Venezuela
« Droits-de-l’homme-au-Venezuela » :
aux « sources » de la désinformation
Maurice Lemoine
Journaliste et ancien rédacteur en chef
du Monde diplomatique, Maurice Lemoine
(ici au Paraguay) couvre l’Amérique
Latine depuis plus de quarante ans.
Derniers ouvrages parus : “Chávez
Presidente”, « Sur les eaux noires du
fleuve », “Cinq cubains á Miami”,
“Les
enfants cachés du général Pinochet”
et « Venezuela,
chronique d’une déstabilisation
»
Mercredi 9 octobre 2019 Copie à (entre
autres) :
médiateur du
Monde
mediateur@lemonde.fr
médiatrice de
Radio France
http://mediateur.radiofrance.fr/mediateur/
Quelle discrétion
d’un seul coup… A croire que le
Venezuela avait disparu ! Depuis le 23
janvier, un babil incessant et plutôt
enthousiaste accompagnait « les
aventures de Juan Guaido », le
« président » élu par Donald Trump et
censé renverser Nicolás Maduro en (au
grand maximum) deux temps, trois
mouvements. « Juan Guaido et l’aide
humanitaire « Juan Guaido et ses copains
(de l’Organisation des Etats
américains) », « Juan Guaido et ses
super-amis du Groupe de Lima », « Juan
Guaido et son gouvernement de
transition », « Juan Guaido et l’appui
de la communauté internationale » (une
imposante cinquantaine de membres sur
les malheureux 193 pays présents à
l’ONU) …
On n’oubliera pas,
bien sûr, « l’obstination de Maduro »,
« la dérive autoritaire de Maduro »,
« les sanctions de l’Union européenne
contre Maduro », « Maduro isolé », « Maduro
acculé », « la chute prochaine de Maduro »…
Et puis soudain,
silence complet. Incompréhensible ? Pas
vraiment, si l’on y regarde de plus
près.
Car il s’est passé
deux ou trois événements pas tout à fait
mineurs pendant cette pause médiatique
incongrue. Par exemple : la découverte
des dessous du show qui, les 22 et 23
février, après un grand concert
« Venezuela Aid Live » organisé par le
multimillionnaire Richard Branson,
devait permettre l’entrée en grandes
pompes dans la République bolivarienne
d’une aide dite « humanitaire » depuis
la ville frontalière de Cúcuta, en
Colombie.
On s’en souvient,
sous le coup d’une mesure judiciaire,
Guaido n’avait pas le droit de sortir du
Venezuela. C’est pourtant bien en
Colombie qu’on l’a retrouvé le jour dit,
heureux, hilare, triomphant. Pour ce
faire, Guaido est sorti de son pays
clandestinement, « au risque de sa
vie », le 22 février. Comme dans toute
opération de ce genre, c’est-à-dire
clandestine, il a dû être aidé. Non par
des militaires vénézuéliens, comme il
l’a prétendu. Photos irréfutables à
l’appui, prises par les principaux
intéressés, on sait désormais que, pour
passer d’un territoire à l’autre, à
travers les « trochas »
(sentiers) d’une zone hautement sensible
et particulièrement agitée, il a pu
compter sur l’escorte d’une bande de
narco-paramilitaires colombiens, Los
Rastrojos. Outre le trafic de
stupéfiants sur la côte pacifique et la
frontière vénézuélienne, ces criminels
ont comme activité la contrebande
d’essence le long de cette même
frontière, afin de la revendre ou de
l’utiliser comme précurseur dans la
production de cocaïne, l’extorsion, la
violence sexuelle, l’intimidation, les
assassinats sélectifs et les
déplacements forcés. Pas de quoi
fouetter un chat. Encore moins un ardent
démocrate, comme Guaido.
Parmi les alliés de
Juan Guaido, Les « Rastrojos »,
organisation paramilitaire colombienne
consacrée au trafic de drogue et
responsable de nombreux massacres (note
de
Venezuelainfos)
De sorte que, au
sortir du passage boisé et bourbeux
ayant permis au « sauveur du Venezuela »
d’arriver côté colombien de la ligne de
démarcation, c’est Jonathan Zambrano
García, alias « Patrón Pobre »
(responsable des kidnappings et de la
contrebande d’essence) qui lui a servi
de chauffeur et l’a mené au pont
Aguaclara, à 7 kilomètres de là.
