Palestine
L’adolescent de Gaza « arrêté » par
Israël et
ramené chez lui dans un sac mortuaire
Tareq Hajjaj
Emad
Khalil Ibrahim Shahin avait 17 ans
lorsqu’il a été capturé par l’armée
israélienne (Twitter)
Vendredi 6 décembre 2019
La mort d’Emad Khalil Ibrahim Shahin,
arrêté pour avoir franchi illégalement
la barrière israélienne, est entourée de
mystère
Par Tareq Hajjaj – GAZA, Territoires
palestiniens occupés
S’étant glissés à
travers la barrière de sécurité érigée
par Israël le long de la bande de Gaza,
Emad Khalil Ibrahim Shahin et ses amis
se sont faufilés dans une baraque
abandonnée et ont allumé un feu.
Craignant de se faire surprendre, ils
ont fui les lieux.
« Nous avons couru
jusqu’au moment où nous avons trouvé une
dune de sable derrière laquelle nous
cacher, de l’autre côté de la barrière,
mais nous avons alors remarqué qu’Emad
n’était pas avec nous. Il courait plus
lentement car il avait des béquilles »,
raconte à Middle East Eye l’un de
ses compagnons, qui souhaite rester
anonyme.
« Nous l’avons vu
au sol et lui avons dit de ramper. Mais
c’est alors qu’un véhicule militaire est
arrivé à toute allure et un soldat lui a
tiré dessus, l’atteignant à la jambe
droite. Peu après, un hélicoptère est
arrivé et l’a emmené. »
Emad Shahin n’est
revenu à Gaza que 355 jours plus tard.
Il est arrivé le 23 octobre dans un sac
mortuaire.
Aujourd’hui, sa
famille et plusieurs ONG palestiniennes
et israéliennes demandent pourquoi
l’armée israélienne a conservé le corps
de l’adolescent de 17 ans pendant si
longtemps, et comment il est apparemment
mort d’une simple blessure par balle à
la jambe.
Symbole de la
contestation
Emad Khalil Ibrahim
Shahin était le cadet de neuf enfants,
dont le père travaille en tant que
concierge dans une école, gagnant un
salaire faible mais décent.
Selon sa sœur
Monira, l’adolescent participait avec
enthousiasme au mouvement de
protestation de la
Grande marche du retour, tout comme
le reste de sa famille.
Les manifestations,
qui se tiennent tous les vendredis
depuis mars 2018, appellent les
autorités israéliennes à lever leur
blocus de la bande de Gaza, qui dure
depuis onze ans, et à autoriser les
réfugiés palestiniens – près de 70 % des
habitants de Gaza – à rentrer dans leurs
villes et villages dans ce qui est
désormais Israël.
Une fois par
semaine, on peut voir les Palestiniens
manifester tout le long de la barrière
qui sépare Israël de l’enclave côtière.
Bien que les forces israéliennes visent
surtout les manifestants près de la
barrière,
des Palestiniens se tenant bien plus en
retrait ont été également visés.
Emad
Shahin près de la frontière israélienne
avec Gaza (document fourni)
Redoutant les
snipers israéliens, Monira et les autres
proches d’Emad sont restés assez
éloignés de la barrière pendant les
manifestations. Cependant, l’adolescent
s’est approché à plusieurs reprises de
la barrière, brûlant des pneus pour
bloquer la vue des soldats qui visent
les manifestants.
Il n’a pas fallu
longtemps avant que les snipers ne
tirent dans le pied de hahin, le
17 mai 2018.
« Il s’est remis
rapidement », raconte Monira à Middle
East Eye, ajoutant qu’à peine deux
semaines plus tard, il était de retour
dans les manifestations sur des
béquilles.
« Lorsque des
photos de lui participant aux
manifestations malgré sa blessure ont
été largement partagées sur les réseaux
sociaux, il s’est senti fier. Il se
considérait comme un symbole de la
contestation. »
Vingt-et-un
vendredis plus tard, Emad s’est une
nouvelle fois fait tirer dessus, dans le
même pied. Malgré cela, il est retourné
à la marche.
Lorsqu’il s’est
fait tirer dessus pour la troisième
fois, dans l’autre pied cette fois, les
chirurgiens ont dû l’amputer de
trois orteils.
