Ecologie
Accord sur le climat : une décision de
l’OMC
sabote l’essor des énergies
renouvelables
Maxime Combes
Jeudi 21 avril 2016
L’accord sur le
climat, négocié lors de la COP21 à Paris
en décembre dernier, sera officiellement
signé ce vendredi 22 avril à New York,
ouvrant la porte à un long processus de
ratification. Prévoyant de contenir le
réchauffement climatique en deçà de 2°C,
l’accord pourrait néanmoins avoir un
effet limité sur la baisse de
l’utilisation des énergies fossiles. En
coulisses, les règles de l’OMC limitent
considérablement les politiques de
transition énergétique. L’Inde, dont le
dispositif de soutien au solaire vient
d’être invalidé par l’OMC, en fait
l’amère expérience. Les règles du
commerce international prendront-elles
le pas, une fois de plus, sur la lutte
pour le climat ?
Souvenons-nous.
Lundi 30 novembre 2015. Journée
d’ouverture de la Conférence sur le
Climat (COP21) à Paris, avec une
succession de discours présidentiels et
ministériels visant à placer les
négociations sur les bons rails.
L’occasion pour François Hollande et
Narendra Modi, Premier ministre indien,
d’annoncer le lancement de l’Alliance
solaire internationale [1].
Objectif ? Accélérer le déploiement de
l’énergie solaire dans les pays en
développement, notamment pour la
centaine d’entre eux situés entièrement
ou partiellement entre les Tropiques du
Cancer et du Capricorne. La photo est
belle, les discours enthousiastes et les
commentateurs se félicitent. La COP21
est bel et bien sur de bons rails [2].
L’OMC, vent debout
contre l’énergie solaire
Retour à la réalité
le 24 février 2016. L’information est
passée sous les radars des médias
francophones. C’est pourtant le jour où
l’Organisation mondiale du commerce
(OMC) a jugé que le dispositif de
soutien à l’énergie solaire en Inde
était non-conforme aux règles du
commerce international. Il serait,
estime-t-elle, trop favorable aux
entreprises locales au détriment des
entreprises étrangères [3].
Ce dispositif impose en effet aux
compagnies d’électricité d’utiliser des
cellules et des modules solaires
fabriqués en Inde pour pouvoir
bénéficier de subventions. Du moins, le
temps que l’énergie solaire devienne
compétitive face au charbon, qui fournit
aujourd’hui encore près de 60 % de
l’électricité.
C’est en 2014 que
l’Inde s’est doté d’objectifs très
ambitieux visant à installer 100
gigawatts d’énergie solaire d’ici à
2022. Davantage que les cinq plus grands
producteurs réunis – Allemagne, Chine,
Italie, Japon, États-Unis. Mais voilà.
Les États-Unis sont passés par là et
n’ont pas apprécié que l’Inde mette en
place un dispositif qui limite, de fait,
l’importation de cellules et modules
photovoltaïques américains sur le marché
indien. La Maison-Blanche a donc porté
le cas devant l’Organisme des règlements
des différends de l’OMC et a obtenu gain
de cause : les règles du commerce
international interdisent les clauses
fixant des exigences de contenu national
dans les dispositifs de soutien public.
Contraints de
démanteler un dispositif créateur
d’emplois
De telles clauses
sont pourtant des instruments utiles
pour des gouvernements nationaux – ou
même locaux si l’on pense aux appels
d’offres – désireux de soutenir le
dynamisme de l’industrie et de
l’innovation locales. Ces clauses
pourraient être au cœur de vastes
politiques de transition écologique et
sociale visant à relocaliser des
secteurs productifs et assurer des
emplois sur les territoires.
Malheureusement, ces clauses sont la
plupart du temps contraires aux règles
de l’OMC. Des règles que les États
membres ont édictées il y a près de
vingt ans, comme la règle du
« traitement national » qui implique
d’accorder les mêmes avantages à des
multinationales qu’aux entreprises
locales.
Au cours de
l’examen du cas Indien, le gouvernement
Modi fait valoir que son programme
solaire va l’aider à respecter les
engagements pris lors de la COP21. Des
engagements salués par tous les
observateurs le 30 novembre dernier,
lorsque l’Alliance solaire
internationale est dévoilée. Mais l’OMC
rejette cet argument. L’Inde a désormais
le choix : se conformer à la décision de
l’OMC ou risquer des rétorsions
commerciales de la part des États-Unis.
Le Canada et sa province de l’Ontario,
condamnés dans un cas similaire en 2014,
ont préféré démanteler un dispositif qui
avait permis de créer près de 20 000
emplois dans le secteur des énergies
renouvelables [4].
Priorité au commerce
ou au climat ?
Quel que soit
l’avis que l’on puisse avoir sur la
sincérité du gouvernement Modi en
matière de lutte contre le réchauffement
climatique, difficile de ne pas voir
l’absurdité de la décision de l’OMC. De
vieilles règles commerciales supplantent
l’impératif climatique et les politiques
– encore insuffisantes – des États. Le
résultat est extrêmement nocif : les
règles du commerce prévalent, même au
prix de la planète, et elles limitent la
capacité des gouvernements à développer
les énergies renouvelables. Ne serait-il
pas temps d’inverser cette hiérarchie et
faire en sorte que les règles et
principes d’organisation de l’économie
mondiale et du commerce international
soient soumis à l’objectif climatique ?
L’accord de Paris,
aussi historique soit-il, ne le permet
pas. Il a été en effet expurgé, à la
demande de l’Union européenne, de toute
référence au commerce international [5].
La COP21 a montré que le
multilatéralisme onusien n’était pas
(tout à fait) mort. L’occasion est donc
belle de le doter d’outils pour qu’il ne
reste pas une coquille vide. Inverser la
hiérarchie des normes, intégrer l’OMC
dans le giron de l’ONU, confier aux
négociations sur le réchauffement
climatique la possibilité d’intervenir
sur les principes mêmes de l’économie
mondiale, voilà quelques pistes qu’il
faudrait ouvrir, si l’on veut être
sérieux en matière de lutte contre le
réchauffement climatique. C’est un vaste
chantier. Mais la « révolution
climatique » annoncée par François
Hollande n’est-elle pas à ce prix ?
Maxime Combes,
économiste et membre d’Attac France,
auteur de Sortons de l’âge des
fossiles - Manifeste pour la transition,
Seuil, Octobre 2015.
Photo : © Jean de
Peña /
Collectif à-vif(s)
Aller plus loin :
« COP21 :
ratifier c’est bien, changer de
politique c’est mieux - 14 propositions
pour amorcer la "révolution climatique
" ! », publié par l’association Attac,
disponible ici en pdf
Au
nom du climat, rénover les règles du
commerce mondial
Notes
[1] Voir
le site de l’alliance solaire
internationale
[2] Lire
notre article qui décrypte l’accord :
A Paris, les États s’accordent pour
sauver le climat mais ne précisent pas
comment y arriver
[3] Voir
ici
[4] Voir
les documents liés à la décision sur
l’Ontario.
[5] Notre
précédent article :
Accord à la COP21 : même sur une planète
morte, le commerce international devra
se poursuivre sans entraves
Reçu de Maxime Combes
pour publication
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