Accueilli par un édile de la ville de
Cúcuta, Guaido put ensuite rejoindre le
lieu du concert grâce à un hélicoptère
envoyé à son intention par le président
colombien Iván Duque.
On passera
rapidement sur les absurdes allégations
d’un Guaido prétendant avoir ignoré
l’identité de ses passeurs et s’être
contenté de faire des « selfies » avec
eux (« Je me fais prendre en photo
avec beaucoup de gens ! »). De
Colombie même, sont arrivés des
compléments d’information expliquant
comment, pendant vingt-quatre heures,
Los Rastrojos avaient imposé un état de
siège à la population, dans la zone par
laquelle devait transiter l’important
personnage, afin de lui assurer
discrétion et sécurité.
Délicate situation
pour les médias. Il flotte dans le
sillage de leur « gendre idéal » une
odeur tout à fait nauséabonde.
Apparaissent au grand jour les
accointances de la droite vénézuélienne
avec ce qui se fait de pire en matière
de criminalité. Quand au gouvernement
colombien, le voilà pris la main dans le
sac, utilisant ces groupes, qu’il est
censé combattre, pour déstabiliser le
Venezuela.
En Colombie même,
El Espectador, Semana, El
Tiempo, Caracol, RCN, etc., se
taisent jusqu’à ce que, les fameuses
photos circulant en boucle sur les
réseaux sociaux et le sénateur
d’opposition Gustavo Petro dénonçant les
« liaisons dangereuses » entre le
pouvoir colombien et les « narcos », il
devienne impossible de continuer à faire
silence. L’expression « photos
polémiques » revient dès lors en
leitmotiv, vision quelque peu réductrice
qui permet de « noyer le poisson ». A
l’étranger, s’allument les contre-feux.
L’espagnol El Mundo titre (13
septembre) : « Le chavisme tente de
salir l’image de Juan Guaido en le liant
aux paramilitairesi ».
Devant tenir compte des divisions de
plus en plus profondes au sein de la
droite vénézuélienne, où la stratégie
suicidaire et dangereuse de Guaido se
voit chaque jour un peu plus contestée,
le pourtant férocement « anti-Maduro »
El País, consacre à l’affaire un
article mi-chèvre mi-chou (13
septembre). La presse anglo-saxonne n’en
fait pas des kilos (ni même des
décigrammes). D’une façon générale, on
ne voit guère dans les faits que de la
confusion, une foule de petits
événements sans liaison et sans suite.
En France, la noble
corporation des journaleux semble se
rallier à la formule « nous sommes
submergés d’informations, on les oublie
aussi vite qu’on les lit et les entend,
inutile de charger la barque avec des
péripéties sans intérêt ». Seuls, et en
mode très mineur, Radio France
International (RFI),
sur son site Internet, France 24
(mais dans sa version espagnole
uniquement)ii,
Le Figaro et L’Express, à
travers les dépêches d’agences de presse
(ce qui est toujours mieux que rien),
Le Parisien et enfin Le Monde
(13 septembre, exclusivement sur le Web)
mentionnent l’épisode. Après un titre
évoquant les liens « supposés »
de Guaido avec les narcotrafiquants, le
quotidien du soir précise toutefois à
l’intention de quiconque aurait des
doutes sur le « méchant » de l’histoire
: « Juan Guaido fait déjà l’objet de
plusieurs enquêtes lancées par le
pouvoir chaviste qui tente de
l’évincer ». Les radios et
télévisions de « service public » ?
Aucune réaction. Les éditorialistes,
intellectuels et consultants ? Aux
abonnés absents. Patrick Cohen, Nicolas
Demorand, Léa Salamé, Guillaume Erner,
David Pujadas, Eric Brunet, Nathalie
Saint Cricq, Jean-Michel Aphatie, Yves
Calvi, Elisabeth Quin, Laurent Joffrin ?
Allons, allons, pas de parano. Ils ne
censurent pas, ils sélectionnent… La
stratégie de la prudence consiste à
réciter ce qu’on attend de vous. Dans le
temps, il ne fallait pas désespérer
Billancourt. Aujourd’hui, il convient de
ne pas chagriner le président Emmanuel
Macron et l’Europe bruxelloïde qui
sanctionnent Caracas et ont reconnu
Guaido. Le Venezuela n’intéresse plus
personne, subitement.
