Actualité
Crise institutionnelle systémique
Mesloub Khider

Mardi 16 juillet 2019
Jamais, dans l’histoire du capitalisme
contemporain, partis politiques et
institutions ont été aussi
radicalement et profondément
disqualifiés et discrédités qu’à notre
époque. En effet, depuis les
organisations politiques toutes
obédiences confondues (de l’extrême
-gauche à l’extrême-droite), en passant
par les centrales syndicales et les
instances religieuses (chrétienne pour
ses scandaleuses affaires de pédophilie
récurrentes, juive pour sa compromission
immorale avec le sionisme génocidaire,
musulmane pour son accommodement
scélérat avec l’idéologie meurtrière
islamiste), jusqu’aux défaillantes
administrations corrompues et les forces
de l’ordre nazifiées, toutes ces
structures sont aujourd’hui honnies,
anathématisées, condamnées, rejetées.
Actuellement, deux
pays exemplaires illustrent ce phénomène
de déliquescence de toutes les
institutions officielles : la
France et l’Algérie, avec comme
corollaire immédiat, pour l’Algérie,
l’éviction du pouvoir du président
Bouteflika et
l’emprisonnement de nombreux oligarques
politiciens écornifleurs et affairistes
aigrefins. Ainsi, de manière aussi
soudaine qu’inattendue, en l’espace de
quelques mois, ces deux pays
emblématiques, longtemps auréolés d’un
prestige international pour leurs
respectives révolutions, dotés
d’institutions étatiques jacobines
fortement respectées et implacablement
établies, viennent d’être secoués par un
séisme politique aux incandescentes
répercussions telluriques encore
furieusement opérantes.
La France
Dans le cas de
la France qui, la veille encore,
s’ennuyait, elle s’est réveillée
brutalement de son léthargique
sommeil politique, bercé par des rêves
d’un pouvoir bourgeois, éternel et
inébranlable. En effet, à la faveur de
l’imminente promulgation de la taxe sur
l’essence décrétée par l’exécutif, le
moteur de la révolte populaire s’est
ébranlé, en novembre dernier, pour
embraser toute la France, révolte
conduite par le mouvement des
Gilets jaunes. Depuis lors, la
suite, tout le monde la connaît : des
mois de soulèvements populaires quasi
insurrectionnels, d’affrontements
violents, de blocages économiques, de
crises institutionnelles. Aujourd’hui,
le bilan est lourd : la France
bourgeoise se meurt, agonise,
rejoint l’outre-tombe ; la France
populaire ressuscite, revit, réenchante
le monde. Les dégâts politiques et
socioéconomiques collatéraux occasionnés
par l’irruption du mouvement des
Gilets jaunes sont considérables.
Quoique déjà souterrainement en œuvre
depuis plusieurs années, en particulier
depuis le terrible krach de 2008, la
crise institutionnelle systémique s’est
accélérée avec le surgissement du
mouvement populaire. Cette crise a
balayé toutes les illusions. Et surtout
elle a secoué toutes les institutions. A
commencer par les partis politiques et
les organisations syndicales, prémices
de l’écroulement d’autres institutions
étatiques déjà fortement ébranlées,
délabrées.
Les médias, par
ailleurs tout autant décrédibilisés pour
leur inféodation notoire au pouvoir et
aux puissances financières, en sont
aujourd’hui à s’interroger sur les
causes de l’accélération de
l’effondrement des partis politiques,
confirmé lors des dernières élections
européennes. En effet, à
l’occasion de ce scrutin, les deux
puissantes principales formations
politiques françaises, le parti de la
droite classique (les Républicains) et
le Parti socialiste (PS) se sont
complètement effondrées. Leur survie est
en sursis. Pour autant, les autres
partis politiques n’ont pas profité de
la débâcle des deux formations
traditionnelles, en récupérant les voix
de leurs électeurs. Ni le parti de
Macron, la République en marche (LREM),
ni celui de Marine le Pen (le
Rassemblement national) n’ont tiré les
marrons du feu de cet hécatombe
électoral des deux partis historiques.
