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Virus...Blocus
Michel Raimbaud

Michel
Raimbaud
Vendredi 27 mars 2020
Nous sommes des mille et des millions à
goûter aux plaisirs du confinement.
C’est la faute à ce virus crochu,
invisible mais omniprésent, qui guette
ses victimes tapi dans leurs voies
respiratoires, réveillant les peurs
ancestrales. Sages ou craintifs, les
citoyens acceptent les règles nouvelles,
appréhendant ce que sera l’après.
Revisité, le temps d’avant était un
paradis : c’était il y a un mois, il y a
quinze jours, c’était hier.
Ils seront
innombrables, en France et dans cette
vieille Europe devenue le foyer du
virus, à faire des comptes et à en
demander, à proposer des priorités pour
réparer les dégâts. Avant d’entamer
toute réflexion, il conviendra de
réviser les idées reçues que les
évènements ont fait voler en éclats et
d’en tirer des leçons. Puissent les
mesures prises dans une situation
d’exception ne pas être fatales à une
certaine exception française.
L’Euro-Amérique
n’est plus le « coeur » du monde, ayant
perdu sa suprématie globale et son
magistère intellectuel et moral.
Difficile à gober pour un béotien comme
l’oncle Donald, suprématiste hors pair,
et pour les clients de l’idéologie
occidentaliste. Si certains ont évoqué «
la mort cérébrale » ou « le déclin de
l’Occident », ce sont de simples éclairs
tant est enracinée la conviction
nombriliste. Il reste que l’épisode du
coronavirus aura ruiné irrémédiablement
l’image de l’Amérique et de l’Europe, où
la pandémie a établi ses quartiers.
C’est en effet auprès de l’Organisation
de Coopération de Shanghai (Chine,
Russie et alliés asiatiques) que la
plupart des pays, alliés y compris,
auront cherché appui.
Accusée par Trump
d’être le responsable de la pandémie (le
« virus chinois »), la Chine, premier
pays à avoir su juguler l’effrayant
fléau, est sollicitée par le reste du
monde. Forte du prestige que lui vaut sa
gestion – un brin idéalisée - de la
crise et désormais surpuissante, elle
affirme son nouveau leadership. Qu’il
s’agisse de l’Italie, abandonnée en
première ligne sur le front coronique
par ses partenaires européens, ou de la
France, durement frappée, l’aide en
matériel et en personnel de l’Empire du
Milieu n’est pas passée inaperçue…
La Russie a lancé
elle aussi des opérations de secours,
envoyant vers l’Italie, par
avions-cargos, du matériel de dépistage
et de désinfection, tandis que son armée
de l’air acheminait huit brigades
mobiles de médecins et une centaine de
virologues et épidémiologistes.
L’Institut moscovite de dépistage du
Corona annonce l’envoi d’une assistance
d’urgence à seize pays : les membres de
l’Union Economique Eurasienne (ex-URSS),
mais aussi l’Iran, l’Egypte, le
Venezuela, la Corée du Nord, la
Mongolie. La Serbie a choisi elle aussi
de faire appel à Moscou et Pékin.
Cet investissement
des deux grands de l’Eurasie dans une
action d’urgence aura eu un impact
considérable. Médiatisation ? Ni plus ni
moins que les « grandes démocraties »
naguère. Que pourraient bien médiatiser
nos médias de révérence, sinon l’absence
de toute solidarité des Etats
occidentaux, la vanité de leurs leçons
de morale, leur acharnement à poursuivre
des guerres illégales ou « invisibles »,
et la fin du monopole « atlantiste »
dans le domaine humanitaire, cheval de
bataille pour l’ingérence. Le mainstream
aura été à la hauteur de sa réputation,
le dépit portant d’ailleurs à ressasser
les mensonges les plus éculés sur les «
pays qui fâchent » (Syrie, Iran, Russie,
Chine) !
Dans le même temps
et autre signe des temps, l’Amérique est
défiée jusque dans son ex-arrière-cour,
son ignominie et son impuissance étant
affichées à la face du monde. Après
soixante ans de sanctions, Cuba est
toujours debout et a développé une
médecine de pointe : le 16 mars, à la
demande de Londres, on y accueillait
sous les acclamations un navire de
croisière (MS Braemar) et sa cargaison
de passagers occidentaux ailleurs
indésirables (dont 5 « positifs » et 40
à l’isolement). La Havane a envoyé par
ailleurs une mission médicale en Italie.
Des sots s’en étonneront, mais les
gestes ne s’oublieront pas, n’en
déplaise aux esprits chagrins.
Le Venezuela,
provocation permanente, est frappé par
la pandémie. Une occasion minable
d’exhiber un acharnement « viral ».
C’est sous forme de sanctions
meurtrières et dévastatrices que se
manifestent les attentions de Washington
: le coût des dépistages se trouve
propulsé à des niveaux exorbitants.
Valet fidèle, le FMI a refusé le prêt
demandé par Caracas : Maduro manquerait
de légitimité. Selon les experts
onusiens, de telles sanctions «
s’apparentent à une action génocidaire »
et leurs « architectes » devraient être
poursuivis et emprisonnés à vie, du
moins « dans un monde décent ». Il ne
l’est plus, depuis belle lurette.
