Accueil Actualité IRIB Dossiers Auteurs Communiqués Agenda Invitation à lire Liens Ressources
Dernières mises à jour La Voix de la Russie Journaux de Cathy et Marc Les vidéos Centre d'infos francophone Ziad Medoukh Centre de la Paix Gaza Université al-Aqsa Gaza Qui? Pourquoi?

Google
sur le web sur Palestine Solidarité

Centre Palestinien
d'Information

 


Invitation à lire





Réseau Voltaire



BDS



Solidarité



Produits palestiniens



En direct d'Iran



Voix de la Russie



Agence syrienne



Palestine Solidarité
sur Facebook







Ecologie

Laisser le pétrole dans le sol :
la lutte pour Yasuni se poursuit !
Maxime Combes

Mercredi 6 novembre 2013

Âprement promue et discutée, y compris en France, l’initiative Yasuni est toujours portée par les organisations écologistes et indigènes qui en furent à l’origine, n’acceptant pas que le président équatorien ait annoncé vouloir y mettre fin. Mobilisées comme jamais, elles multiplient les actions de résistance et tentent de rassembler 600 000 signatures pour imposer un référendum d’initiative populaire. Alter-Echos (www.alter-echos.org) revient sur l’histoire d’une proposition hors-norme et sur l’actualité des luttes en cours en Equateur.

Le 15 août 2013, le président équatorien, Rafael Correa, signait un décret annonçant mettre fin à ce qui était sans doute l’initiative écologique la plus originale de ces dernières années : laisser le pétrole du parc Yasuni dans le sol. Interdite par la nouvelle Constitution équatorienne de 2008, l’extraction des ressources non renouvelables dans une zone protégée comme le parc national Yasuni a été rendue possible par le Parlement qui l’a décrétée (1) « d’intérêt national » le 3 octobre dernier, levant ainsi le blocage constitutionnel.

Portée par la société civile comme alternative à l’exploitation pétrolière

La proposition visant à laisser le pétrole du parc Yasuni dans le sol a surgi des luttes et résistances des populations indigènes et non-indigènes, comme une alternative concrète aux désastres causés par l’exploitation pétrolière en Amazonie (2) depuis les années 1960. Il y a plus d’une dizaine d’années, des organisations écologistes et indigènes ont fait connaître internationalement leur exigence d’un moratoire général sur toute nouvelle exploitation pétrolière dans la zone centre sud de l’Amazonie équatorienne. Bien que ce soit un parc national classé par l’UNESCO en 1989, d’une superficie totale de 9823 kilomètres carrés, du pétrole est déjà exploité dans plusieurs zones (voir croquis (3)). Seule une poignée de gardes forestiers sillonnent le parc, dont la survie doit plus à sa difficulté d’accès et aux luttes indigènes qu’aux velléités de protection des gouvernements équatoriens successifs.

Face à la pression des entreprises pétrolières et au non-respect de l’intégrité des parcs nationaux, se constitua la proposition de ne pas toucher au pétrole des champs Ishpingo, Tambococha et Tiputini (qui donnent le sigle ITT) situés dans la partie la plus orientale du parc Yasuni, et représentant à peine 10% de la superficie totale du parc. Il s’agit alors de bloquer l’avancée de la frontière pétrolière en Amazonie, et ainsi protéger la biodiversité et les populations autochtones, notamment les populations dites « non contactées »(4), de la région. La région Yasuni, extrêmement sensibles aux pollutions, est à la fois une des régions équatoriennes les plus pauvres sur le plan économique, et une des régions les plus riches et diverses sur le plan écologique (5).

Un engagement gouvernemental vers un horizon post-pétrolier

C’est Alberto Acosta, ministre de l’Energie de Rafael Correa en 2007, qui a hissé cette exigence des mouvements dans l’arène politique puis au niveau gouvernemental. Elle prend alors la forme d’un engagement présidentiel et gouvernemental visant à ne pas exploiter le pétrole des champs ITT du parc Yasuni, soit environ 900 millions de barils de pétrole représentant 20 % des réserves de l’Equateur et 10 jours de consommation mondiale de pétrole. Mais cet engagement est alors également perçu comme une première étape dans la perspective de se tourner vers un horizon post-pétrolier.