Leurs scores respectifs stagnent au même
niveau qu’aux présidentielles de 2017,
aux alentours de 20%. De même, les
écologistes ne décollent pas
de leur terrier environnemental
électoral lucratif, en dépit de quelques
envolées éphémères enregistrées au cours
de ces derniers scrutins. Quant aux
autres organisations politiques
lilliputiennes, ancrées dans leur
rôle de figuration politique, elles
amusent toujours autant la galerie
électorale avec leurs dérisoires
scores.
Seul le parti
des abstentionnistes parvient à
maintenir son influence avec son
écrasant suffrage politiquement
consciencieux. Ce parti des désenchantés
et des révoltés voit son audience
considérablement progresser. De fait, ce
parti abstentionniste n’accorde non
seulement plus crédit à aucune formation
politique, à aucun politicien, mais plus
fondamentalement n’accorde plus aucune
créance à une élection dans le cadre de
la démocratie représentative des riches,
du système capitaliste dominant.
En Algérie
En Algérie, on
observe le même phénomène de
disqualification des partis politiques,
de désagrégation de la politique
traditionnelle, la même tendance de
refus de participation aux mascarades
électorales.
Cette perte de
confiance dans les institutions est
profonde. Cette discréditation des
institutions politiques et étatiques
bourgeoises n’est nullement
conjoncturelle, mais structurelle. Elle
exprime un « malaise civilisationnel »
politique et social, expression d’une
profonde crise économique
potentiellement explosive de révoltes
sociales durables. Elle marque un
changement de fond. De fait, la
disqualification des partis politiques,
en raison de leur corruption, de leurs
liens avec les puissances financières,
de leur impuissance économique et de
leur inefficience politique, est
définitive. Pour ce qui est de la
France, elle a été accentuée avec
l’intronisation de l’arrogant laquais de
la finance internationale, le sieur
Macron connu pour ses liens
indéfectibles avec les puissants.
Avec les
soulèvements populaires encore en cours
dans les deux pays, les dernières
illusions sur la nature des institutions
étatiques au service du peuple se sont
définitivement envolées. La confiance
envers ces institutions, évaporée. En
France, le caractère de classe du
pouvoir a dévoilé son véritable visage
avec la politique antisociale du
gouvernement Macron, et, surtout, avec
les répressions policières sanglantes
perpétrées contre le « peuple jaune ».
En Algérie,
certes, le soulèvement populaire n’a pas
été totalement réprimé. Et pour cause.
Le régime «constitutionnellement
illégitime» ne peut pas réprimer un
extraordinaire mouvement populaire
drainant chaque vendredi des millions de
manifestants dans la rue. Cependant, ce
« Mouvement 22 février » a
permis de révéler la nature mafieuse de
l’ensemble des membres du pouvoir
prédateur, coupable de corruption, de
prévarication, de détournement et de
dilapidation des deniers publics. Depuis
lors, tous les officiels institutionnels
du pouvoir algérien sont fustigés,
vilipendés, pourchassés, voire agressés
par la population, notamment lors de
leurs rares déplacements, désormais
effectués sous escorte policière
renforcée.
De toute évidence,
en cette période de crise
institutionnelle systémique, la
réalité des antagonismes de classes se
clarifie, le caractère de classe des
institutions étatiques se dévoile. La
fonction prédatrice des partis
politiques et des organisations
syndicales se révèle au grand jour. Les
luttes de clans et de factions au sommet
de l’État perdurent et s’intensifient.
Aujourd’hui, en
France comme en Algérie, le pouvoir
a prouvé qu’il est ouvertement au
service des intérêts privés, de la
finance. Une infime minorité concentre
entre ses mains toutes les richesses,
détient les rênes du pouvoir, des
institutions publiques et privées. Les
récentes massives arrestations d’hommes
politiques et d’affaires algériens
prouvent l’ampleur des malversations
longtemps employées par ces brigands de
la politique. En France, les mesures
gouvernementales libérales en faveur des
classes possédantes, promulguées ces
dernières années, notamment au travers
des cadeaux fiscaux et autres
dispositions d’aides directes chiffrées
en milliards (manière plus
démocratiquement subtile et légale
d’extorsion de deniers publics),
viennent confirmer le caractère
bourgeois du pouvoir.
