Actualité
Venezuela: qui reconnaît qui ?
Maurice
Lemoine
Samedi 9 février 2019
Aux pages les
plus honteuses de l’Histoire de France –
la reconnaissance du régime franquiste
en 1939 ou le maintien des relations
diplomatiques avec le Chili, après le « golpe » du
général Augusto Pinochet (1973) – , il
conviendra désormais de rajouter un
chapitre : l’appui d’Emmanuel Macron à
la tentative de coup d’Etat au
Venezuela.
Par
Maurice Lemoine Le 23 janvier 2019,
deux manifestations secouent les rues de
Caracas. Celle imposante des chavistes,
celle massive de l’opposition. C’est
dans la fièvre de cette dernière que,
depuis l’estrade dressée place Juan
Pablo II, dans le très chic « municipio »de
Chacao, le député et président de
l’Assemblée nationale [1] Juan
Guaidó s’autoproclame « président par
intérim » du Venezuela et « prête
serment ». Arguments invoqués : les
articles 233, 333 et 350 de la
Constitution qui établissent que, en cas
« d’absence absolue du chef de l’Etat »,
il revient au chef du pouvoir législatif
d’occuper temporairement la présidence
et de convoquer des élections. « Absence
absolue » ? A quelques kilomètres de là,
depuis le balcon du palais présidentiel
de Miraflores, le chef de l’Etat
constitutionnel, Nicolás Maduro,
harangue la foule, au milieu des
ovations.
Pour qui ne
s’informerait qu’en écoutant les
« matinales » de France Culture ou France
Inter, représentantes officielles à
Paris de la droite radicale et de
l’extrême droite vénézuéliennes, on
rappellera la déclaration récente de
Claudio Fermín, chef de campagne du
candidat de la droite civilisée, Henri
Falcón, lors de la dernière élection
présidentielle : « La victoire du
chef de l’Etat le 20 mai 2018 constitue
un fait politique et, en conséquence,
Maduro est un président légitime [2]. »
Impuissant en
interne, privé de tout pouvoir effectif,
en l’absence de soutien de l’armée et
des corps constitués – Assemblée
nationale constituante (ANC), Tribunal
suprême de justice (TSJ), Conseil
national électoral (CNE), etc. –, le
président fantoche Juan Guaidó a dans
les faits été « nommé » par la Maison
Blanche pour servir de pivot dans la
poursuite de la déstabilisation du
Venezuela. Le 22 janvier, veille de son
auto-proclamation, le vice-président
étatsunien Mike Pence avait diffusé ses
ordres sous forme d’un message vidéo
dans lequel il appelait les manifestants
vénézuéliens « à faire entendre leur
voix demain » et assurait, au nom de
la Maison-Blanche et (supposément) du
peuple américain : « Nous sommes avec
vous tant que ne sera pas restaurée la
démocratie. » Le 23, quelques
minutes après la pseudo prestation de
serment, c’est Trump en personne qui se
chargea par tweet de faire savoir qu’il
reconnaissait Guaido comme seul
président du Venezuela.
Très
emblématiquement, c’est depuis le Forum
économique mondial de Davos, symbole de
l’argent, du pouvoir et des
milliardaires au cerveau plein de
chiffres, que Mauricio Macri (néolibéral
pur et dur), Ivan Duque et Jair
Bolsonaro (extrême droite),
respectivement présidents de
l’Argentine, de la Colombie et du
Brésil, pays chefs de file du Groupe de
Lima, violemment hostile à Caracas, ont
apporté leur onction à Guaidó.
En avril 2002, lors
de l’éphémère coup d’Etat contre Hugo
Chavez, les plus rapides à reconnaître
le patron des patrons Pedro Carmona
« seul président légitime » s’appelaient
George W. Bush et José María Aznar. En
2019, un « trio de la honte »
euro-américain a assuré la succession :
Donald Trump, le « socialiste » espagnol
Pedro Sánchez et Emmanuel Macron. Dès le
24 janvier dans la matinée, ce dernier a
ainsi twitté : « Depuis l’élection
illégitime de Nicolás Maduro en mai
2018, l’Europe soutient la restauration
de la démocratie. » Avant, se
croyant encore au temps des colonies, de
lancer en compagnie de Sánchez un « ultimatum
de huit jours » à Maduro pour qu’il
organise de nouvelles élections. Faute
de quoi Paris reconnaîtrait le « pronunciamiento » (rebaptisé
« Juan Guaidó »).
Ne manquant pas d’humour et croquant
férocement l’impudence des petits
marquis européens, le président
vénézuélien a en retour posé un
ultimatum à Madrid en lui donnant « huit
jours pour reconnaître la Catalogne »,
faute de quoi Caracas prendrait des
sanctions.