Avec la nouvelle Constitution de 2008, la proposition Yasuni prend un tour nouveau. Ainsi l’article 14 reconnaît « le droit des peuples à vivre dans un environnement sain et écologiquement équilibré, qui garantit la durabilité et le bien-vivre, le sauma-kawsay », tandis que l’article 57 fait des territoires des populations non contactées des territoires « de possession ancestrale irréductible et intangible, et préservés de toute activité extractive », l’Etat se retrouvant en charge de « garantir leur vie, de faire respecter leur autodétermination et (…) de s’assurer le respect de leurs droits ». Yasuni devient le symbole de la traduction en actes de nouveaux droits et principes constitutionnalisés, y compris des droits de la nature, grande nouveauté de cette nouvelle Constitution.

D’hésitations en renoncement, histoire d’une abdication devant les intérêts pétroliers

En devenant un engagement présidentiel et une nouvelle politique publique, la proposition se dote de nouvelles justifications qui en modifient le sens. Sollicitée comme un geste de solidarité internationale face à l’effort équatorien consistant à ne pas exploiter le pétrole des champs ITT, l’exigence d’une compensation écologique s’est ajoutée aux arguments écologiques et sociaux. Ainsi, lors de la conférence internationale de l’ONU sur le climat de Cancun (Mexique) en décembre 2010, Rafael Correa conclut son intervention en appelant la communauté internationale à verser 3,6 milliards de dollars en compensation de cette non-exploitation. Petit à petit, le volet économique de l’argumentation a pris plus d’importance, quitte à ce que l’arbitrage coût-bénéfice de l’opération devienne le critère déterminant de la poursuite du projet, au détriment des objectifs écologiques ou sociaux. Combien l’Equateur allait-il gagner ou perdre dans l’opération est peu à peu devenu l’enjeu prépondérant.

Dans le même temps, la proposition Yasuni du président équatorien a suscité un vif intérêt, et un engouement certain, chez celles et ceux qui cherchaient un second souffle après le sommet sur le climat de Copenhague et l’enlisement des négociations climatiques internationales. Dans cette perspective, la quantité d’émissions de gaz à effets de serre évitées par la non-exploitation a été mise en avant comme un critère déterminant. Soit 407 millions de tonnes de CO2. Soit pas grand chose au regard des émissions mondiales (35 gigatonnes), mais un symbole fort venant d’un pays du Sud dont la responsabilité dans le réchauffement climatique mondial est extrêmement limitée. Le président équatorien ne s’y est d’ailleurs pas trompé en pointant l’inaction des pays du Nord et « le projet phare de la révolution citoyenne » de l’Equateur. Certains de ses conseillers ont même imaginé pouvoir relier le projet Yasuni aux dispositifs de compensation carbone internationaux (marché carbone ou dispositifs REDD).

Chantage inefficace au plan B

La proposition a pris encore plus de poids international lorsque le gouvernement équatorien a signé un accord avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) créant un fonds spécial destiné à recevoir les contributions internationales. Administré par le PNUD, en accord avec les pays donateurs, ce fonds devait être le véhicule pour réceptionner les 3,6 milliards de dollars réclamés par le président équatorien. Pourtant, à plus d’une occasion, Rafael Correa et des membres de son gouvernement ont semblé vouloir torpiller leur propre initiative en évoquant un plan B, consistant à exploiter le pétrole des champs ITT si les donations n’étaient pas assez généreuses.

A l’été 2011, une délégation de représentants d’organisations écologistes et indigènes équatoriennes et internationales, s’est publiquement interrogée sur l’étrange façon du gouvernement équatorien de promouvoir l’initiative Yasuni. « Qui va prendre un gouvernement au sérieux si chaque fois qu’il s’exprime il annonce qu’il va exploiter Yasuni si on ne lui donne pas de l’argent », s’est ainsi interrogé Humberto Cholango, président de la Confédération des nations indigènes d’Equateur (CONAIE). De son côté, Alberto Acosta, un des premiers promoteurs de l’initiative, a très régulièrement dénoncé l’usage immodéré du plan B. Ce qui lui fait dire que « l’acteur le plus important est le Président, mais également la plus grande menace » du projet Yasuni, « ne délivrant pas les signaux de confiance pour que le projet prospère ».

Des contradictions aux prémisses du projet

Certains militants et intellectuels indigènes, comme Pablo Ortiz, font remarquer que ces contradictions étaient présentes depuis le début du projet gouvernemental. Ainsi, en 2007, à peine le projet Yasuni était-il repris par Rafael Correa, que la décision de construire sur la côte Pacifique  une nouvelle raffinerie capable de traiter 300 000 barils par jour provenant de l’Amazonie équatorienne était prise. Depuis, on ne compte plus les prolongements de permis existants d’exploration ou d’exploitation pétrolière. Et une onzième campagne d’attribution de nouveaux permis a été lancée par le gouvernement. Autant d’éléments peu enclins à convaincre de la sincérité et de la détermination du gouvernement équatorien à envisager un tournant post-fossile. Il faudrait y rajouter le fait d’avoir confié la promotion de l’initiative à Yvonne Baki, intervenue par le passé en faveur de Chevron.