Le discrédit
ne concerne pas seulement les hommes
politiques et les partis, mais toutes
les institutions officielles. En effet,
ces dernières subissent une réelle
disqualification, du fait de leur
compromission avec l’affairisme
prédateur. Toutes ces institutions
ont été démystifiées, démythifiées.
Elles ont été désacralisées. Désormais,
le peuple ose réclamer des comptes,
exiger des poursuites judiciaires,
revendiquer l’assainissement de ces
institutions dépravées par la
corruption. À l’évidence, le
pouvoir opaque algérien semble
avoir entendu les doléances du peuple.
En effet, le nouveau régime occulte
a déclenché dans la précipitation et
l’improvisation une vaste opération
mains propres. Toutefois,
paradoxalement, tandis que l’Algérie vit
actuellement, depuis le congédiement de
Bouteflika, sous un régime «
constitutionnellement illégitime », de
fait dans un État de non-droit, la «
justice » n’a jamais accompli avec
autant de dévouement et de diligence sa
mission en matière pénale. À croire que,
à l’ère de la vacance du pouvoir, au
moment où toutes les institutions
économiques et sociales sont paralysées
et périclitent (selon les alarmantes
informations du patronat du bâtiment,
juste pour le secteur des Travaux
Publics, ces derniers mois plus de 3 200
entreprises ont déposé le bilan et 265
000 employés ont été congédiés), les
tribunaux sont les exclusives
institutions étatiques à fonctionner à
(en) plein régime (d’exception). Avec le
pouvoir fantomatique actuel au
commandement invisible, on est passé
de la justice du coup de fil à la
justice des coups de filet.
Signe de la dégénérescence des
institutions. Cette exceptionnelle
opération de justice expéditive et
punitive traduit un profond malaise
politique. Cette opération judiciaire
chirurgicale n’est pas signe de bonne
santé institutionnelle. Loin s’en faut.
Elle confirme la débâcle des
institutions. Pour preuve : cette
justice n’émane pas du peuple souverain,
mais d’une institution autoproclamée. Le
peuple demeure toujours spectateur.
Jamais acteur de son destin, du sort
de son pays. C’est au peuple algérien
meurtri par l’extorsion de ses richesses
durant plus d’un demi-siècle et
davantage que revient le droit de rendre
la Justice, dans le cadre de nouvelles
institutions politique et judiciaire
dirigées et contrôlées par ses intègres
représentants élus et révocables à tout
moment.
Quoi qu’il en soit,
actuellement, les institutions étatiques
apparaissent sous leur vrai visage :
comme de simples instruments au service
d’une infime minorité de milliardaires
et comme moyen d’enrichissement
personnel pour les hommes politiques
dépravés. Elles n’œuvrent nullement pour
l’intérêt du peuple. De la s’explique la
méfiance et la défiance du peuple envers
toutes les institutions.
A l’évidence, cette
défiance à l’égard des institutions
étatiques s’inscrit dans le prolongement
de la discréditation du capitalisme en
crise, responsable de la dégradation
généralisée des conditions de vie du
peuple laborieux.
Au-delà de
ses revendications réformistes, de ses
doléances partielles et partiales
petites-bourgeoises, pour affirmer sa
puissante force de transformation
sociale, le peuple ne doit plus
seulement se contenter de combattre les
insignifiants locataires des
institutions déliquescentes (présidence,
Assemblée, Sénat, et autres instances
subalternes), mais s’attaquer aux
propriétaires du capital, réels
détenteurs du pouvoir, pour instaurer de
nouvelles institutions, fondées sur des
bases économiques radicalement rénovées,
dirigées et contrôlées par le peuple.
« Le
châtiment est une façon commode de laver
le crime en blanchissant les
gouvernements et les systèmes qui le
commanditent », Raoul Vaneigem.
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