Actualité
La Brute
Michel Onfray
Mercredi 6 février 2019
Source :
Michel Onfray, février 2019
“Je suis le
fruit d’une forme de brutalité de
l’Histoire.”
Macron, le 13 février 2018, devant la
presse présidentielle.
Certes, l’État
définit bien ce Moloch qui dispose du
monopole de la violence légale: mais
pour quoi faire? Sauf irénisme radical,
la nature humaine étant ce qu’elle est,
il n’est en effet pas question
d’imaginer un monde dans lequel on
n’aurait plus besoin d’armée ou de
police, de tribunaux ou de prisons, de
loi et de droit. Si l’on estime qu’un
violeur n’est pas un violé, un agresseur
un agressé, un voleur un volé, un
pilleur un pillé, un frappeur un frappé,
il faut bien qu’une série de mécaniques
sociales permette d’appréhender le
violeur, l’agresseur, le volé, le
frappeur afin de le déférer aux
tribunaux qui jugent des faits en regard
de la loi et du droit, et envoient la
personne jugée coupable purger sa peine
au nom de la réparation du violé, de
l’agressé, du volé, du pillé, du frappé,
mais aussi dans la perspective de
protéger d’autres citoyens de la
dangerosité de ces délinquants. Qu’il
existe des circonstances aggravantes ou
atténuantes, que chacun, quel que soit
ce qu’on lui reproche, ait droit à la
défense, puis à la réparation une fois
la peine accomplie, tout cela est
acquis.
La violence légale
suppose qu’elle puisse être utilisée
afin de maintenir la légalité -ce
devrait être une lapalissade… Or, quand,
mi-septembre 2018, les gilets-jaunes
font savoir, au début de leur colère,
que leur pouvoir d’achat ne leur
permettra pas de payer des taxes
supplémentaires que le pouvoir inflige
en augmentant le prix des carburants à
la pompe, ils ne mettent pas en péril la
démocratie et la République puisqu’ils
en appellent aux articles 13 et 14 de la
Déclaration des droits de l’homme et, ne
l’oublions pas, du citoyen. Par leur
mouvement, ils revendiquent l’un de ces
droits que ce texte majeur leur accorde.
Je l’ai déjà signalé, mais rappelons en
effet que l’article 13 de la Déclaration
des droits de l’homme dit ceci: “Pour
l’entretien de la force publique, et
pour les dépenses de l’administration,
une contribution commune est
indispensable; elle doit être également
répartie entre tous les citoyens, en
raison de leurs facultés.” Et l’article
suivant, ceci: “Les citoyens ont le
droit de constater par eux-mêmes ou par
leurs représentants, la nécessité de la
contribution publique, de la consentir
librement, d’en suivre l’emploi et d’en
déterminer la quotité, l’assiette, le
recouvrement et la durée.” Les
gilets-jaunes n’ont pas refusé l’impôt,
comme la propagande médiatique le
rabâche depuis des semaines afin de les
assimiler aux populismes fascisants,
mais ils font juste savoir qu’ils n’ont
plus financièrement les moyens de les
payer! D’un point de vue gouvernemental,
une réponse appropriée aurait permis
d’étouffer la colère dans l’œuf. Au lieu
de cela, la riposte a été tout de suite
belliqueuse: c’est l’origine de la
violence.
Ce bellicisme a
pris la forme que l’on sait: des
éléments de langage du pouvoir macronien
ont été fournis puis abondamment relayés
par les “élites”: le mouvement des
gilets-jaunes était une jacquerie
d’extrême-droite, une revendication
populiste qui sentait sa chemise brune,
un mouvement qui puait le “facho”. BHL
le fit savoir illico en même temps que…
Mélenchon et Clémentine Autain, Coquerel
et la CGT qui rejoignaient ainsi dans
leur concert populicide tous les
éditorialistes de la presse
maastrichtienne.
