Palestine
Dans l’effrayant silence des
« démocraties »,
des milliers de prisonniers politiques
Michèle Sibony
Dimanche 9 juillet 2017
Michèle Sibony - juin 2017
Le 4 juin dernier, quelques jours après
la fin de la grève de la faim de 40
jours conduite par 1500 prisonniers, au
théâtre arabe-juif de la Saraya Saraya [1]
de Jaffa était organisée une soirée sur
les prisonniers politiques palestiniens,
par des militants de Balad/tajamo le
parti du front démocratique national
membre de la liste arabe unie. Présentée
par Orly Noï la soirée montrait des
extraits d’un court-métrage intitulé
« les cahiers des prisonniers » une
quinzaine d’extraits environ où des
lecteurs lisaient des lettres de
prisonniers, alternant avec des
interventions sur ce qui constitue a
rappelé Orly Noï dans son introduction,
avec 800 000 palestiniens passés par les
prisons israéliennes depuis la création
de l’État, et 6500 aujourd’hui, hommes
femmes et enfants, non seulement un
problème politique, mais aussi un
véritable problème social.
Elle a aussi
signalé les pressions exercées contre
l’événement, et le fait que la pièce de
théâtre « prisonniers de l’occupation »
de Einat Weitzman qui était sélectionnée
au festival de théâtre de Akko venait
d’être déprogrammée sur pression du
ministère de la culture. Effectivement
en arrivant sur les lieux, on pouvait
voir plusieurs voitures de police en
amont et aval du petit théâtre et des
policiers postés en surveillance.
Orly Noï commence
donc par rendre hommage au courageux
théâtre qui recevait juste avant Ishaï
Menuhin de Yesh Gvul pour la sortie de
son livre sur les 50 ans de
l’occupation. Salle comble, et gens
debout. Mais la plupart se connaissent,
militants de la première heure et de
toutes les manifestations.
Dès la lecture de
la première lettre on est pris à la
gorge, par ce que le prisonnier décrit à
son épouse, son arrivée dans un cube de
béton de 2m sur 1 sans fenêtre ni
toilettes ni eau. Il est emmené une fois
par jour aux wc et faire sa toilette, le
reste du temps il dispose de bouteilles
en plastique pour uriner. Il raconte son
envie de pleurer, les larmes qui montent
et qu’il refoule. Parce que dit-il, les
larmes sont un acte social qui nécessite
quelqu’un pour les recevoir. Mais qu’en
faire dans cette solitude.
Noam Rotem [2]
intervient ensuite pour évoquer
l’histoire, les luttes de prisonniers
célèbres, Bobby Sand, Mandela Ghandi il
donne les années de prisons pour chacun
d’eux : impossible de dissocier les
prisonniers des guerres de libération de
terroristes emprisonnés ils sont devenus
les héros de la libération. Il conclut
par la nécessité d’un appel à la
libération de tous les prisonniers
politiques.
Et puis la lecture
des lettres se poursuit, la description
des visites où la famille directe
uniquement peut être reçue deux fois par
mois, réduites à une fois d’où la grève
récente, à travers une vitre on se parle
au téléphone, un enfant qui pleure et
refuse d’entrer. Les familles qui font
parfois un très long voyage, se lèvent à
3h du matin quand elles ont l’argent
nécessaire pour prendre le bus qui les
déposera des heures plus tard devant la
prison. Elles attendent des heures
parfois toute la journée sans être
certaines de pouvoir entrer. Aucun
aménagement extérieur, ni abri contre la
chaleur dévorante ou la pluie battante,
ni banc ni toilettes, pas d’eau, rien.
Une fois il faisait si froid qu’elles
ont allumé un feu pour se réchauffer.
L’un évoque la
sinistre Posta, la voiture qui sert à
déplacer les prisonniers, lors des
transferts changement de prison,
tribunal ou hôpital. À l’intérieur la
posta est cloisonnée en cellules
métalliques individuelles, où le
prisonnier est assis des heures, pieds
et poings liés, sans pouvoir bouger par
une chaleur extrême, pas d’accès
possible aux toilettes. 3 ou 4 h avant
que la Posta ne démarre, pareil à
l’arrivée. La Posta est vécue comme une
torture de plus. Parfois les prisonniers
refusent le déplacement à l’hôpital par
crainte d’affronter l’épreuve.
Un autre encore,
depuis 20 ans en prison évoque le temps
parallèle dans lequel sa vie s’écoule :
je suis emprisonné depuis avant la chute
du mur de Berlin, avant les téléphones
portables, avant les guerres du golfe,
avant les deux Intifada.
