Actualité
Macron dit non à la convention citoyenne
à propos du CETA: quelles leçons en
tirer?
Maxime Combes
Jeudi 2 juillet 2020
Lundi 29 juin, Emmanuel Macron a refusé
de mettre fin au CETA comme le proposait
la Convention citoyenne pour le climat.
Le CETA va continuer à s'appliquer alors
qu'il n'est pas ratifié, permettant à
Macron de confisquer le débat et ne pas
se confronter à l'opinion publique. Sans
« aucun tabou », Macron montre qu'il
souhaite ripoliner en vert le
productivisme néolibéral sans le
transformer.
C'était l'une des
mesures phares des 149
propositions issues de la Convention
citoyenne pour le climat : ne pas
ratifier le CETA et rouvrir les
négociations sur le contenu de cet
accord de libéralisation du commerce et
de l'investissement entre l'UE et le
Canada. C'était aussi l'une des mesures
pouvant être prise de façon immédiate
par Emmanuel Macron. C'était enfin l'une
des rares mesures qui aurait pu incarner
la volonté manifestement affichée par le
chef de l'exécutif de verdir son mandat.
Emmanuel Macron l'a purement et
simplement écartée d'un revers de la
main, aggravant la situation
abracadabrantesque qui entoure le CETA.
Une situation
abracadabrantesque
Voilà en effet un
traité international qui s'applique très
largement depuis le 21 septembre 2017
alors que le processus de ratification
n'est pas arrivé à son terme – ni en
France ni au sein de l'UE – et
qu'Emmanuel Macron se semble pas pressé
de terminer. Il a d'abord laissé passer
les élections européennes de mai 2019
pour l'inscrire à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale et ainsi éviter
que le débat ait lieu au grand jour
avant l'élection. Voté en juillet 2019
par une courte majorité, le texte avait
été présenté en procédure accélérée.
Oui, en « procédure accélérée » : un an
plus tard, de report en silence, et de
silence en report, il n'a toujours pas
été présenté au Sénat.
Le CETA s'applique
ainsi de façon « provisoire » depuis
presque deux ans. Mais c'est comme si
Emmanuel Macron avait décidé de geler le
processus de ratification pour entériner
cette « application provisoire ». Une
congélation du processus sans date de
péremption, puisqu’aucun délai légal de
ratification ne s'impose à la France.
Sans doute l'exécutif n'y voit-il que
des avantages : 1) voilà donc un accord
qui s'applique déjà, pour l'essentiel de
son contenu ; 2) le Sénat,
majoritairement opposé à cet accord, n'a
pas l'opportunité de voter et se
démarquer de la majorité
présidentielle ; 3) l'exécutif ne prend
pas le risque de voir sa majorité à
l'Assemblée nationale, où le texte
reviendra en dernier ressort, s'effriter
encore un peu plus à ce sujet.
Un joker caché
En écartant
donc sans ménagement la proposition des
150 membres de la Convention citoyenne
pour le climat, Emmanuel Macron
confisque à la fois le processus de
ratification légal du CETA et, en même
temps, un débat public sur un accord
éminemment controversé à propos duquel
la société civile s'est largement
mobilisée (lire
notre rapport). A l'heure où la
pandémie de COVID19 a mis en exergue les
failles de la mondialisation néolibérale
et productiviste, et alors que 90% des
sondés appellent à une relocalisation
des filières économiques, le président
de la République, qui parle dès qu'il
peut de « souveraineté économique »,
entérine l'approfondissement de cette
mondialisation en maintenant
l'application provisoire du CETA
Devant la
Convention citoyenne, Emmanuel Macron a
dit aux 150 tirés au sort qu'il voulait
que « toutes leurs propositions qui sont
prêtes soient mises en œuvre au plus
vite », à l'exception de « trois
jokers » (taxe sur les dividendes,
modification du préambule de la
Constitution, 110 km/h) : manifestement,
le refus de stopper la ratification et
de renégocier le CETA est un joker non
annoncé, mais a été joué sans réserve.
On voit mal en effet Emmanuel Macron
revenir dans quelques jours devant
l'opinion pour annoncer qu'il va
finalement suivre la proposition de la
Convention citoyenne. C’est donc
bien une autre des propositions
patiemment élaborées par les 150 membres
de la Convention qui se trouve
enterrée.
« Sans tabou »
pour générer du flou
Reconnaissons
qu'Emmanuel Macron a été habile pour
générer encore un peu plus de flou à ce
sujet. S'il s'est dit « sans tabou » à
propos du CETA, il a surtout rejoué la
même partition qu'à l'été 2017. Plutôt
que décider, il a de nouveau proposé
d'évaluer l'accord, en précisant que
« si l’évaluation montre qu’il n’est pas
conforme à la trajectoire de Paris », il
acceptera de « l'abandonner ». Cet
engagement a déjà été pris entre les
deux tours de l'élection présidentielle.