Macron n’est pas
bien malin, car Pompidou mit fin à Mai
68 avec un cynisme qui aurait pu
l’inspirer: deux inconnus à l’époque, il
s’agit d’Henri Krasucki de la CGT, donc
du PCF, et Jacques Chirac, alors
secrétaire d’Etat à l’emploi auprès du
ministre des Affaires sociales, se
rencontrent dans le cabinet d’un avocat
communiste. Chirac dira qu’il s’agissait
d’une chambre de bonne et prétendra
qu’il s’y était rendu armé… Il y aura
plusieurs réunions avant
qu’officiellement le sécrétaire général
de la CGT, Georges Séguy, et les autres
syndicats ne rencontrent Chirac et…
Balladur, alors conseiller de Chirac,
pour préparer ce qui deviendra les
Accords de Grenelle. La négociation a
grandement payé: hausse des salaires
spectaculaires, augmentation du SMIC
sans précédant, réduction de la durée
hebdomadaire du temps de travail,
élargissement du droit syndical, coup de
pouce aux allocations familiales,
augmentation de la prestation offerte
aux personnes âgées, paiement des
journées de grève, baisse du ticket
modérateur de la sécu. La CGT revient
auprès de sa base avec ces propositions:
les ouvriers refusent; les accords
signés unilatéralement par le pouvoir
sont tout de même appliqués -déjà la
collusion des pouvoirs gouvernementaux
et syndicaux, les fameux corps
intermédiaires. Le travail reprend
quelques jours plus tard. Le pouvoir
joue sur l’inflation: deux ou trois ans
après, les avantages consentis
disparaissent avec l’augmentation du
coût de la vie. Exit Mai 68! Leçon de
cynisme politique, mais également leçon
sur le cynisme de ce qu’il est donc
convenu d’appeler les corps
intermédiaires: le pouvoir néo-gaulliste
et le pouvoir néo-communiste se
séparaient moins sur leurs options
politiques qu’ils ne se rassemblaient
sur ce fromage qu’est toujours la
représentation qui permet de laisser
croire au peuple qu’on travaille pour
lui alors qu’on œuvre bien souvent à ses
dépens pour sa seule boutique.
Revenons aux
gilets-jaunes: Macron fait annoncer par
son premier ministre un moratoire sur le
prix de l’essence début décembre. Mais
un moratoire est la formule qui permet
de reculer pour mieux sauter -en
l’occurrence: sauter par-dessus les
élections européennes pour lesquelles,
chacun l’a désormais bien compris, le
président de la République est en
campagne. C’est la raison pour laquelle
il instrumentalise la crise des
gilets-jaunes pour son propre compte et
celui du camp maastrichtien. Il n’y a
pas d’autres raisons à son Grand Débat
national puisqu’il a bien pris soin d’en
donner la règle du jeu dès le départ: on
parle -enfin: il parle-, mais pas
question de changer de cap. Pourquoi
donc parler? A quoi bon? Pour quoi
faire?
Après l’annonce
d’un moratoire pour signifier qu’on
accorde un délai avant d’actionner tout
de même la guillotine, première violence
symbolique, il y a eu l’assimilation par
le président de la République des
gilets-jaunes à “une foule haineuse”
constituée d’antisémites, d’homophobes,
de racistes lors des vœux de 2019, ce
fut la deuxième violence symbolique.
Elle a été suivie par une troisième avec
cette annonce de LA solution avec un
Grand Débat national doublé du refus
d’un changement de cap. D’autres
violences sont depuis régulièrement
infligées. Ainsi avec cette série de
gifles distribuées au grès de ses
apparitions publiques: une quatrième à
la galette des rois quand le prince fait
savoir que tous les Français n’ont pas
le goût de l’effort en laissant entendre
que c’est le cas des gilets-jaunes (11
janvier 2019); une cinquième lors d’un
meeting présenté comme un débat, quand
il affirme, que, parmi certains qui
touchent les minimas sociaux, “il y en a
qui déconnent” (15 janvier 2019) en
n’ignorant pas que cette catégorie
sociologique est surreprésentée chez les
gilets-jaunes; une sixième en faisant
savoir de façon quelque peu méprisante,
toujours lors d’un de ces meetings de
campagne maastrichtien, que “la vraie
réforme, elle va avec la contrainte, les
enfants! C’est pas open bar. Le bar,
c’est le nôtre.” (24 janvier 2019 à
Bourg-de-Péage) -la vraie réforme, c’est
donc la sienne, pas celle des
gilets-jaunes; les “enfants” qu’on toise
de façon méprisante, ce sont ces mêmes
gilets-jaunes; et la mention du bar,
c’est encore aux GJ que l’image
s’adresse, on ne peut mieux dire que,
pour le chef de l’Etat, les
gilets-jaunes sont de faux réformateurs
qui pensent comme des enfants assimilés
à des piliers de bistrot…
Ces violences
symboliques sont copieusement
démultipliées par le pouvoir médiatique
maastrichtien. On l’a vu. Il s’agit
d’assimiler les gilet-jaunes à des gens
violents et tout ce qui peut illustrer
cette thèse se trouve savamment mis en
images et en mots par les médias qui se
contentent de relayer les éléments de
langage venus de la cellule
communication de l’Elysée, de celle de
Matignon ou bien encore de celle du
ministère de l’Intérieur. Macron est un
enfant-roi colérique et intolérant à la
frustration, Edouard Philippe un animal
à sang froid bien cravaté, propre sur
lui et poli, Castaner un gouailleur
ayant gardé quelques habitudes de son
ancienne fréquentation du milieu
marseillais, mais c’est le même
discours: les gilets-jaunes sont
violents, ils attaquent la République, y
compris avec un transpalette moins gros
qu’une voiture sans permis, ils mettent
en péril la démocratie, ils annoncent
une révolution néo-fasciste… BHL prête
sa chemise à ces discours. Les
éditorialistes pensent comme cette
chemise. D’autres “intellectuels”
offrent une partie de leur anatomie à
cette même chemise.