Même omerta à
l’occasion d’un fait hautement
significatif survenu à New York, à
l‘occasion du débat général de la 74e
session de l’Assemblée générale des
Nations Unies. Le 26 septembre, le chef
de l’Etat colombien Iván Duque doit s’y
exprimer. Il arrive d’un pays en plein
marasme. Fin mars, le très officiel
Défenseur du peuple, Carlos Negret, a
révélé que 462 dirigeants sociaux,
communautaires, défenseurs des droit
humains ou de l’environnement y ont été
assassinés depuis 2016. Signés cette
même année 2016 par le gouvernement de
Juan Manuel Santos et les Forces armées
révolutionnaires de Colombie (FARC), les
accords de paix battent de l’aile.
L’Etat n’a pratiquement rien respecté
des engagements qu’il a contractés. Cent
quarante ex-guérilleros des FARC, qui
avaient déposé les armes, ont été
exécutés. Estimant ne plus bénéficier
d’aucune sécurité, ni juridique ni
physique, d’anciens « comandantes »
très respectés, tels Jesús Santrich,
Iván Marquez et El Paísa, ont repris le
maquis iii.
Une clandestinité dans laquelle ils vont
rejoindre l’Armée de libération
nationale (ELN), mouvement d’opposition
armée toujours en activité et avec
lequel Duque a rompu les négociations.
Figure de proue, avec le président
d’extrême droite brésilien Jair
Bolsonaro, du Groupe de Lima, coalition
informelle de onze pays engagés, sous la
houlette de Washington, dans la
déstabilisation du Venezuela, Duque
accuse Caracas, sur tous les tons, de
protéger ces « groupes terroristes » et
de les héberger sur son territoire.
Parmi les alliés de
Juan Guaido, Les « Rastrojos »,
organisation paramilitaire colombienne
consacrée au trafic de drogue et
responsable de plusieurs massacres (note
de
Venezuelainfos)
Telle est l’essence
du discours qu’il vient prononcer devant
l’Assemblée générale de l’ONU – ses
problèmes internes n’étant pas censés
les intéresser. Au secrétaire général
António Guterres, il remet un dossier de
128 pages, accompagné de photos qu’il a
brandi lors de son allocution,
« prouvant la présence au Venezuela de
groupes terroristes et narco-criminels
opérant contre la Colombie ».
Vingt-quatre heures plus tard, arrive un
cinglant démenti. Et non de Caracas,
mais de son propre pays. Censé
représenter des guérilleros de l’ELN qui
endoctrinent des enfants, en 2018 dans
l’Etat vénézuélien du Táchira, l’un des
clichés a en réalité été pris en 2013
dans le département colombien du Cauca.
A l’origine de cette révélation, le
quotidien de droite El Colombiano,
précise que cette photo lui a été
communiquée en 2015, pour illustrer un
reportage, par le Renseignement
militaire colombien. On apprendra
ultérieurement que le dit Renseignement
militaire l’a lui-même reçu de
Fundaredes, l’une de ces multiples ONGs
vénézuéliennes « bidon » qui
instrumentalisent la « défense des
droits de l’Homme » dans le but de
formater l’opinion.
Les démentis volant
en escadrille, selon la formule
consacrée, c’est bientôt l’Agence France
Presse (AFP) qui proteste : trois autres
clichés remis à l’ONU par Duque lui
appartiennent et ont été également pris
en Colombie.
Fin (relative)
d’une manipulation qui n’a rien
d’anodine. Dans le cadre de
l’Organisation des Etats américains
(OEA), Washington et ses supplétifs du
Groupe de Lima viennent de réactiver,
les yeux fixés sur Caracas, le Traité
interaméricain d’assistance réciproque
(TIAR). Celui-ci permet une intervention
militaire commune pour défendre un Etat
membre victime d’une agression. La
menace que font peser sur la Colombie
des « groupes terroristes » basés au
Venezuela et assistés par lui ne
constitue-t-elle pas un cas de figure
parfait pour déclencher une
intervention ? Il ne suffirait pour ce
faire que d’une bonne provocation…
Qui a oublié le 5
février 2003 ? Dans un discours demeuré
célèbre et en brandissant une fiole de
« poudre de perlimpinpin », le
secrétaire d’Etat étasunien Colin
Powell, lança ce jour-là au monde :
« Il ne peut faire aucun doute que
Saddam Hussein a des armes biologiques »
et « qu’il a la capacité d’en
produire rapidement d’autres » en
nombre suffisant pour « tuer des
centaines de milliers de personnes. »
Destinée à tromper
l’ensemble des chefs d’Etat, la
prestation de Duque s’inscrit dans la
même logique. A ce titre, elle constitue
un scandale de tout premier ordre,
méritant une bruyante dénonciation.
