabilité pour ses punitions
collectives et ses violations flagrantes
des droits de l’homme.
Mais aujourd’hui,
le fait est que Gaza doit assurément
être considérée comme une tache humaine
sur la conscience du monde.
Par négligence ou
par défaut, tous les gouvernements
occidentaux ont activement contribué à
sa détresse. Tous sont profondément
complices d’une expérience inhumaine :
comment maintenir plus de 2 millions de
personnes à un niveau de subsistance
considéré comme intolérable et invivable
par l’ONU sans les faire basculer dans
la mort.
Que faut-il faire
pour que cela change ? Combien de temps
allons-nous encore supprimer – comme
Google semble le faire – Gaza, ses
réfugiés et sa souffrance quotidienne de
la conscience collective du monde ?
-
David Hearstest
rédacteur en chef de Middle East Eye.
Il a été éditorialiste en chef de la
rubrique Étranger du journal The
Guardian. Au cours de ses 29 ans de
carrière, il a couvert l’attentat à la
bombe de Brighton, la grève des mineurs,
la réaction loyaliste à la suite de
l’accord anglo-irlandais en Irlande du
Nord, les premiers conflits survenus
lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie
en Slovénie et en Croatie, la fin de
l’Union soviétique, la Tchétchénie et
les guerres qui ont émaillé son
actualité. Il a suivi le déclin moral et
physique de Boris Eltsine et les
conditions qui ont permis l’ascension de
Poutine. Après l’Irlande, il a été nommé
correspondant européen pour la rubrique
Europe de The Guardian, avant de
rejoindre le bureau de Moscou en 1992 et
d’en prendre la direction en 1994. Il a
quitté la Russie en 1997 pour rejoindre
le bureau Étranger, avant de devenir
rédacteur en chef de la rubrique Europe
puis rédacteur en chef adjoint de la
rubrique Étranger. Avant de rejoindre
The Guardian, il était
correspondant pour l’éducation au sein
du journal The Scotsman.
Les opinions
exprimées dans cet article n’engagent
que leur auteur et ne reflètent pas
nécessairement la politique éditoriale
de Middle East Eye.
David Hearst is the
editor in chief of Middle East Eye. He
left The Guardian as its chief foreign
leader writer. In a career spanning 29
years, he covered the Brighton bomb, the
miner's strike, the loyalist backlash in
the wake of the Anglo-Irish Agreement in
Northern Ireland, the first conflicts in
the breakup of the former Yugoslavia in
Slovenia and Croatia, the end of the
Soviet Union, Chechnya, and the bushfire
wars that accompanied it. He charted
Boris Yeltsin's moral and physical
decline and the conditions which created
the rise of Putin. After Ireland, he was
appointed Europe correspondent for
Guardian Europe, then joined the Moscow
bureau in 1992, before becoming bureau
chief in 1994. He left Russia in 1997 to
join the foreign desk, became European
editor and then associate foreign
editor. He joined The Guardian from The
Scotsman, where he worked as education
correspondent.
® Middle East Eye
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Publié le 11 janvier 2020 avec l'aimable
autorisation de Middle East Eye
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