Cette violence
symbolique, dont le bras armé est
constitué par les médias du système, se
double d’une violence policière. On sait
que les mots tuent, mais pour ce faire,
il leur faut des acteurs violents: le
pouvoir en dispose avec un certain
nombre de gens de justice et de gens de
la police qui, sachant qu’ils
bénéficient d’une couverture venue du
ministère de l’Intérieur, donc de
Matignon, donc de l’Elysée, donc
d’Emmanuel Macron, s’en donnent à cœur
joie.
Je me suis retrouvé
sur un plateau de télévision avec
Jean-Marc Michaud, qui a perdu un œil à
cause d’un tir de flash-ball. Il a dit
toute sa colère contre le tireur -et je
le comprends. C’est le premier
mouvement, quand on a été violenté, de
vouloir riposter de la même manière. On
reçoit un coup, on n’a pas envie d’autre
chose que de le rendre au centuple. Le
cerveau reptilien fait la loi tant que
le cortex n’effectue pas son travail.
Certes, il y a une
responsabilité du tireur: mais si ce
tireur sait qu’il aura des comptes à
rendre à la justice si sa hiérarchie lui
reproche de s’être mal comporté en ne
respectant pas les procédures -dont
celle, majeure, de ne jamais viser la
tête…-, alors il se comportera
probablement autrement.
Mais, quand on sait
pouvoir bénéficier de l’impunité du
pouvoir, alors on tire ou on tabasse
sans état d’âme et, pour l’avoir
constaté par moi-même à Caen, avec
certains spectateurs de ces opérations,
une jubilation non feinte à cogner,
taper, tabasser, projeter violemment au
sol, menotter, mais aussi, dans certains
cas sur lesquels je me penche ces
temps-ci: dénuder et palper…
J’ai déjà dit
ailleurs que je supposais que certains
policiers noyautaient les casseurs pour
nourrir la thèse du pouvoir selon
laquelle tous les gilets-jaunes sont
violents. Après que j’ai donné cette
information, d’aucun parmi les
gilets-jaunes m’ont fait savoir par
courrier qu’ils en détenaient les
preuves. Je reviendrai sur ce sujet le
moment venu.
Mais sans se
focaliser sur ce cas particulier, il
suffit de lire, sous la plume du maire
divers droite, donc pas un gauchiste,
Xavier Lemoine, une intéressante
information. Il affirme dans Le Figaro
qu’en tant que maire de Montfermeil, il
a constaté que “la police a moins
réprimé les émeutes en banlieues en 2005
que les Gilets Jaunes” (29 janvier
2019). Tout est dit.
Le maire constate
qu’en 2005 il n’y a eu aucun mort et peu
de blessé parmi les émeutiers bien que
ces derniers aient choisi la violence
comme unique moyen d’expression. Il en
donne la raison: la police avait alors
choisi une opération de maintien de
l’ordre et non, comme Macron, une
logique de répression. Or, maintenir
l’ordre n’est pas réprimer. Ce sont deux
choix politiques extrêmement différents
idéologiquement, politiquement,
stratégiquement, tactiquement -et aussi
moralement. Emmanuel Macron a sciemment
choisi de réprimer et non pas de
maintenir l’ordre. Le chef de l’Etat n’a
donc pas voulu contenir les violences
revendicatives mais déchaîner les
violences d’Etat. C’est à dessein.