Seulement, s’agissant d’une manœuvre
également destinée à mettre le Venezuela
en difficulté, c’est une chose qu’on
hésite à livrer aux lecteurs, aux
auditeurs ou aux téléspectateurs. Dans
le cadre de sa lapidation médiatique, le
troupeau mercenaire de la presse
internationale se tait.
Dans un article
« Au Venezuela, Juan Guaido peine à
maintenir l’unité de l’opposition », la
journaliste Marie Delcas se voit obligée
pour la première fois, dans l’édition
« papier » du Monde datée « 1er
octobre », de mentionner enfin en
quelques lignes l’affaire des photos de
Guaido et des Rastrojos. Difficile de
faire autrement. Et mieux vaut tard que
jamais. Il s’agit toutefois d’un
programme minimum : « Guaido dit être
victime d’une campagne de la part du
pouvoir pour le discréditer. Celle-ci
est réelle – comme les photos. »
Autant ne pas
laisser le doute s’installer trop
longtemps. Delcas revient en page 2 le
samedi 5 octobre. Et là, c’est du lourd,
comme on dit. « “Massacre au goutte à
goutte” au Venezuela ». Le sous-titre
fait froid dans le dos : « La force
publique a tué environ 18 000 personnes
depuis 2016, des exécutions
extrajudiciaires pour la plupart. »
Curieusement, sur le site Internet du
quotidien « de référence », ce
sous-titre devient : « Près de 18 000
personnes ont ainsi été tuées depuis
2016 selon l’ONU, qui
parle d’un “modèle de conduite
systématique” » [dans cette
phrase et les passages suivants, le
gras est rajouté par nous]. C’est
cette version que reprennent, sans
détail superflu, le journal de 13 heures
de France Inter (4 octobre) et
« la matinale » de France Culture
(5 octobre), dans le cadre de leur
politique
« copier-coller-et-baver-dans-le-micro ».
La machine s’emballe à la vitesse d’une
fusée. Grâce à L’Opinion,
L’Express, Ouest France et autres
machines à décerveler, la France entière
entend parler du chiffre apocalyptique
des « exécutions sommaires » dénoncées
« par l’ONU » au Venezuela.
Il arrive qu’on
lise un article, et pas uniquement son
titre (qu’on nous pardonne cette
incongruité). A aucun moment dans celui
du Monde il n’est fait mention
d’un document ou d’une déclaration
sourcée émanant de l’ONU. Il s’agirait
de statistiques « tirées des
registres officiels », concernant
les victimes de la force publique
apparaissant sous la rubrique
« résistance à l’autorité ». Le tour de
passe-passe à lieu dans cette phrase :
« Les organisations des droits de
l’Homme, ONU comprise, ont
pu établir qu’il s’agit dans l’immense
majorité des cas d’exécutions
extrajudiciaires. » On découvre un
peu plus loin que « mis en place par
l’association Mi convive (« mon pote »)
et le média numérique Runrun.es,
le « Monitor de victimas » fait le
décompte des assassinats à Caracas ».
Nulle mention ne précise qu’il
s’agit de deux organisations
d’opposition et que le directeur de
Runrun.es (littéralement
« Rumeurs »), le journaliste
Nelson Bocaranda, un anti-chaviste
historique, a un passé qui mériterait
d’être évoqué, ne serait-ce que
succinctement. Après avoir collaboré
avec l’ambassade britannique à Caracas,
pour inciter l’opinion publique à
prendre parti pour Londres plutôt que
Buenos Aires, pendant la guerre des
Malouines, au début des années 1980, il
a surtout, et d’après Wikileaks, fourni
des informations vitales, concernant la
sécurité nationale de la République
bolivarienne, à l’ambassade des
Etats-Unis en 2009 i.