Du XVIIe à la
presque fin du XXe siècle, la
souveraineté nationale a constitué le
principal fondement du droit
international. Le principe selon lequel « tout
Etat a le droit inaliénable de choisir
son système politique, économique,
social et culturel sans aucune forme
d’ingérence de la part de n’importe quel
autre Etat » a été confirmé par
divers actes juridiques, notamment la
résolution du 24 octobre 1970 de
l’Assemblée générale de l’ONU et l’acte
final de la Conférence sur la sécurité
et la coopération en Europe (CSCE) de
1975 [3].
Aux « conquistadores » à la
petite semaine, il n’est pas inutile de
rappeler quelques principes de ce droit
international censé garantir le respect
de l’article 2, paragraphe 1 de la
Charte de l’ONU : « L’Organisation
est fondée sur le principe de l’égalité
souveraine de tous ses membres. » Il
s’agit, somme toute, de protéger les
plus faibles des disparités de puissance
entre Etats. En rappelant, par exemple « le
devoir d’un Etat de s’abstenir de
favoriser, d’encourager ou d’appuyer,
directement ou indirectement, les
activités de rébellion ou de sécession,
au sein d’autres Etats, sous quelque
prétexte que ce soit, et de toute action
tendant à briser l’unité ou à saper ou à
compromettre l’ordre politique d’autres
Etats » ; « le devoir d’un Etat
de s’abstenir d’exploiter et de déformer
les questions relatives aux droits de
l’Homme dans le but de s’ingérer dans
les affaires intérieures des Etats,
d’exercer des pressions sur des Etats ou
de susciter la méfiance et le désordre à
l’intérieur d’Etats ou de groupes
d’Etats et entre eux [4]. » Quant
au paragraphe 4 du même article 2 de la
Charte fondamentale, que semblent
ignorer tant Donald Trump que Luis
Almagro, lesquels n’ « écartent pas
l’option militaire », il interdit « la
menace ou l’emploi de la force contre la
souveraineté, l’intégrité territoriale
et l’indépendance politique du tout
Etat ».
En tant
qu’association d’Etats indépendants,
l’ONU peut admettre un nouvel Etat parmi
ses membres. Elle accrédite également
les titulaires de la représentation de
chacun des pays siégeant en son sein.
Dans le cas d’un changement normal
d’autorité, au terme d’une élection
démocratique, par exemple, la question
de l’accréditation du représentant de
l’Etat concerné ne se pose pas [5].
Plus complexe se révèle la
reconnaissance de l’autorité légitime
d’un pays en cas de doute sur les
conditions du processus démocratique,
après ou pendant des troubles
intérieurs, une révolution, un coup
d’Etat ou l’existence d’un
« gouvernement en exil » (en général
autoproclamé). N’étant ni un Etat ni un
gouvernement, l’ONU en tant que telle
n’est pas habilitée à trancher. Elle
dépend du concert des Nations. Au sein
duquel certaines dominent et d’autres
non. Avec de surcroît, au Conseil de
sécurité, dont les décisions ont un
caractère obligatoire, cinq membres
permanents disposant d’un droit de
veto [6].
Dès lors, en l’absence de tout critère
qui puisse véritablement la fonder, la
légitimation de tel ou tel acteur
apparaît éminemment politique, sachant
par ailleurs que l’acceptation d’un
gouvernement comme représentant d’un
Etat au sein d’une organisation
internationale ne s’analyse pas
nécessairement comme une reconnaissance
collective de celui-ci [7].
Et que les tractations se déroulent à
l’occasion hors des murs de l’ONU.
Le passé pré et
post-ONU fourmille d’exemples faisant
pencher le fléau de la balance dans un
sens ou dans l’autre, au gré des
circonstances et des intérêts en jeu. On
mentionnera simplement ici la façon dont
les Etats-Unis, après 1917, ont ignoré
la révolution bolchévique, ne
reconnaissant qu’un gouvernement
tsariste, qui n’avait aucune maîtrise
effective de son supposé territoire ; le
gouvernement de la France libre, reconnu
par les alliés et considéré comme un
gouvernement légitime de 1940 jusqu’à la
fin de la guerre ; Taïwan qui a
longtemps représenté la Chine à l’ONU
alors qu’il ne contrôlait qu’une île de
36 000 kilomètres carrés ; le général de
Gaulle, chef d’Etat français capable de
ne pas servir de carpette aux
Etats-Unis, reconnaissant la République
populaire de Chine le 27 janvier 1964,
sept ans avant l’ONU et quatorze ans
avant l’établissement de relations
diplomatiques entre Washington et
Pékin ; plus récemment, en 1991, le
président haïtien Jean-Bertrand Aristide
qui, renversé par un coup d’Etat et en
exil, a continué à siéger à l’ONU à
travers ses représentants, les sbires du
gouvernement illégitime n’y étant pas
admis.