Et puis Sana Salamé
l’épouse de Walid Bak’a emprisonné
depuis 35 ans prend la parole.
Elle parle de ceux des prisonniers qui
ne viennent pas des territoires occupés
ou de Gaza, et qui sont considérés comme
des israéliens, donc n’ont bénéficié
d’aucune des négociations et aucun des
acquis des prisonniers ne leur est
octroyé. Pas d’échange de prisonniers
pour eux, mais aucun des droits accordés
aux prisonniers juifs non plus. Il y a
des années de cela son mari et elle
avaient demandé le droit à l’union pour
pouvoir avoir un enfant, on leur avait
alors proposé une fécondation in vitro.
Ils avaient refusé pensant qu’ils
gagneraient la bataille avec le temps.
Des années plus tard ils ont accepté
mais trop tard, cela a été refusé. (Ygal
Amir l’assassin de Itzkhak Rabin a
bénéficié, lui, de l’union et fondé une
famille en prison) .
Elle lit une lettre
de Walid écrite à ses 31 ans de prison,
il avait alors 56 ans, « à un enfant qui
n’est pas né » qu’est ce qui est plus
fou interroge-t-il ? Écrire à un enfant
qui n’est pas né ? Mon enfant qui n’est
pas né, tu as un dossier à la sécurité.
Basel Ghattas
député de Balad -Tajamo, qui a
démissionné après son arrestation pour
avoir remis des téléphones portables à
des prisonniers lors d’une visite à la
prison de Kztiot dans le Negev, a
négocié selon la règle en usage ici du
plea bargain, en échange de sa
reconnaissance des faits sa condamnation
à 2 ans de prison ferme au lieu des dix
qu’ils risquaient. Une peine qu’il
effectuera dès le 2 juillet prochain.
Très ému il
explique que même la gauche antisioniste
ne peut vraiment appréhender ou
concevoir l’infinie cruauté de ce
rapport de l’être humain seul confronté
à une administration pénitentiaire toute
puissante et qui l’écrase. Il évoque des
situations de prisonniers rencontrées
pendant son mandat électif. Un
prisonnier de 27 ans, à qui le seul
droit de visite accordé était pour sa
sœur. Il a aussi une sœur adoptive, la
visite a été refusée pendant des mois,
avant d’être accordée suite aux
interventions des députés. Ces derniers
rappelle -t-il ne peuvent avoir à faire
qu’aux prisonniers citoyens d’Israël.
Il raconte cette
femme âgée qui obtient enfin le droit de
visite pour son fils, effectue un trajet
incroyablement long, et à l’arrivée elle
n’est pas sur les listes et doit
repartir. Un prisonnier diabétique et
qui a subi plusieurs opérations du cœur.
Les médecins ont recommandé qu’il porte
une certaine marque de chaussures de
sport. Mais la « cantina » le magasin
(le seul) où les prisonniers peuvent
acheter avec la cagnotte que leur verse
l’autorité palestinienne (400 shekels
par mois = 100 euros) n’a pas ces
chaussures, huit ans de lutte pour
obtenir qu’il puisse les avoir. C’est
une véritable violence de l’appareil
d’occupation exercée contre l’individu
qui lui est livré martèle Basel.
Il raconte un
dialogue récent avec Walid Dak’a au
téléphone : « c’est un jour exceptionnel
sais-tu pourquoi ? » lui dit-il. C’était
le lendemain de l’élection de Trump aux
États-Unis, il suggère donc : Trump ?
Walid rigole doucement, j’étais sûr que
tu allais dire çà, non, c’est un jour
exceptionnel parce que pour la première
fois, en trente ans j’ai pu voir la lune
dans le ciel.
De sa rencontre
récente avec Marwan Barghouti il
rapporte : la requête centrale, majeure,
la principale, la plus importante dans
la dernière grève, c’est le téléphone.
Le comité de grève a proposé un
téléphone public installé dans la
prison, un seul numéro possible par
prisonnier, et ils peuvent enregistrer
la conversation. Une requête a déjà été
effectuée il y a trois ans auprès des
autorités avec Jamal Zahalka. Les
sécuritaires comme les droits communs
juifs ont tous accès au téléphone.
Basel remercie
Einat pour avoir ramené les familles de
prisonniers sous la lumière, toute leur
vie tourne autour du prisonnier, 1x par
15 jours, 45 mn c’est le rythme de la
visite accordée à la famille du premier
degré. On sort à minuit en bus dans le
nord, et on atteint la prison de Ramon
au cœur du Negev à 6h du matin. Il y a
des mères qui ne peuvent même pas se
payer le billet et rendre visite à leur
fils.