Mais, passons…
Si l’on en croit
les déclarations de Mi convive et de
Runrun.es rapportées par Delcas dans
Le Monde, « 278 personnes ont
été “assassinées » à Caracas durant les
8 premiers mois de cette année par la
Force publique (dont 202 exécutions
extrajudiciaires) ». Si l’on prend
ces chiffres sans les contester, et en
tenant compte du fait qu’ils ne
concernent que la capitale, cela fait
environ 900 « exécutions » par an et
donc, depuis 2016, de l’ordre de 2 700
homicides meurtriers. Quelque peu avare
de détails, Delcas ne donne aucune
précision sur les… 15 000 autres.
Dans un rapport du
29 mai 2019 « que nous nous sommes
procurés » (formule prétentieuse
régulièrement utilisée par Le Monde
pour se la jouer « journalisme
d’investigation »), les mêmes – Monitor
de victimas et Runrun.es –
annonçaient pour 2018 la mort de 256
personnes, à Caracas, du fait de
l’action des Forces d’action spéciale
(FAES) et de la Police nationale
bolivarienne (PNB) et 601 dans tout le
pays (dont 373 « assassinats »)ii.
Pour la période 2015-mi 2017,
Runrun.es dénonçait 560 victimesiii.
Une fois encore, et sans cynisme aucun,
pour arriver à 18 000 en trois ans, le
compte n’y est vraiment pas.
Mais que dit l’ONU,
puisqu’elle se trouve au cœur de la
dénonciation ? Même sans l’aide de la
« cellule d’investigation » de Radio
France, examiner ses rapports est un
modeste effort qui (théoriquement), pour
un professionnel de l’information, ne
coûte rien.
Depuis son arrivée
à la tête de la Commission des Nations
unies pour les droits de l’homme (CoDH),
l’ex-présidente chilienne Michelle
Bachelet, soumise à une forte pression
des Etats-Unis, de l’Union européenne et
des pays latino-américains du Groupe de
Lima, a les yeux rivés sur le Venezuela.
Et pas pour lui faire des sourires.
C’est ainsi que, le 20 mars 2019, lors
de la 40e période de sessions
du CoDH, elle a présenté en personne un
pré-rapport et dénoncé la mort « d’au
moins 205 personnes » attribuables
aux FAES en 2018 (et 37 en janvier 2019)iv.
Après une visite de Bachelet au
Venezuela, du 19 au 21 juin, le rapport
final arrive le 5 juillet,
particulièrement inquiétant : 5 287
morts imputables aux Forces de sécurité
en 2018, supposément pour « résistance à
l’autorité » (5 000 de plus que trois
mois auparavant !). Il n’en demeure pas
moins que la lecture du rapport laisse
songeur : « L’information analysée
par le CDH indique que beaucoup
de ces morts violentes pourraient
constituer des exécutions
extrajudiciairesv. »
Beaucoup, mais combien ? Pourraient
ou sont avec certitude ? Ce qui frappe,
en l’occurrence, est bien moins le
nec plus ultra de la rigueur que le
flou des estimations.
Caracas a
vigoureusement dénoncé ce rapport et a
présenté à la CoDH « soixante-dix
objections ». Sans prétendre pour autant
que tout va pour le mieux dans le
meilleur des Venezuelas. Selon le
gouvernement, le parquet général suit
« 292 affaires survenues entre 2017 et
2019, dans lesquels 388 agents de FAES
ont été impliqués pour homicide,
traitement cruel et violation de
domicile ».
On ne peut ignorer
deux aspects du contexte vénézuélien,
généralement occultés. Une insécurité
hors norme, et qui n’a rien de nouvelle,
aggravée par l’implantation de groupes
criminels et/ou paramilitaires, parfois
à connotation politico-mafieuse, très
déterminés et lourdement armés vi.
Sans nullement nier les bavures, qui
existent, il convient de noter que, dans
un tel registre, les affrontements ont
la caractéristique d’une guerre.
A ce facteur
s’ajoute le rôle de nombre d’ONG dites
« des droits de l’homme » – Provea, Foro
Penal, Observatoire vénézuélien de la
violence (OVV) – financées de
l’extérieur, par des acteurs intéressés
et cul et chemise avec l’opposition.