Une commission d'experts a déjà été
nommée. Elle a déjà rendue son
rapport. Celui-ci est clair :
« le climat est le grand absent du
CETA ».
Emmanuel Macron n'a
donc aucun tabou pour rejouer, avec
imprécision, une carte qu'il a déjà
jouée en 2017. Il y a trois ans déjà, il
n'avait pas tiré les conclusions qui
s'imposaient : ne pas mettre en œuvre et
ne pas ratifier le CETA. A chaque fois,
le stratagème est double : 1) gagner du
temps et ne pas trancher en espérant que
le temps décide pour lui ; 2) essayer de
ne pas perdre immédiatement le crédit
qu'il tente de se donner en matière
écologique. Résultat : le CETA va
continuer à s'appliquer sans réelle
perspective : pas de date limite pour la
fin de la ratification et de
l'application provisoire, pas de
véritable processus d'évaluation. Voilà
la situation abracadabrantesque dans
laquelle se complait Emmanuel Macron et
dans laquelle il nous enferme alors
qu'il serait urgent de changer de
politique en matière de commerce et
d'investissement.
En tirer les
leçons
Celles et ceux qui
avaient lu dans la proposition de la
Convention citoyenne le levier ultime
pour sonner le glas du CETA en sont pour
leurs frais. Il nous faut collectivement
en tirer les leçons. Aussi bien sur le
plan institutionnel que sur le fond du
dossier. Sur le plan institutionnel, on
le voit clairement sur cet exemple, une
Convention citoyenne qui n'obtient pas
des garanties inscrites dans le marbre
sur le devenir de ses propositions reste
soumise au pouvoir discrétionnaire d'un
homme seul, le président de la
République, qui s'arroge le droit de
décider de tout, en fonction de ses
seuls impératifs politiques,
idéologiques et économiques. C'est
profondément anti-démocratique et cela
va à l'encontre de l'objectif même d'une
convention citoyenne qui consiste à
revitaliser le débat démocratique.
Sur le fond du
dossier, le temps est venu d'arrêter de
faire de l'Accord de Paris le juge de
paix des accords de libéralisation du
commerce. Ce n’est pas le bon critère
permettant de discriminer entre ceux qui
pourraient être acceptés et ceux qui
devraient être rejetés : l'accord de
Paris, aussi utile soit-il, n'est pas
doté d'instruments permettant de réguler
le commerce international du point de
vue de l'urgence climatique. Cette
approche permet en plus à Emmanuel
Macron d'affirmer d’un côté qu'il ne
veut pas de l'accord avec le Mercosur
(mais
sans rien faire pour l'empêcher) car
Jair Bolsonaro ne serait pas dans les
clous de l'Accord de Paris. Et de
l’autre de faire comme si le CETA ne
posait pas de problème alors que le
Canada est le pire pays du G20 du point
de vue de
ses émissions de GES par habitant et
que Justin Trudeau
vient de débloquer des
milliards de dollars pour sauver son
secteur pétrolier.
Comme nous l'avons
expliqué par ailleurs (Du
mauvais usage de l’accord de Paris en
matière de commerce, Politis),
l’accord de Paris n’est donc pas le bon
critère pour juger de la politique
climatique d’un pays tiers, ni pour en
renforcer l’ambition. Faire comme si,
c'est éluder 99 % du problème et montrer
une très mauvaise compréhension de
l’impact des politiques de
libéralisation du commerce sur le
climat. On ne désarme pas les règles
climaticides du commerce international
en signant de nouveaux accords de
commerce. Quelques clauses internes aux
accords de libre-échange ne suffiront
pas plus à dompter la libéralisation des
échanges et des investissements : la
protection des droits humains, du climat
et de l’environnement ne saurait être
confiée au droit du commerce.
Enfin,
reconnaissons dans cet épisode un moment
de clarification. Annoncer reprendre
l'essentiel des 149 propositions de la
Convention citoyenne pour le climat,
mais pas l'abandon du CETA, illustre
l'orientation politique et idéologique
d'Emmanuel Macron : ripoliner en vert le
productivisme néolibéral sans en changer
les fondements. Les 30 dernières années
ont montré, par l'exemple, que cette
approche est profondément disqualifiée
parce qu'inefficace sur le plan
écologique, en plus d'être dramatique
sur le plan social et démocratique. Nous
avons besoin de toute autre chose pour
faire face à la gravité de la situation
à laquelle nous sommes confrontés (lire
nos propositions dans le petit livre
Ce qui dépend de nous – Manifeste
pour la relocalisation écologique et
solidaire, éditions Les Liens
qui libèrent, juin 2020)
Maxime
Combes, économiste, en charge
des enjeux commerce/relocalisation à l’Aitec
et porte-parole d'Attac France. Auteur
de « Sortons de l'âge des fossiles !
Manifeste pour la transition » (Seuil,
2015).
Le dossier écologie
Les dernières mises à jour
|