Actualité
Un camouflet de douze millions
Michel Onfray
©
W.Simitch/Capa Pictures pour Public
Sénat
Vendredi 26 avril 2019
Source :
Michel Onfray
Le Grand Débat de
Macron, qui a duré six mois, a coûté 12
millions d’euros. Il avait été précédé
par une annonce pour une fois tenue: ce
débat aura lieu, avait-il été dit, mais
le cap ne changera pas. Pour une fois
qu’un président de la République honore
sa parole, saluons son honnêteté. Ce
prétendu débat avec des interlocuteurs
choisis et triés sur le volet par les
préfectures a bien eu lieu; il a généré
des dizaines d’heures de monologues que
les chaines d’informations ont diffusé
et commenté avec gourmandise, idem avec
les quotidiens et les magazines qui s’en
sont repu; aucune instance de régulation
genre Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
n’a imaginé une seule seconde que ce
temps de parole devrait entrer dans le
décompte du temps alloué aux partis lors
de la campagne pour les élections
européennes. Ce président qui avait
stigmatisé les présidence bavardes de
ses prédécesseurs est en train de les
enfoncer comme jamais. Tout ce barnum qui
a éloigné le président de la République
de son bureau de travail pendant de
longues semaines a eu lieu et, après
deux longues heures d’un interminable
monologue narcissique présenté comme une
conférence de presse à même de faire un
bilan de ces six mois, nous en avons
désormais bien la certitude: rien ne va
changer, la direction est la bonne, il
faut continuer dans ce sens, et même
accélérer le rythme. Le principe étant
que, si l’Europe (mot tabou pendant ces
deux heures: normal, c’est le mot du
seul enjeu véritable…) déçoit c’est
parce qu’il n’y a pas assez d’Europe,
dès lors il faut plus d’Europe encore.
C’est aussi malin qu’un cancérologue qui
dirait à son patient souffrant de sa
maladie qu’il lui faudrait plus de
cancer encore pour aller mieux…
J’ai annoncé la chose et je l’ai écrite
plusieurs fois, c’était facile de savoir
que les choses se passeraient ainsi.
Tout le monde peut désormais le savoir:
le Grand (sic) Débat était une affaire
d’enfumage pour calmer ceux des
gilets-jaunes qui ont cru à cette
opération de communication. Je le
répète: dans le cadre étroit de l’Etat
maastrichtien, Macron n’a pas d’autre
choix que de maintenir le cap. Il le
maintient. Junker peut lui envoyer des
roses rouges.
Cette conférence de presse, c’était en
fait le chef de la France d’en haut qui
parlait aux domestiques de la France
d’en haut pour leur dire que cette même
France d’en haut n’avait rien à
craindre: le cap maastrichtien allait
être maintenu. Les gilets_jaunes
disent-ils depuis des semaines que
pareille direction conduit aux vortex
marins? Leur cas est vite expédié par le
jeune homme: "ce ne sera pas une réponse
aux gilets-jaunes, mais à tous les
Français" -ce qui donne, traduit dans la
langue qui pourrait être celle de la
meuf Ndiaye propulsée porte parole du
gouvernement, probablement pour son
style fleuri et son art de la synthèse:
"Virez moi ces gueux, je n’ai rien à
dire à ces connards, passons aux choses
sérieuses." Le plus honnête eut été de
s’exprimer ainsi.
En effet, dès les premières minutes, les
gilets-jaunes ont été habillés par le
président de la République avec ses
crachats habituels: homophobes,
racistes, antisémites, complotistes,
etc. Les médias ont abondamment délayé
ces vomissures depuis une demie année,
on connaît désormais très bien ces
insultes qui passent pour un
argumentaire -c’est ainsi que cet homme
à la pensée complexe se repose de trop
penser et de penser trop haut.
Moins de cinq minutes après le début de
cette sotie -la sotie est une "farce
satirique et allégorique du Moyen Âge,
jouée par des acteurs en costume de
bouffon"- , les gilets-jaunes pouvaient
éteindre leur télévision, cette soirée
ne serait pas la leur. Pendant des
semaines ils ont demandé un orage
civique; Macron leur a offert une rosée
médiatique et ce fut un pissat de
colibri.