Sous la forte
domination de Washington, la
mondialisation néolibérale et une forme
d’hégémonie euro-atlantique ont
contribué, ces dernières années, à une
érosion du droit et donné lieu à des
actes belliqueux d’un caractère purement
discrétionnaire. Avec des résultats
généralement calamiteux.
C’est ainsi au nom de « raisons
humanitaires » – nourrir la population
acculée à la famine – que l’opération
hyper-médiatisée « Restore Hope » a
été menée en 1992 par les Etats-Unis et
les Casques bleus de l’ONU en Somalie.
Chacun s’en souvient, faute d’une
connaissance des réalités
socio-économiques du pays, elle s’est
terminée en 1993 par un sanglant fiasco,
sans, en rien, améliorer le sort des
Somaliens.
Un quart de siècle
plus tard, le même type de prétexte –
« l’aide humanitaire » – revient pour
justifier ce qui n’est en fait qu’une
cynique provocation. Asphyxiant le
Venezuela par une sournoise « guerre
économique » et d’astronomiques
sanctions financières, les Etats-Unis et
leurs supplétifs annoncent la livraison
de cette « aide » de l’USAID à Guaido et
son « gouvernement de transition ».
D’ores et déjà, avec l’accord du
président Duque, la ville de Cúcuta, sur
la frontière colombienne, a été choisie
comme principale porte d’entrée d’un
supposé « corridor humanitaire » destiné
à faire entrer au Venezuela un important
stock d’aliments et de médicaments (à
l’heure où nous écrivons, la présence du
socialo-sarkozo-macroniste Bernard
Kouchner, avec son sac de riz sur
l’épaule, n’a pas encore été confirmée [8]).
Cúcuta est un lieu
particulièrement symbolique. Dans une
région colombienne hautement pénétrée
par le paramilitarisme, cette ville est
le centre de la « contrebande »
hautement organisée qui participe de la
« guerre économique » imposée au
Venezuela. Le gouvernement
« bolivarien » refusant de laisser se
développer ce « show » monté avec la
complicité de la Colombie (mais aussi du
Brésil et d’une île de la Caraïbe encore
non précisée), la tentative de faire
entrer cette « assistance humanitaire »
dans le pays pour la remettre à un
pseudo gouvernement « de transition » va
se révéler hautement problématique et
pourrait déboucher sur de sérieux
incidents – objectif à l’évidence
recherché.
Emmanuel Macron n’a
rien d’un précurseur. Créé le 27 février
2011 en Libye afin de coordonner la
rébellion contre le régime de Mouammar
Kadhafi, le Conseil national de
transition (CNT) a été d’emblée reconnu
par de nombreux Etats. La France de
Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et Bernard
Henri Lévy a été le premier d’entre eux
à recevoir des représentants du CNT. Les
Nations unies ont finalement gelé les
fonds et les avoirs financiers
appartenant à / ou contrôlés par la
famille Kadhafi, l’objectif étant à
terme de permettre « au peuple libyen »
de récupérer ces biens – peuple qui les
attend encore, son pays ayant été
imprudemment ou cyniquement détruit,
livré à la rapine et au chaos.
Perspective qu’on ne peut nullement
écarter s’agissant du Venezuela où une
guerre civile menace si d’aventure
Maduro venait à être renversé par
l’actuelle tentative de coup d’Etat. Ce
qui, bien entendu, n’a rien de certain,
le chavisme faisant preuve de belles
capacités de résistance. Mais que chacun
en soit conscient : outre le Venezuela,
une telle catastrophe affecterait
fortement la Colombie voisine, où les
« accords de paix » battent de l’aile,
sabotés par l’extrême droite et ce qu’on
appellera pour aller vite
« l’oligarchie ». Les conditions sont
réunies pour une extension du conflit.
En droit
international, l’usage a consacré les
« sanctions » comme terme générique pour
qualifier les contre-mesures légitimes
prises par le reste du monde à
l’encontre d’un Etat qui ne respecte pas
ses obligations internationales.
S’agissant de celles, financières,
unilatéralement imposées par Washington
à Caracas, qui ne semblent poser aucun
problème à l’Union européenne (pourtant
elle même parfois affectée par les lois
extraterritoriales américaines), elles
ne sont nullement sanctifiées par les
Nations unies [9].