Récemment encore, le directeur général
du Service national pour le désarmement,
Pablo Fernández, critiquait vertement
l’OVV : « Ces messieurs créent un
show médiatique, préparent des articles
(…) et les envoient dans le monde,
comme tous les ans, présentant un
scénario apocalyptique du Venezuela ;
s’y ajoute qu’ils ont été d’actifs
collaborateurs de l’opposition durant
toutes ces années, conseillant ses
ex-candidats de la MUD [Table
d’unité démocratique]. Ils ont un
positionnement politique clair. Ce n’est
pas par ingénuité si la méthodologie
qu’ils appliquent disqualifie les
données officielles vii. »
Arrivés à ce stade,
et puisque l’ONU n’y est pour rien, le
lecteur se demande sans doute quel est
finalement l’auteur intellectuel des
fameuses « 18 000 exécutions
extrajudiciaires » imputables depuis
2016 aux forces de sécurité, que rien,
au bout du compte, ne vient étayer. La
réponse est donnée, sans réellement
l’être, dans Le Monde, par Marie
Delcas. « Selon Tamara Taraciuk, de
l’ONG Human Rights Watch (HRW), auteure
d’un récent rapport sur le sujet : “Il y
a un modèle de conduite systématique de
la force publique”. » Un récent
rapport…
Multinationale des
droits humains, HRW, depuis de longues
années, fait partie du dispositif qui
tend à faire du Venezuela un « État
paria ». On y rêve, comme à Amnesty
international, d’expédier Maduro devant
la Cour pénale internationale (CPI).
Côté financement, on a les moyens. HRW a
bénéficié d’un don de 100 millions de
dollars sur dix ans offert par le
banquier spéculateur George Soros et son
Open Society Foundations. Une
organisation dont le mécénat, partout
dans le monde, arrose une nébuleuse d’ONGs
fonctionnelles à la vision et à la
politique des Etats-Unis.
C’est effectivement
dans ce rapport de HRW – « Venezuela :
Exécutions extrajudiciaires dans des
quartiers démunis » (18 septembre 2019)
– qu’apparaît, simplement extrapolée à
partir de données officielles, la
fameuse accusation : « Depuis 2016,
la police et les forces de sécurité ont
tué près de 18 000 personnes au
Venezuela dans des cas qualifiés par les
autorités de supposée “résistance
à l’autorité” ». Comment arriver à
un chiffre aussi monstrueux ? « En
juin et juillet 2019, Human Rights Watch
a interrogé des membres des familles de
neuf victimes [n’est-ce pas
un peu trop ?] de violations commises
par la FAES à Caracas et dans un
État vénézuélien, ainsi que des témoins,
des avocats, des activistes et des
journalistes couvrant les meurtres
présumés perpétrés par l’unité. »
Détail qui tue,
puisque malheureusement le sujet s’y
prête : « Personne n’a encore compilé
des informations détaillées permettant
de savoir si ces éliminations commises
par les forces de sécurité ont été des
exécutions extrajudiciaires, mais le
CoDH a conclu que « les informations
analysées par le CoDH suggèrent
qu’un grand nombre de ces homicides
peuvent constituer des
exécutions extrajudiciaires »viii ».
En résumé : la
Commission des droits de l’homme de
l’ONU (et la Commission interaméricaine
des droits de l’homme) s’appuient sur
les rapports des ONGs, lesquelles,
ensuite, prennent comme référence la
CoDH (ou la CIDH), les unes et les
autres étant par ailleurs abonnées au
conditionnel, même lorsque, avec
beaucoup d’aplomb, elles prononcent de
très graves accusations.
Entre parenthèses,
les « 18 000 exécutions
extrajudiciaires » de HRW ridiculisent
la malheureuse Amnesty International,
renvoyée en deuxième division des
redresseurs de torts planétaires. Dans
son dernier rapport (14 mai 2019) –
« Faim de justice. Crimes contre
l’humanité au Venezuela » –, la
vénérable « vieille dame », jouant
« petit bras », ne comptabilisait que »
8 000 exécutions extrajudiciaires »
entre 2015 et 2017 – en gros, et après
péréquation, 6 000 de moins que sa
rivale et amie HRW ! Une différence due
sans doute au fait que, d’après Amnesty,
seulement huit des cas évoqués
ont fait l’objet d’un examen approfondi
de sa part quand, on l’a vu, HRW a
interrogé les proches de neuf
victimes – une enquête beaucoup plus
exhaustive, incontestablement. Il faudra
toutefois, et un jour, éclaircir ce
mystère. Le nombre des victimes
serait-il estimé « à la louche » au
risque de raconter n’importe quoi ?