"Nous sommes avant tout les enfants des
Lumières", a-t-il asséné, probablement
après avoir pompé dans le Lagarde &
Michard -lui ou la Meuf. A l’écouter,
rien n’était moins sûr… Tout dans son
intervention était brumeux et fumeux,
fuligineux et vaporeux, en un mot:
ennuyeux. Rien de la drôlerie ironique
de Voltaire, rien de la profonde
légèreté de Diderot, rien de la
radicalité de Rousseau, rien de la
pensée élégante de Montesquieu, rien de
l’espièglerie de La Mettrie, rien de la
profonde humanité d’Helvétius, rien de
la puissance de d’Holbach. De Lumières,
il n’y en eut point, juste une veilleuse
de nuit au pied du lit. Un colibri vous
dis-je. Lui qui, après avoir professé
jadis que la culture française
n’existait pas, a changé de bord, et ça
n’est pas la première fois, en parlant
de "cet art un peu particulier d’être
français". Pour le coup, ce soir-là
comme tant d’autres, il n’a pas été un
bien grand Français!
Il se peut qu’armé de cette loupiotte il
n’ait pas vu grand chose pendant son
marathon dans la France rurale. Mais il
fit bonne figure et eut toutefois un air
inspiré, comme madame Trogneux le lui a
probablement appris en jouant "Les
Fourberies de Scapin" au lycée des
jésuites d’Amiens, un air profond, comme
il est dit dans les didascalies des
pièces de théâtre du genre: "Ici on aura
l’air grave." Après avoir ménagé un
silence pendant lequel il devait compter
mentalement les secondes "une, deux,
trois -il a repris la parole et confessé
ces propos d’un converti : il a vu
"l’épaisseur de la vie des gens".
Tudieu! Le bougre est devenu président
de la République alors qu’il ignorait
tout de l’épaisseur de la vie des gens!
Quel talent ce Scapin qui a eu besoin
d’un tour de France à douze millions
d’euros pour apprendre ce qu’il aurait
dû savoir depuis bien plus longtemps que
ça -disons: juste après son stage de
l’ENA…
Après la conversion de Claudel derrière
un pilier de Notre-Dame, il faut
désormais compter avec la conversion de
Macron aux pieds d’un pommier de
Bourguignotte en Normandie! Il a vu "la
France profonde" comme l’auteur du
"Partage de minuit" avait vu dieu. Même
si cette apparition parait plus modeste,
elle mérite d’être marquée d’une pierre
blanche. Gageons qu’il en sortira une
purification existentielle -c’est du
moins ce qui a été annoncé par
l’impétrant.
Mais, dans ce tour de France par un seul
enfant, Emmanuel Macron n’a pas vu de
gilets-jaunes. S’il ne les a pas vus, il
ne les a pas entendus non plus -il
n’entend que les propos racistes, les
propos homophobes, les propos
antisémites, etc, que lui rapportent, au
choix, le philosophe Castaner, ou le
ministre de l’Intérieur BHL, sinon le
comédien Luc Ferry ou le penseur
François Berléand. Mais ce peut-être
aussi Alain Sloterdijk ou Peter Badiou,
je ne sais plus, les ennemis des
gilets-jaunes ne manquent pas…
Macron n’entend pas les gilets-jaunes,
mais il leur répond quand même: vous
vouliez le référendum d’initiative
citoyenne? Vous ne l’aurez pas bandes de
paltoquets! A la place, (il y a des mois
que j’annonce que la chose sera ainsi
notifiée…), vous aurez l’élargissement
du référendum d’initiative partagée.
Quèsaco? Un référendum par lequel on
demande aux parlementaires, dont les
gilets-jaunes veulent faire l’économie,
qu’ils en envisagent la pertinence, la
validité, la justesse, l’opportunité,
puis de décider, ou pas, de l’examiner
au parlement, avant de le jeter à la
poubelle! Le tout est de savoir s’il
sera envoyé à la déchetterie avant ou
après l’examen au parlement. Avec ce
genre de dispositif, pas de crainte:
aucun sujet de société ne sera confié
aux gueux, seuls leurs représentants
pourront continuer à les trahir. Peine
de mort, avortement, contraception,
immigration: laissez tout ça aux gens
sérieux bande de crétins.