Sur les 3,6 milliards escomptés, seuls 13 millions de dollars ont effectivement été récoltés et 116 millions promis. Trop peu pour qui établit la réussite du projet sur la base d’un arbitrage économique coût-bénéfice. Estimant que « le monde nous a lâchés », Rafael Correa a donc engagé en août dernier le Plan B, celui qui ouvre à l’exploitation du brut afin de « financer la lutte contre la pauvreté », notamment en Amazonie. Le président équatorien considère qu’il devait choisir entre « un parc Yasuni 100 % préservé et ne pas avoir d’argent pour lutter contre la pauvreté, ou 99 % du parc intact et disposer de 18 milliards de dollars » tirés de l’exploitation pétrolière. Il a choisi la seconde option, tout en promettant des techniques qui minimisent l’impact écologique sur la zone concernée.

Critiques écologiques et sociales

Suite à la décision de Rafael Correa, les critiques ne se sont pas faites attendre. Il y a d’abord celles qui s’attaquent à la propre argumentation présidentielle. Sur l’impact écologique, des organisations comme Accion Ecologica ont rappelé que le brut lourd des champs ITT nécessite d’être traité sur place pour être plus facilement extrait et déplacé, ce qui augmente considérablement les pollutions des eaux et des terres. Sur dix barils extraits, il est estimé qu’il ne sera récupéré qu’un seul baril de pétrole pour neuf barils d’eaux toxiques, soit l’équivalent de plus d’un million de piscines olympiques de déchets à traiter. Quant à la préservation de 99 % du parc national Yasuni, voilà une promesse peu crédible : les champs ITT sur lesquels portent les engagements présidentiels ne couvrent que 10 % de la superficie du parc Yasuni alors que 350 000 hectares du parc, plus de 30 % de sa surface, font déjà l’objet de prospections et d’exploitations pétrolières.

Sur le plan économique et social, le Centre des droits économiques et sociaux et l’Observatoire des droits collectifs d’Equateur considèrent que « la lutte contre la pauvreté ne dépend pas de l’exploitation de Yasuni – ITT, puisqu’elle est le résultat de structures injustes de la répartition des revenus ». Ces deux organisations ont publié un Plan C de « redistribution de la richesse pour ne pas exploiter le Yasuni et protéger les peuples non contactés ». Il a été fait remarquer que les 18 milliards de dollars annoncés, soit moins de 800 millions de dollars par an pendant 25 ans, semblent bien peu au regard des 52 milliards de pétro-dollars entrés dans les caisses de l’Etat entre 2007 et 2013, qui n’ont manifestement pas permis d’éradiquer la pauvreté. Un gouvernement de gauche n’aurait-il pas pu augmenter les impôts des entreprises privées pour récupérer un pactole bien supérieur ? Ainsi les 110 plus grandes entreprises, représentant 60 % du PIB équatorien, paient moins de 3 % d’impôts alors que leurs revenus ont encore cru de 9 % entre 2011 et 2012. Un montant additionnel de 1,5 % sur leur impôt permettrait de récolter près de 2 milliards de dollars par an, soit bien plus que la rente pétrolière tirée des champs ITT.

Protéger les droits des êtres humains et de la nature

Pour Eduardo Gudynas, intellectuel sud-américain, « Correa et ses plus proches collaborateurs n’ont jamais vraiment compris le cœur de la proposition ». Pour lui, l’obligation de préserver le parc national provenait de la nécessité de protéger les droits des êtres humains et de la nature reconnus par la Constitution. « Cela n’a rien à voir avec le fait de savoir si ce site procure ou pas un service écologique au reste de la planète », « il doit être protégé comme partie intégrante du patrimoine écologique équatorien et de ses populations indigènes ». Sur cette base, les opposants à l’exploitation considèrent que l’extraction serait « un ethnocide » tel que reconnu par l’article 57 de la Consitution.

Eduardo Gudynas poursuit en affirmant qu’un « pays ne peut demander une compensation à d’autres pays pour accomplir ce que lui impose sa propre constitution ». Pour Pablo Solon, ancien ambassadeur de la Bolivie auprès de l’ONU, « la préservation de la nature et des droits de la Terre-Mère ne peuvent être basés sur le fait d’attendre que le monde capitaliste paie sa dette environnementale ». « Si nous voulons faire que les pollueurs paient, il faut changer le rapport de force » affirme-t-il.