Toutes les visites
effectuées par les députés palestiniens
d’Israël, rappelle-t-il, ne concernent
que les prisonniers de 48. Ils auraient
pu tous être libérés par les accords
d’Oslo en 96, mais pas eux, cela a été
refusé parce qu’ils étaient citoyens
d’Israël.
On vous a parlé de
la Posta, mais la posta c’est le paradis
à côté de ce qui s’appelle en hébreu le
maavar, passage, équivalant du dépôt
français, où les détenus lors de
déplacements doivent parfois passer la
nuit voire plusieurs nuits par exemple :
un détenu part mercredi de Ramon pour
une visite le jeudi à l’hôpital Soroka à
Beersheba, donc une nuit au maavar, et
après la visite il repasse au dépôt mais
c’est l’entrée du week end et, il devra
y attendre le dimanche matin pour
reprendre la posta. L’état d’insalubrité
effroyable des est tel que les
prisonniers le craignent comme la pire
des tortures. Et parfois ils en arrivent
aussi à refuser les déplacements pour
des soins pour l’éviter.
Pourquoi j’ai fait
entrer des téléphones en prison ? Dit-il
soudain plus grave, parce que c’est moi,
c’est mon caractère. Le poète arabe dit
que chacun connaît les chemins du
courage et de la générosité du cœur,
mais les chemins du caractère... Je ne
regrette pas de l’avoir fait.
En sortant de cette
rencontre, avec quelques Palestiniens de
jaffa et quelques juifs amis, nous
traversons l’ancien cœur de la ville. La
Saraya se trouve dans la vieille ville
de Jaffa littéralement momifiée,
coquille de pierres sans vie, quelques
boutiques pour touristes, très tôt après
la naqba les anciennes maisons arabes
ont été cédées à des artistes
israéliens... des musées nos amis
hésitent et se perdent, une femme
interroge en montrant les maisons de
pierre aux volets clos, mais il y a des
gens qui habitent là ? Étrangers dans
leur ville, je demande quelle part de la
population de la ville constituent les
Palestiniens : 20%.
La plupart des
choses obtenues notamment sur le droit
de visite étaient le rétablissement de
la situation antérieure qui avait été
réduite par souci punitif. Les
prisonniers et leur traitement ne sont
que le reflet de l’attitude globale
d’Israël vis à vis des Palestiniens. Le
terme prisonnier de sécurité adopté ici
dans le langage, adhère totalement à la
thèse sécuritaire de l’état, lors que
c’est le terme de prisonniers politiques
qui devrait s’imposer.
Dans l’emballement
actuel qui considère tout palestinien
comme un danger intérieur menaçant la
sécurité de l’état, il est nécessaire de
qualifier correctement les personnes.
On perçoit aussi le sens dans le
contexte global du tout sécuritaire de
la désignation systématique d’Israël
comme une démocratie. Traduire : si une
démocratie peut faire tout cela, alors
nous aussi la mère des démocraties
pouvons le faire, et d’ailleurs nous le
faisons.
Quelques mots
dérisoires donc, pour dire le dégoût
qu’inspire l’information-désinformation
dont bénéficient les masses. Pour dire
l’infinie solitude dans laquelle chaque
prisonnier-e de 13 à 99 ans doit
affronter la machine pénitentiaire à
broyer le Palestinien, qu’elle n’a
réussi ni à expulser ni à tuer. Pour
rappeler que les prisonniers sont les
résistants de l’occupation, quelles que
soient les charges, de la lutte armée,
au simple fait d’aller à l’école, au
travail, ou d’être juste un passant,
tous sont coupables d’exister et d’être
là, sur leur terre - Comment
pourraient-ils l’appeler autrement ?-
Ceux qui sont en prison constituent de
fait la première ligne du front de la
résistance à l’occupation et ses
violences multiformes. Ils méritent une
solidarité internationale active, qui
amplifie leurs voix étouffées par les
barreaux des prisons israéliennes, mais
aussi par la plupart de nos médias.
[1] signifie
château en turc, c’était le premier
bâtiment du gouvernorat civil ottoman de
Jaffa
[2] Noam
Rotem est un militant israélien,cadre
high tech , et blogueur dans le journal
en ligne Local Call, ses articles sont
traduits en anglais sur le site 972
Le dossier des prisonniers palestiniens
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