Vous vouliez la démocratie directe? Vous
ne l’aurez pas bande de foutriquets! Et
Macron de flatter les élus dans le sens
du poil en leur disant qu’une nouvelle
décentralisation leur donnerait plus de
pouvoir. On a vu il y a peu que le chef
de l’Etat a décidé de faire servir des
petits déjeuners à un euro dans les
écoles de certaines communes tout en
laissant aux maires le soin de payer la
plus grosse part, après qu’il leur ait
supprimé les rentrées d’argent comme les
taxes d’habitation. Voilà le genre de
pouvoir qu’on va donner aux élus qui
vont s’amuser en campagne à trouver de
l’argent pour payer les réformes
décidées à Paris par Macron, le tout
avec une caisse qu’il a pris soin de
vider au préalable! Vous en vouliez de
la démocratie directe? En voilà…
Vous vouliez la
reconnaissance du vote blanc? Vous ne
l’aurez pas bande de freluquets! Voter
c’est élire monsieur Machin ou madame
Bidule pour agir en votre nom et place,
pas "monsieur Blanc" a dit le président
de la République qui a dû pour ce bon
mot récolter le jus de cervelle d’une
cinquantaine d’énarques mis à la tâche
pendant six mois pour obtenir ce seul
petit effet.
Vous vouliez le vote obligatoire? Vous
ne l’aurez pas bandes de demeurés! Pour
la bonne et simple raison que c’est
impossible de faire payer une amende à
ceux qui ne se déplaceraient pas, qui
seraient si nombreux, et qui
trouveraient ainsi une occasion facile
de passer pour des rebelles.
Vous vouliez la retraite à soixante ans?
Vous ne l’aurez pas bande d’attardés! Ce
fut un sommet de rouerie politicienne,
de sophistique et de rhétorique où il
fut dit par Macron qu’il ne toucherait
pas aux 35 heures ni à l’âge légal du
départ à la retraite, mais, mais, mais:
que ceux qui s’évertueraient à partir à
soixante ans tout de même n’auraient pas
une retraite pleine, c’est-à-dire
n’auraient quasi rien. A quoi il a
ajouté qu’il faudrait travailler plus
pour gagner plus, le tout à négocier par
branche dans les entreprises. Ce qui
donnait immédiatement cette
contre-vérité dans un bandeau passant de
BFMTV: "Emmanuel Macron ne veut pas
revenir sur les 35 heures, ni sur l’âge
légal du départ à la retraite"- pour
être juste, une suite aurait du
préciser: "mais vous travaillerez quand
même plus longtemps". Des millions de
français sont au chômage, mais la
solution pour lutter contre c’est de
faire travailler plus longtemps ceux qui
travaillent affirme le Président: "c’est
du bon sens" a-t-il même dit! Il me
semble que le bons sens serait de
partager le travail pour alléger ceux
qui en ont trop et souffrent de maladies
professionnelles, en même temps que de
pourvoir ceux qui n’en ont pas et
souffrent de leur inexistence sociale.
Vous vouliez restaurer l’impôt sur la
fortune? Vous ne l’aurez pas bande de
gougnafiers! Cet impôt fait fuir les
riches et appauvrit le pays! "On a
besoin de riches, sinon qui exploitera
les pauvres", aurait presque pu dire le
président de la République s’il avait
décidé de nous livrer le fond de sa
pensée ce soir-là. Que dit d’autre sa
foireuse théorie du ruissellement?
Vous vouliez un
système de retraite solidaire socialisé?
Vous ne l’aurez pas bandes d’argoulets!
Bien au contraire, vous allez vous la
payer avec un système de points, par
capitalisation. Si vous n’en avez pas
les moyens, vous n’en aurez pas, c’est
tout simple. C’est une version en marche
du fameux "salaud de pauvres!".
Vous vouliez la proportionnelle
intégrale? Vous ne l’aurez pas bande de
tarés! Vous en aurez un peu,
suffisamment, mais pas trop, assez pour
vous leurrer, mais pas trop pour nous
empêcher de vous gruger. La chose est
voulue par le président de la République
et, comme il faut bien paraître gaullien
de temps en temps, en vertu du principe
que le président préside et que le
gouvernement gouverne -Macron confie en
passant qu’il a relu Michel Debré,
quelle conscience professionnelle!-, le
Premier ministre verra pour
l’intendance… Les ciseaux du ministre de
l’Intérieur reprendront du service et
les circonscriptions seront taillées
pour bien partager le gâteau entre
maastrichtiens de droite et
maastrichtiens de gauche.