« Yasunidos », la lutte pour Yasuni se poursuit

Depuis l’annonce de Rafael Correa et la confirmation du parlement équatorien, les opposants à l’exploitation des champs ITT du parc Yasuni ont ouvert plusieurs fronts différents. Sur le plan légal, un recours constitutionnel et une action devant la Commission interaméricaine des droits humains pour faire reconnaître la nécessité de mesures de protection en faveur des populations non contactées sont en cours. Les manifestations, actions de rue et de résistance se sont également multipliées au cours des derniers mois. « Les jeunes ne seront pas complices de la destruction de Yasuni » a-t-il été scandé lors des premières protestations organisées dès le mois d’août. Les groupes de femmes d’Amazonie ont également passé plusieurs jours dans Quito pour exprimer leur « rejet de l’extension de la frontière pétrolière avec la délivrance de nouveaux permis et la future exploitation de Yasuni », selon Patricia Gualingua.

Les plateformes YASunidos et Frente de Defensa de la Amazonia ont décidé de s’appuyer sur le fort rejet de l’exploitation de Yasuni par la population équatorienne – certains sondages indiquent jusqu’à 90 % d’opposants – pour initier une procédure visant à convoquer un référendum d’initiative populaire. Pour cela, il leur faut collecter près de 600 000 signatures, soit 5 % de l’électorat équatorien, pour exiger un référendum sur la question suivante : Etes-vous d’accord pour que le gouvernement équatorien maintienne indéfiniment sous terre le (pétrole) brut du bloc Ishpingo, Tambococha et Tiputini (ITT), connu comme le bloc 43 ? Le recueil des signatures bat son plein et les organisateurs semblent confiants. Ils invitent les non-Equatoriens à soutenir financièrement cette initiative. En cas de succès, le conseil national électoral serait tenu d’organiser le référendum. Rafael Correa a mis au défi ses détracteurs, persuadé qu’ils ne pourront pas les obtenir.

Enfin, la décision de Rafael Correa pourrait produire des effets au delà des frontières équatoriennes. En effet, la disparition de l’une des propositions alternatives les plus emblématique de la recherche et mise en œuvre d’une voie post-pétrolière et post-extractiviste pourrait être perçue comme un signe encourageant les projets miniers et pétroliers dans les zones naturelles et les territoires indigènes. Notamment en Amérique du Sud. Comme si ces pays n’avaient pas d’autres horizons que de fournir des matières premières au reste du monde. Raison pour laquelle des premières actions de solidarité internationale ont vu le jour. Ainsi une dizaine d’organisations espagnoles ont envoyé un message au président équatorien, tandis le groupe Yasunidos a transmis une lettre de soutien aux militants contre les gaz et pétrole de schiste du monde entier, considérant qu’il s’agissait d’un pas supplémentaire « dans la critique de la civilisation du pétrole ».

(1) 108 voix pour et 25 contre

(2) Voir par exemple ce site qui établit l’histoire des dommages environnementaux causés par Chevron en Equateur, et cet article sur les décisions judiciaires à l’encontre de Chevron en Equateur que la firme américaine rejette par tous les moyens juridiques et politiques à sa disposition.

(3) Source des croquis : http://www.larepublica.ec/rafagas/2013/08/20/itt-para-ninos/

(4) Populations qui ont décidé de vivre sans être en contact avec d’autres populations.

(5) On y compterait 696 variétés d’oiseaux, 2 274 d’arbres, 382 de poissons, 169 de mammifères ou encore 121 de reptiles, ainsi que des dizaines de milliers d’espèces d’insectes.

Publié sur AlterEchos

 

 

   

Le dossier écologie
Le dossier Amérique latine
Les dernières mises à jour



Source : Maxime Combes

Les avis reproduits dans les textes contenus sur le site n'engagent que leurs auteurs. 
Si un passage hors la loi à échappé à la vigilance du webmaster merci de le lui signaler.
webmaster@palestine-solidarite.org

Ziad Medoukh

Analyses et poèmes


Silvia Cattori

Analyses

René Naba

Analyses

Manuel de Diéguez

Analyses

Fadwa Nassar

Analyses et traductions

Alexandre Latsa

Un autre regard sur la Russie

Ahmed Halfaoui

Analyses

Chérif Abdedaïm

Chroniques et entretiens
 
Luc Michel

Analyses

Robert Bibeau

Analyses
 
Salim Lamrani

Analyses