Xavier Lemoine
constate que le choix du maintien de
l’ordre vise, comme les mots
l’indiquent, à chercher avant tout à
maintenir l’ordre, donc à éviter le
désordre. J’y reviens: on ne me fera pas
croire que laisser dépaver l’avenue des
Champs-Elysées sous les objectifs des
caméras de BFMTV pendant presque une
heure ne témoigne pas du fait que le
forces de l’ordre n’avaient pas eu pour
consigne d’empêcher le désordre, c’était
facile à faire sans violence, mais, au
contraire, de le favoriser en laissant
ces pavés devenir des projectiles en
attente de leurs cibles humaines ou
matérielles…
Parlant de sa
ville, Xavier Lemoine dit: “En 2005, la
totalité (sic) des revendications se
sont exprimées par la violence. Or, à
l’époque, les forces de l’ordre ont
adopté le mode d’intervention le plus
approprié qui soit pour faire retomber
cette violence. D’un point de vue
technique, leur attaque a été souple et
remarquable. Alors qu’ils étaient pris
pour cibles par les émeutiers, policiers
et gendarmes ont montré une grande
retenue dans l’usage de la force.
Aujourd’hui, au contraire, nul ne peut
prétendre que toutes les revendications
des ‘gilets jaunes’ s’expriment par la
violence. En outre, en 2005, il n’y
avait aucune femme parmi les émeutiers,
alors que les femmes sont présentes
massivement dans les rangs des ‘gilets
jaunes’. Ne pas le prendre en compte,
c’est se priver d’un élément d’analyse
fondamental. Contrairement à ce que la
puissance des images peut laisser
penser, la majorité des ‘gilets jaunes’
ne participe pas aux violences
condamnables commises lors de ce
mouvement. Pourtant, depuis le samedi 8
décembre, les forces de l’ordre
privilégient la répression, et non le
maintien de l’ordre.” Au journaliste qui
lui demande de préciser ce qui distingue
maintien de l’ordre et répression,
Xavier Lemoine répond: “Le maintien de
l’ordre consiste d’une part à permettre
à une manifestation de s’écouler de la
manière la plus pacifique qui soit, et
d’autre part contenir la violence en vue
de la faire diminuer. Cet objectif
n’interdit pas aux policiers
d’intervenir contre des personnes
déterminées à des actes de violence” -je
songe à ceux qui dépavent l’avenue des
Champs Elysées…
Il poursuit: “Mais
il est toujours laissé aux manifestants
pacifiques des portes de sortie. Les
intéressés peuvent ainsi quitter les
lieux quand ça dégénère. La répression,
elle, consiste à en découdre contre des
groupes sans faire nécessairement la
distinction entre les individus violents
et les manifestants paisibles, qui
peuvent se trouver loin d’eux. Or, dans
la crise actuelle, les forces de l’ordre
recourent trop souvent aux ‘nasses’, qui
l’empêchent les personnes encerclées de
quitter les lieux. Il est facile alors
de faire des amalgames entre des
manifestants très différents. Parmi les
éborgnés, combien avaient cassé des
vitrines, retourné des voitures, pillé
des magasins? De même, le souci de
différencier les casseurs ‘confirmés’ et
les primo-délinquants devrait être
beaucoup plus net.” Pour Xavier Lemoine,
les forces de l’ordre obéissent à un
pouvoir qui a choisi la répression et la
brutalité. Elles obéissent. Le
responsable, donc le coupable, est celui
qui donne l’ordre. Et, comme on ne peut
imaginer que Castaner ou Philippe
prennent la décision seuls, c’est au
chef de l’Etat qu’il faut imputer le
choix de la répression, donc chaque
blessure infligée. Quand ce même chef de
l’Etat affirme éhontément en Egypte que
les forces de l’ordre n’ont causé aucun
mort alors qu’on leur doit celle de
madame Redoine à Marseille, il ment. Et
il est personnellement responsable de
cette mort [1]. La brute, c’est lui.
Lisons encore
Xavier Lemoine: “Je n’incrimine en rien
les forces de l’ordre, qui obéissent,
comme il est naturel, aux instructions
du ministre de l’Intérieur. Mais je
blâme ces instructions, qui me
paraissent traduire une volonté de
monter aux extrêmes, d’accroître la
violence pour justifier une répression.