Vous vouliez une Constituante? Vous ne
l’aurez pas bande de paumés! En lieu et
place d’une autre assemblée, on garde la
même et on la dégraisse un peu en
réduisant le nombre d’élus. De combien
demandera une journaliste? Le chef
évacuera la question de l’impertinente
en disant que sa valetaille
gouvernementale verrait ces choses-là
plus tard et en son temps.
Vous vouliez la fin de l’ENA? Vous ne
l’aurez pas bande de décérébrés! Mais,
on annonce quand même que vous l’aurez
pour mieux la maintenir: en gros, on
garde les locaux, on garde le personnel,
donc les enseignants, dès lors je vois
mal dès lors comment ils pourraient y
enseigner autre chose et autrement que
ce qui s’y trouve déjà enseigné, mais
l’ENA changera de nom parce qu’on va la
refonder! Abracadabra…
Pour le reste des revendications des
gilets-jaunes, il n’en fut pas du tout
question! Rappelons en quelques unes:
loger les SDF; modifier l’impôt; y
assujettir les GAFA; augmenter le SMIC;
mener une politique en faveur des petits
commerces en ville ou dans les bourgs;
supprimer les taxes sur les carburants;
interdire les délocalisations pour
protéger l’industrie française; en finir
avec le travail détaché; lisser les
systèmes de sécurité sociale; limiter le
nombre des contrats à durée déterminée
et augmenter le nombre des contrats à
durée indéterminée; activer une réelle
politique d’intégration des immigrés;
mettre fin aux politiques d’austérité
indexées sur le remboursement de la
dette; limiter le salaire maximum;
encadrer les prix des loyers; interdire
la vente des biens nationaux; accorder
des moyens à la police, à la
gendarmerie, à l’armée, à la justice;
payer ou récupérer les heures
supplémentaires effectuées par les
forces de l’ordre; réinstaurer un prix
public convenable du gaz et de
l’électricité; maintenir les services
publics en activité; couper les
indemnités présidentielles à vie –
toutes choses auxquelles je souscris. Le
silence du chef de l’Etat sur ces
questions dit tout: vous n’aurez rien!
Quand fut venu le temps des questions,
alors qu’on lui demandait si cette
conférence de presse annonçait un nouvel
acte dans sa politique, il a vrillé de
la bouche, frisé des yeux, on a bien vu
qu’il a retenu son une idée parce
probablement trop provocatrice; il s’est
contenté de récuser le mot -qu’il
utilisera quand même plus tard…-, avant
de dire qu’il était préempté par les
gilets-jaunes dans leur "gymnastique"-
coup de pied de l’âne…
Ensuite, dernière allusion aux
gilets-jaunes, il fit savoir qu’ils
pouvaient bien continuer à brandir des
pancartes "longtemps" et que ça ne
l’émouvait pas -on avait bien compris…
Puis, conclusion
dans la conclusion, la métaphore de la
cathédrale détruite et à rebâtir fut
convoquée. La Meuf a dû trouver que
rameuter l’incendie, c’était bon pour
l’image. Pour un peu, Macron nous aurait
dit que, via Notre-Dame de Paris, la
vierge Marie elle-même irait voter pour
sa liste aux prochaines élections
européennes. Son staff n’a pas osé aller
jusque là, mais il s’en est fallu de
peu…
Ce fut donc un très grand discours de
campagne pour un candidat qui aspire à
devenir président de la République. Mais
il faudrait peut-être que quelqu’un dise
à ce jeune homme -la Meuf peut-être?-
que, président de la République, il
l’est déjà depuis deux ans et qu’il
serait temps qu’il s’en aperçoive. Le
temps est passé du verbe, des mots, des
paroles, de la rhétorique, de la
logorrhée, de la verbigération. Six mois
de monologues avec les moyens
pharaoniques de la République pour un
coût de 12 millions d’euros, c’est un
camouflet pour les gilets-jaunes qui
aura décidément coûté bien cher. Or, les
camouflets restent rarement sans
réponses. Leçon élémentaire
d’éthologie.
Michel Onfray
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