Le comportement
criminel de l’Amérique et des « grandes
démocraties s’est inscrit dans le
paysage à partir de 1991, tandis
qu’émergeait le paradigme d’une «
communauté internationale » réduite aux
laquais. C’est à la résignation de
ceux-ci, à leur aveuglement idéologique
et à leur complicité qu’une « troïka »
pervertie doit sa capacité de nuisance.
Bien que le premier véto russo-chinois
contre une ingérence militaire en Syrie,
en octobre 2011, ait stoppé les élans de
l’arrogant triumvirat, celui-ci a de
beaux restes et de malfaisants relais.
Un demi-siècle
après sa naissance « sous X », la «
théorie du fou » de Nixon et Kissinger,
loin d’être la touche folklorique d’une
« géopolitique racontée aux grands
enfants », est pour l’Occident une clé
essentielle du Grand Jeu. Eructant au
milieu de sa cour des miracles, le
gangster à la mèche jaune a fait des
adeptes au Moyen-Orient. Avec
Netanyahou, bourreau des Palestiniens et
complice d’une « transaction »
ignominieuse, Erdogan l’hystérique
Mamamouchi, et Mohammed Ben Salman, qui
rêve de transformer l’Arabie en
Disneyland ou en lupanar, voilà cet OVNI
maléfique en mesure d’instaurer un chaos
sans fin au centre de « la ceinture
verte », à l’ombre de la nouvelle peste.
Ce qu’écrit Doug
Bandow le 22 mars dans The American
interest vaut son pesant d’encre : «
Le coronavirus signifie que l’Amérique
est brisée. Trump devrait sortir de
l’enfer syrien », « le Moyen-Orient a
perdu sa signification stratégique »,
les deux craintes majeures ayant disparu
: (1) « Personne ne menace de conquérir
le pétrole dont dépend l’Occident », (2)
« Personne ne menace la survie d’Israël,
superpuissance régionale ». Mon Dieu, si
c’était vrai ? Aux doux rêveurs, on
rappellera que l’Amérique s’acharne à
mener en Syrie une guerre « invisible et
sans fin » pour interdire la paix et la
reconstruction, qu’elle maintient une
occupation illégale à l’est de
l’Euphrate, pour « contrôler le pétrole
syrien » (sic dixit Donald).
Agressée par une
coalition hybride où se retrouvent les
membres de l’OTAN, les forces de
l’islamisme dévoyé et une multitude de
comparses, la Syrie est frappée depuis
2011 par une pléthore de sanctions
infâmes et sadiques, dans l’indifférence
quasi-générale...Rappelons que les
sanctions (commerciales ou financières)
ont pour but d’empêcher un Etat de
fonctionner et d’étrangler son économie.
Elles ont entre autres pour résultat
d’interdire les importations de
médicaments et matériels sanitaires, et
de rendre impossibles la réparation des
équipements. Ce qui est dramatique pour
un pays dévasté comme la Syrie.
Comment des Etats
peuvent-ils se prétendre « civilisés »
alors qu’ils n’ont pas le courage de
briser l’omerta, loi des mafieux. Exiger
une levée immédiate des sanctions ne
suffit pas. Chaque pays peut prendre la
décision, seul ou dans un cadre
collectif. Il y a urgence : la Syrie
entre dans sa dixième année de guerre et
on peut s’inquiéter de l’impact que
pourrait avoir le corona, déjà présent
dans la région. En effet, la pandémie ne
saurait occulter les menées criminelles
des alliés de Washington : Israël
responsable du confinement massif des
Palestiniens, notamment à Gaza ; Erdogan
et son chantage au « lancer » de
réfugiés vers l’Europe, nul ne se
souciant des malheureux migrants piégés
par les frontières fermées.
Il faut également
lever le siège criminel imposé par
l’Amérique à l’Iran. Résistant depuis
quarante aux sanctions imposées à
l’instigation de Washington et confronté
à la ré-escalade engagée par Trump
depuis son retrait illégal du traité
nucléaire, il y a deux ans, l’Iran
figure en outre parmi les Etats les plus
menacés par la pandémie. L’interdiction
de commercer en dollars revient à lui
interdire tout achat de médicaments et
d’équipements sanitaires, alors qu’il
est économiquement étranglé (Téhéran
aurait demandé un prêt d’urgence de cinq
milliards de dollars au FMI). Il s’agit
pour l’Amérique de le soumettre. Si dans
un accès de sagesse les Européens
viennent en aide à l’Iran, ils
rachèteront un peu la communauté des «
chefs d’Etat du monde » auxquels en
appelle Ruhani : L’Amérique n’est pas
seulement responsable de la mort d’un
iranien toutes les dix minutes, elle
menace la vie du monde. Téhéran et Qom
ne sont pas si loin de Paris, Londres et
New-York. « Vous êtes des
insolents, des oppresseurs, des
terroristes » : seuls blâmeront Ali
Khamenei d’avoir ainsi stigmatisé les
dirigeants américains ceux que la vérité
blesse./.
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