Je n’ai aucune complaisance pour les
violences préméditées des casseurs ou
des groupuscules extrémistes. Mais la
responsabilité du politique est aussi de
savoir désamorcer un cri de détresse, au
lieu de l’alimenter en diabolisant les
‘gilets jaunes’. Jamais les gouvernants,
en 2005, n’ont tenu des propos aussi
méprisants envers les émeutiers d’alors.
Actuellement, une partie importante des
violences émane de manifestants sans
casiers judiciaires, désespérés et
chauffés à blanc. Ils se sentent
provoqués par la rigidité de la riposte
de la police. La dynamique de foule
aidant, ils se ‘radicalisent’. Leur
réflexe vital s’exprime de façon
brutale. En 2005 aucune manifestation
n’avait été déclarée en préfecture et
toutes dégénéraient en émeutes.
Pourtant, à l’époque, en
Seine-Saint-Denis, il n’y a eu aucune
charge de CRS, ni de policiers à cheval.
Aujourd’hui, si. Voilà quatorze ans, les
forces de l’ordre n’ont pas recouru au
tir tendu, à l’horizontal, à face
d’homme et à courte distance.
Aujourd’hui, si. Pourquoi ces deux
poids, deux mesures de l’Etat entre les
émeutes urbaines de 2005 et les scènes
d’émeutes des ‘gilets jaunes ‘? Je ne
juge pas que les forces de l’ordre ont
été laxistes en 2005 ; j’affirme
qu’elles sont trop ‘dures’ aujourd’hui.”
Que le président
Macron ait choisi la ligne dure de la
répression contre la ligne républicaine
du maintien de l’ordre est donc avéré.
Il a donc à son service la presse
maastrichtienne, autrement dit les
médias dominants, dont ceux du service
public audiovisuel, il a mis à son
service la police, l’armée, donc les
forces de l’ordre, il a également essayé
d’y adjoindre la machine judiciaire. Ce
dont témoigne un article du Canard
enchaîné (30 janvier 2019) intitulé “Les
incroyables consignes du parquet sur les
gilets jaunes”, qui rapporte dans le
détail comment le ministère dit de la
Justice a communiqué par courriel avec
les magistrats du parquet de Paris sur
la façon de traiter les gilets-jaunes:
après une arrestation, même si elle a
été effectuée par erreur, il faut tout
de même maintenir l’inscription au
fichier du traitement des antécédents
judiciaires (TAJ), y compris “lorsque
les faits ne sont pas constitués”. Le
courrier précise également qu’il faut
ficher, même si “les faits sont ténus”
et même dans le cas avéré “d’une
irrégularité de procédure”! Dans ces
cas-là, arrestation par erreur,
infraction non motivée, irrégularité de
procédure, il est conseillé de maintenir
les gardes à vue et de ne les lever
qu’après les manifestations du samedi
afin d’éviter que les citoyens
fautivement interpellés puissent exercer
leur droit de grève, faut-il le
rappeler, un droit garanti par la
Constitution? Alinéa 7 du préambule…
Ajoutons à cela que
le projet de loi dit “anti casseurs”
proposé par Macron se propose purement
et simplement d’instaurer une
présomption de culpabilité à l’endroit
de quiconque serait suspecté d’être
sympathisant de la cause des gilet
jaune. Suspecté par qui? Par la même
justice à laquelle le pouvoir demande,
premièrement, de conserver en garde à
vue une personne même arrêtée par
erreur, deuxièmement, de ne la relâcher
qu’après la fin des manifestations,
troisièmement, d’agir de même y compris
dans le cas d’une erreur de procédure,
quatrièmement, de ne pas se soucier du
fait que les faits soient avéré, la
ténuité suffisant pourvu que la justice
macronienne soutenue par la police
macronienne elle-même au ordre de
l’idéologie macronienne, qui est
purement et simplement celle de l’Etat
maastrichtien, aient décidé qu’il en
soit ainsi. Mélenchon a pu parler à ce
propos du retour de la lettre de cachet,
il n’a pas tort sur ce sujet.
La violence
généalogique, celle qui s’avère
fondatrice des premières revendications
des gilets-jaunes, c’est d’abord et
avant tout celle qu’impose le système
politique libéral installé de façon
impérieuse par l’Etat maastrichtien
depuis 1992. Quand Macron dit que les
racines du mal sont anciennes, il ne le
sait que trop, car il est l’un des
hommes dont la courte vie a été
entièrement consacrée à l’instauration
de ce programme libéral qui s’avère fort
avec les faibles, on le voit dans les
rues depuis douze semaines, et faible
avec les forts, on le constate avec la
législation qui leur est favorable -de
la suppression de l’ISF au refus de
s’attaquer aux paradis fiscaux en
passant par la tolérance du fait que les
GAFA échappent à l’impôt.
