Pour une "taxe carbone juste", M.
Orphelin, commençons par taxer Total ?
Maxime Combes
Dégazage à la raffinerie Total de
Feyzin, près de Lyon, le 17 août 2018. NurPhoto via Getty Images
Vendredi 15 février 2019
L'essentiel des sites industriels
et des entreprises les plus émettrices
de gaz à effet de serre sont largement
exonérés de la taxe carbone payée par
les ménages.
Dans une tribune
publiée par Le Figaro, 86 députés
réclament une "fiscalité
carbone juste". Sans pour autant
définir précisément son contenu. Soumis
depuis à un déluge de critiques, ces
députés passent leur temps à essayer de
se justifier, transformant, de fait, la
"fiscalité carbone" en un objet toxique.
Ce n'est pourtant pas une fatalité.
"Ce n'est pas le
retour de la taxe carbone" tente de
se justifier Matthieu Orphelin,
initiateur de la tribune, sans même
rappeler que la
taxe carbone existante n'a jamais
disparu, seule son augmentation prévue
en janvier ayant été ajournée. "Une
fiscalité carbone juste socialement est
possible" poursuit-il, appelant à des
"mesures d'accompagnement et de
redistribution". Soit. Comment procéder,
alors que le timing de la proposition
semble la condamner avant même d'être
discutée ? "En réfléchissant ensemble
avec tous les acteurs" propose-t-il.
Cette tribune ne
comporte aucune proposition sérieuse. Ni
sur le taux, ni sur l'assiette de cette
"taxe juste", ni sur l'usage de son
produit. Soit les trois éléments qui
permettent de discuter du bien-fondé
d'une taxe.
On a connu
stratégie plus détaillée. Et proposition
plus élaborée. Hormis quelques principes
généraux, cette tribune ne comporte en
effet aucune proposition sérieuse. Ni
sur le taux, ni sur l'assiette de cette
"taxe juste", ni sur l'usage de son
produit. Soit les trois éléments qui
permettent de définir et discuter du
bien-fondé d'une
taxe. Tout est à discuter. Bref,
rien n'est défini. Profitons-en donc
pour soulever deux points aveugles des
débats autour de la fiscalité carbone.
La taxe carbone
est-elle efficace pour réduire les
consommations de carburants?
La plupart des
commentateurs font comme si la réponse
était "Oui". Comme une évidence. Alors
que ce n'est pas du tout évident. Les
économistes le savent bien. Quand on
augmente le prix d'un bien dont la
consommation est contrainte à
court-terme, il est peu probable que sa
consommation diminue. Et, si elle
diminue, elle diminuera peu. Disons-le
autrement, pour réduire fortement la
consommation de carburants, une
consommation contrainte, il faudrait
augmenter considérablement les prix. Des
études montrent qu'il faudrait doubler
(sic) les prix des carburants à court
terme pour baisser la consommation de
10% à 30% (c'est expliqué dans
cet
article)). C'est impossible.
La taxe carbone
doit-elle se limiter à la consommation
de carburant des ménages?
Le saviez-vous?
L'essentiel des sites industriels et des
entreprises les plus émettrices de gaz à
effet de serre en France sont largement
exonérés de la taxe carbone payée par
les ménages, les artisans et les petites
entreprises. On parle ici de 1400 sites,
industriels ou non, qui représentent
environ 107 millions de tonnes de CO2
relâchés dans l'atmosphère en 2017. Des
émissions en hausse de 5% par rapport à
2016 selon les données de l'Agence
environnementale européenne.
Précisons. Pour les
ménages, artisans et petites
entreprises, c'est assez simple: chaque
fois que l'on fait son plein de
carburant –ou que l'on remplit sa cuve
de fioul– on paie la taxe carbone sur
chaque litre acheté. Pour ces 1400 sites
industriels les plus polluants du pays,
la situation est bien plus avantageuse.
Ils sont soumis au marché carbone
européen. Soumis est un bien grand mot:
le prix de la tonne carbone –dans les
rares cas où ils doivent payer– est bien
plus faible.
On parle ici de
1400 sites, industriels ou non, qui
représentent environ 107 millions de
tonnes de CO2 relâchés dans l'atmosphère
en 2017. Des émissions en hausse de 5%
par rapport à 2016.
PPrenons un exemple.
La multinationale Total, qui est le
19ème plus gros émetteur de gaz à effet
de serre au monde entre 1988 et 2015, a
reçu gratuitement, pour ses seules
raffineries en France, 71% des quotas de
pollution dont elle avait besoin en 2017
pour avoir le droit de relâcher dans
l'atmosphère des émissions de gaz à
effet de serre. Le reste elle l'a
acheté, à faible coût. Entre 5 et 17
euros la tonne, soit de 3 à 6 fois moins
cher que la tonne carbone pour les
ménages (44,6 euros en 2018 et 2019).
Une proposition:
appliquer le principe du
"pollueur-payeur" aux plus grands
pollueurs?
Cette proposition
est simple: instaurer unilatéralement et
immédiatement une taxe carbone
complémentaire pour l'ensemble des sites
industriels français soumis au marché
carbone européen afin que chaque tonne
de carbone relâchée soit taxée au même
niveau que les carburants achetés par
les ménages, artisans et petites
entreprises.
C'est un
principe de justice climatique/b>:
taxer les gros pollueurs pour les
inciter à polluer moins.
C'est un
principe de justice fiscale: aucune
raison que Total et les plus gros
pollueurs paient moins que nous.
C'est un
principe de justice sociale: le
produit de cette taxe pourrait être
utilisé pour aider les ménages les plus
modestes.
C'est un
principe de bon sens: délégitimée
dans l'opinion, la taxe carbone
regagnerait ses galons si elle
s'appliquait avec force sur ceux qui
polluent le plus.
La question est
donc simple. Matthieu Orphelin et les 85
autres députés qui veulent réhabiliter
la taxe carbone sont-ils prêts à
soutenir cette proposition?
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