Au sujet de
Michelle Bachelet, force est de
constater que le niveau baisse
également. Le 9 septembre dernier, lors
d’un discours tenu devant la 42e
session du CoDH de l’ONU, à Genève, elle
a relevé : « Mon bureau a continué à
documenter les cas de possibles
exécutions extrajudiciaires commises par
des membres des FAES. Pour le seul mois
de juillet, l’organisation non
gouvernementale Monitor de Victimas a
identifié 57 nouveaux cas de présumées
exécutions commises par des membres
des FAES à Caracas. »
Spectaculairement moins que les 5 287 en
un an dénoncés le 5 juillet – soit 440
par mois (même si c’est pour tout le
pays). A moins, bien sûr, que Caracas
n’ait fait de gros progrès…
Avec de telles
variantes, les chiffres et ceux qui les
manipulent, ont-ils encore un quelconque
semblant de crédibilité ?
Chaque jour un peu
plus, le Venezuela, agressé, asphyxié,
se retrouve au banc des accusés. Cette
dernière campagne et la mise en avant
totalement inappropriée de l’ONU ont
fait mouche. Dix-huit mille exécutions
extrajudiciaires en trois ans frappent
l’opinion. Mais on nous permettra de
considérer qu’il y a quelque chose de
pourri au royaume des médias. Plutôt que
de prétentieuses « cellules
d’investigation » – comme celle dont
s’enorgueillit Radio France –, que ne
mettent-ils en place des « cellules de
journalistes de base », chargés tout
simplement de vérifier les informations.
Quant aux chasseurs de « Fake News »,
Décodex et autres niaiseries, qu’ils
commencent par chercher les poutres dans
leur rédaction plutôt que de
s’intéresser aux pailles des
journalistes indépendants, sur les
médias alternatifs ou les réseaux
sociaux.
ML
Notes :
1
https://www.elmundo.es/internacional/2019/09/13/5d7bd02efc6c83ea208b4625.html
2
https://www.france24.com/es/20190914-venezuela-guaido-fotos-paramilitares-maduro
3
http://www.medelu.org/La-Colombie-sous-la-coupe-des-criminels-de-paix
4
https://wikileaks.org/plusd/cables/09CARACAS1485_a.html
5
https://runrun.es/rr-es-plus/380996/informe-monitor-de-victimas-2018-256-personas-murieron-en-manos-de-las-faes-el-ano-pasado-en-caracas/
6
https://www.connectas.org/especiales/olp/en/venezuela-crime-without-borders/
7
https://www.ohchr.org/SP/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24374&LangID=S
8
https://www.ohchr.org/sp/newsevents/pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24788&LangID=S
9
Voir Romain Migus, « Droits de l’Homme,
police et insécurité au Venezuela » –
https://www.romainmigus.info/2019/09/insecurite-polices-et-droits-de-lhomme.html
10
http://www.correodelorinoco.gob.ve/fernandez-ovv-manipula-sin-probidad-cifras-sobre-violencia-en-venezuela-para-desestabilizar/
11
https://www.hrw.org/news/2019/09/18/venezuela-extrajudicial-killings-poor-areas
12 https://www.elmundo.es/internacional/2019/09/13/5d7bd02efc6c83ea208b4625.html
13
https://www.france24.com/es/20190914-venezuela-guaido-fotos-paramilitares-maduro
14 http://www.medelu.org/La-Colombie-sous-la-coupe-des-criminels-de-paix
15 https://wikileaks.org/plusd/cables/09CARACAS663_a.html
16 https://runrun.es/rr-es-plus/380996/informe-monitor-de-victimas-2018-256-personas-murieron-en-manos-de-las-faes-el-ano-pasado-en-caracas/
17 https://www.connectas.org/especiales/olp/en/venezuela-crime-without-borders/
18 https://www.ohchr.org/SP/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24374&LangID=S
19 https://www.ohchr.org/sp/newsevents/pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24788&LangID=S
20 Voir Romain
Migus, « Droits de l’Homme, police et
insécurité au Venezuela » –
https://www.romainmigus.info/2019/09/insecurite-polices-et-droits-de-lhomme.html
21 http://www.correodelorinoco.gob.ve/fernandez-ovv-manipula-sin-probidad-cifras-sobre-violencia-en-venezuela-para-desestabilizar/
22 https://www.hrw.org/news/2019/09/18/venezuela-extrajudicial-killings-poor-areas
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