La violence de cet
Etat maastrichtien sur les plus faibles,
les plus désarmés, les moins diplômés,
les plus éloignés de Paris ou des
mégapoles françaises; la violence de cet
Etat maastrichtien sur les plus
précaires en tout, sur les gens modestes
qui portent tout seul le poids d’une
mondialisation heureuse pour d’autres
qui les conchient à longueur
d’apparitions médiatiques; la violence
de cet Etat maastrichtien sur les
oubliés des nouvelles compassions du
politiquement correct; la violence de
cet Etat maastrichtien sur les femmes
seules, les mères célibataires, les
veuves aux pensions de retraite
amputées, les femmes contraintes de
louer leur utérus pour qu’on y dépose un
sperme mercenaire, les victimes des
violences conjugales surgies de la
misère, les jeunes garçons ou les jeunes
filles qui se prostituent pour payer
leurs études; la violence de cet Etat
maastrichtien sur les ruraux privés jour
après jour du service public que leurs
impôts indirects financent pourtant; la
violence de cet Etat maastrichtien sur
les paysans qui se pendent tous les
jours parce que la profession de foi
écologiste des maastrichtiens urbains ne
s’encombre pas d’écologie quand il
s’agit de l’assiette des Français qu’ils
remplissent de viandes avariées, de
produits toxiques, de chimie
cancérigène, d’aliments en provenance du
bout de la planète sans souci de la
trace carbone et qui peuvent même être
bios; la violence de cet Etat
maastrichtien sur les générations
d’enfants crétinisés par une école qui a
cessé d’être républicaine et qui laisse
aux seuls filles et fils de la
possibilité de s’en sortir non pas grâce
à leur talents, mais avec l’aide du
piston de leurs familles bien nées; la
violence de cet Etat maastrichtien qui a
prolétarisé des jeunes n’ayant plus pour
seul espoir que la sécurité de l’emploi
du policier, du gendarme, du militaire
ou du gardien de prison et dont le
métier consiste à gérer par la violence
légale les déchets du système libéral;
la violence de cet Etat maastrichtien
sur les petits patrons, les commerçants,
les artisans qui ignorent les vacances,
les loisirs, les week-end, les sorties
-ces violences là, oui, sont les
violences premières. Ce sont celles qui
n’ont pas généré de violence, mais juste
une première manifestation contre
l’augmentation du plein d’essence.
La réponse du
pouvoir, donc de Macron, à cet aveu de
pauvreté des pauvres a été tout de suite
la criminalisation idéologique. Les
médias aux ordres ont crié au loup
fasciste. Depuis plusieurs mois, c’est
leur pain quotidien: selon les riches
qui les gouvernent, les pauvres seraient
donc antisémites, racistes, homophobes,
violents, complotistes -“salauds”
dit-même BHL chez Ruquier. C’est la
vielle variation sur le thème: classes
laborieuses, classes dangereuses. C’est
l’antienne de tous les pouvoirs
bourgeois quand ils ont peur.
Le pouvoir de
l’Etat maastrichtien manœuvre assez bien
pour que, jusqu’à ce jour, sa
responsabilité ne soit jamais mise en
cause! C’est pourtant lui le problème!
C’est tellement lui le problème que
Macron veut en faire la solution en
expliquant que le problème de l’Europe
libérale; c’est qu’il n’y en a pas assez
alors que les gilets-jaunes lui disent
justement qu’il y en a trop -non pas
d’Europe, mais de libéralisme.
Dès lors, le chef
de l’Etat mobilise les médias qui
désinforment, la police qui traque le
manifestant, la justice qui les coffre
sévèrement, la prison qui les parque
quand l’hôpital ne les soigne pas après
tabassages. A partir de quel moment
comprendra-t-on que nous disposons là
des pièces d’un puzzle despotique?
Michel Onfray
[1] Pour mémoire :
https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/gilets-jaunes-ce-que-l-on-sait-de-la-mort-d-une-octogenaire-blessee-par-une-grenade-lacrymogene-a-marseille_3084379.html
Source :
Michel Onfray, février 2019
Le dossier politique
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