« Notre mère a
tenté de l’empêcher d’y retourner. Toute
la famille lui a dit qu’il avait fait
son devoir pour son pays et qu’il
devrait se reposer désormais », déclare
Monira.
«« Mais il a
rétorqué qu’il ne craignait pas la mort,
que la mort était inéluctable et qu’il
préférait mourir pour son pays en
résistant à l’occupation plutôt que
d’une manière inutile. »
Franchir la ligne
Le 1er/sup> novembre 2018,
Emad – claudiquant sur ses béquilles –
et deux amis ont décidé de franchir la
barrière, pour tenter d’atteindre une
baraque inoccupée de l’armée israélienne
à près de 300 mètres de l’autre côté de
la barrière, poursuit sa sœur.
D’après elle, son
objectif était de défier le siège, de
ramener un « trophée » comme la ceinture
de munitions d’un soldat ou la plaque
d’immatriculation d’une jeep.
BBien que la zone
soit très militarisée et qu’Emad fût
loin de se mouvoir librement, le jeune
Palestinien et ses amis ont atteint le
camp. À bout de souffle et excité, il a
appelé sa sœur au moment où ils se
préparaient à partir.
Une génération en
béquilles :
comment Israël a réprimé la Grande
marche du retour
Lire
« Il voulait
partager son moment de gloire. Mais je
lui ai crié dessus, lui ordonnant de
partir immédiatement avant de se faire
tuer. J’étais terrifiée », rapporte
Monira.
« Lorsqu’il est
rentré à la maison, ma mère était en
larmes, lui demandant de ne pas refaire
ça. »o:p>
Le samedi suivant,
Emad s’est réveillé tôt, annonçant à sa
mère qu’il allait faire une petite
course après le petit-déjeuner. À la
place, il est retourné à la baraque,
emportant de l’essence.
ÀÀ 16 h 30 le
3 novembre 2018, Emad s’est fait tirer
dans la jambe près de la barrière à
l’est du camp de réfugiés de Maghazi,
dans le centre de Gaza.
Selon des témoins oculaires, il a
été arrêté par un certain nombre de
soldats israéliens, qui l’ont emmené par
hélicoptère vingt minutes après,
apparemment vers le centre médical
Soroka dans le Néguev.
À partir de ce
moment-là, le sort de hahin est obscur.
Tout de suite après
la disparition de l’adolescent, sa
famille a contacté des ONG
palestiniennes et israéliennes,
cherchant désespérément des
informations.
Au début, les
autorités israéliennes ont suggéré qu’il
avait subi des blessures « modérées »,
mais le lendemain du jour où il a été
blessé, l’ONG Physicians for Human
Rights basée à Tel Aviv a annoncé sa
mort.
LLes jours suivants,
Physicians for Human Rights a insisté
pour avoir des réponses et a demandé le
rapport médical sur la mort de
l’adolescent.
« Je ne comprends pas
ce qu’Israël a fait
avec le corps d’un adolescent
palestinien pendant un an »
- Ran Yaron, Physicians for Human
Rights
Le 11 novembre, il
a été annoncé à l’ONG que les dossiers
médicaux d’Emad Shahin ne pouvaient pas
être publiés car son corps n’avait pas
été identifié. On lui a conseillé de
contacter l’Institut médico-légal
israélien Abu Kabir.
« J’ai contacté le
Dsup>r Maya Hoffmann d’Abu Kabir,
qui a essayé de localiser le corps sans
succès. On m’a orienté vers un service
d’archives », explique à MEE Ran
Yaron, de Physicians for Human Rights.
« Le service des
archives a déclaré qu’aucun corps non
identifié avait été transféré depuis
Soroka, donc nous avons présumé que
l’armée détenait le corps. »
Après cela, HaMoked,
une organisation israélienne de défense
des droits de l’homme, a demandé à
l’armée israélienne des informations sur
le corps de Shahin. Sans résultat.
« Je ne comprends
pas ce qu’Israël a fait avec le corps
d’un adolescent palestinien pendant un
an », déclare Yaron.
Interrogée sur la
mort d’Emad Shahin et sur les raisons
pour lesquelles son corps a été retenu
pendant presque un an, l’armée
israélienne a renvoyé Middle East Eye
vers le ministère de la Défense.
CContacté, le
ministère de la Défense a déclaré qu’il
s’agissait d’un sujet sur lequel seule
l’armée pouvait s’expliquer.
Décès inexpliqué
La famille d’Emad
Shahin a été dévastée d’apprendre sa
mort.
« Nous savions
qu’il allait être emprisonné, mais pas
tué », commente onira. En l’absence de
corps, la famille gardait un faible
espoir qu’il soit en vie.
LLorsque la
Croix-Rouge internationale a informé la
famille que le corps d’Emad était arrivé
à l’hôpital al-Shifa de Gaza, ils se
sont précipités pour le voir.
Les
funérailles d’Emad Shahin lorsque son
corps a enfin été restitué
par les autorités israéliennes (document
fourni)
Selon le Dr Emad Shihada, le corps a été
conservé dans de l’azote liquide pendant
une longue période.
Sans équipement
approprié pour décongeler le corps, une
autopsie n’aurait pu être pratiquée
qu’après avoir laissé la dépouille au
soleil pendant deux jours.
La famille a
préféré l’enterrer plutôt que
d’attendre, conformément à la tradition
islamique qui recommande l’enterrement
immédiat après le décès.
BBien qu’aucune
autopsie complète n’ait été pratiquée,
la famille d’Emad a constaté plusieurs
marques perturbantes sur son corps.
« Nous savions qu’il
allait être emprisonné, mais pas tué »
- Monira, sœur d’Emad Shahin
Du milieu de sa
poitrine jusqu’à son estomac courrait
une cicatrice de 15 centimètres
suggérant des points de suture. Le même
motif se répétait sur 13 centimètres en
partant du côté gauche de sa poitrine
sur les deux côtés.
Ces mystérieuses
incisions ont fait penser à la famille
d’Emad que ses organes avaient été
prélevés pour trafic, une pratique
notoire qu’Israël
tente d’éradiquer depuis 2008.
Selon le Dsup>r
Shihada, cependant, il est possible que
le corps ait été ouvert par des médecins
pour tenter de stopper une hémorragie
interne.
Un examen externe a
montré que Shahin s’était fait tirer
dessus trois fois dans la jambe droite.
Si une ou plusieurs des balles ont
sectionné l’artère fémorale, provoquant
une hémorragie qui n’a pas été traitée
dans les quinze minutes, cela aurait pu
causer sa mort, explique le médecin à
MEE.
«« Emad n’était
qu’un adolescent », déclarée Monira.
« Israël aurait pu le soigner après son
enlèvement. Mais ils ne l’ont pas fait.
Ils l’ont tué. »
Rétention des corps
Selon le
centre al-Mezan pour les droits de
l’homme, les autorités israéliennes
retiennent toujours les corps de
quinze palestiniens de la bande de Gaza
tués depuis le 30 mars 2018, dont
deux enfants.
Bien que la famille
d’Emad Shahin ait patienté pendant près
d’un an pour que le corps de
l’adolescent leur soit rendu, les autres
familles palestiniennes qui sont dans
l’incertitude pourraient ne jamais
récupérer les corps de leurs proches.
« Ma fille a été
prise pour cible » : Gaza pleure la
secouriste tuée par Israël
Lire
La semaine
dernière, le ministre de la Défense
Naftali Bennett a ordonné que tous
les corps des palestiniens conservés par
Israël ne soient pas rendus à leur
famille, y voyant un « moyen de
dissuasion contre le terrorisme ».o:p>
Israël est le seul
pays au monde qui applique une politique
de confiscation des dépouilles, sur la
base d’une loi
remontant à 1945, pendant le mandat
britannique.
La mort d’Emad
Shahin et la menace d’une arrestation
israélienne n’ont toutefois pas dissuadé
Monira et sa famille de participer aux
manifestations de la Grande marche du
retour.
« La résistance est
le seul moyen de libérer notre terre »,
affirme Monira. « Et nous y allons aussi
désormais pour honorer Emad. Dorénavant,
toute la famille est prête à mourir pour
vaincre l’occupant. »
TrTraduit de
l’anglais (original)
par
VECTranslation.
® Middle East e
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Publié le 6 décembre 2019 avec l'aimable
autorisation de Middle East Eye
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