Bien au contraire. « Je suis
particulièrement préoccupé d’entendre
des informations selon lesquelles ces
sanctions visent à changer le
gouvernement vénézuélien », a
déclaré le 31 janvier le Rapporteur
spécial de l’ONU Idriss Jazairy, avant
de préciser : « L’utilisation de
sanctions de la part de pouvoirs
extérieurs pour renverser un
gouvernement élu est en violation de
toutes les normes du droit
international. » Le 17 septembre
2018, plus avisé que son compatriote et
successeur, le « José María Aznar de
gauche » Pedro Sánchez, l’ex-président
du gouvernement espagnol José Luis
Rodriguez Zapatero, fort de son
expérience de médiateur entre le
gouvernement bolivarien et son
opposition, avait lié « l’intensification
des flux migratoires [de
Vénézuéliens] aux sanctions
économiques imposées par les
Etats-Unis ».
Transition encore…
Soucieux de faire aussi mal que celui de
Nicolas Sarkozy avec la Libye, le
gouvernement de François Hollande, sans
craindre « d’ajouter la guerre à la
guerre » (pour reprendre une expression
de François Mitterrand [10]),
a été le premier, le 23 novembre 2011, à
reconnaître comme « interlocuteur
légitime » le Conseil national syrien,
qui ne représentait qu’une infime partie
de l’opposition, avant même les
Etats-Unis (6 décembre) et le
Royaume-Uni (24 février 2012). Deux
jours après l’apparition de la Coalition
nationale syrienne, le 11 novembre 2012,
François Hollande déclarera : « La
France reconnaît la Coalition nationale
syrienne comme la seule représentante du
peuple syrien et donc comme le futur
gouvernement provisoire de la Syrie
démocratique, permettant d’en terminer
avec le régime de Bachar Al-Assad. » Huit
années après le déclenchement de la
tragédie, on peut a minima s’interroger
sur l’opportunité d’une telle prise de
position qui n’a en rien fait avancer la
cause de la paix et a totalement
marginalisé la diplomatie française dans
la région.
Mélange bâtard de
ses deux prédécesseurs, le président
Macron figure donc en première ligne de
cette « communauté internationale » qui,
à en croire la sphère médiatique, a
reconnu la légitimité de Juan Guaido et
de son « gouvernement de transition ».
Information ou manipulation ?
Côté pro-coup
d’Etat, Washington et ses supplétifs. Le
Groupe de Lima (13 pays latinos
conservateurs plus le Canada). Le 4
février, depuis Ottawa, celui-ci s’est
prononcé « pour un changement de
régime sans usage de la force » en
appelant… l’armée vénézuélienne « à
se ranger derrière Juan Guaido ». Message
subliminal : « On cherche un Pinochet
sympa. » Et respectueux des
nouvelles normes en matière de coup
d’Etat.
Traditionnellement, un « golpe » est
défini comme la prise illégale et
brutale du pouvoir par l’armée ou par
une autorité politique bénéficiant de
son soutien. Si le pire devait survenir
au Venezuela en la figure d’un quarteron
de généraux félons, qu’on n’imagine pas
un scénario à la chilienne. L’opération
porterait le tampon « méthode
Honduras ».
Dans ce pays, en
juin 2009, ce sont le Parlement, la Cour
suprême de justice et, dans l’ombre,
Washington, qui se trouvent à la
manœuvre pour renverser le président
constitutionnel – mais de gauche –
Manuel Zelaya. L’astuce (sur ordre
impératif du gouvernement américain) :
le 28 juin, c’est un commando militaire
qui arrête et séquestre le chef de
l’Etat, l’expédie à l’étranger et
réprime violemment ses partisans.
Toutefois, l’exécuteur des basses
œuvres, le général Romeo Vásquez, remet
immédiatement le pouvoir au président du
Congrès. Une manœuvre parfaite :
« soumis au pouvoir civil », qui lui a
demandé d’agir pour défendre la
Constitution, les militaires servent
d’instrument à une « succession
présidentielle ». Bientôt, le régime
putschiste de Roberto Micheletti se
verra rebaptisé « gouvernement de
transition » [11].
Anesthésiée par la présence omniprésente
des « costume cravate », l’opinion
internationale n’y verra que du feu.
Le Groupe de Lima,
donc [12].
Les boutefeux européens : l’Allemagne,
l’Espagne, la France, les Pays-Bas, le
Portugal, le Royaume-Uni, bientôt
rejoints par l‘Autriche, qui envoient un
l’ahurissant ultimatum de huit jours au
chef de l’Etat constitutionnel, lui
enjoignant de convoquer une nouvelle
élection présidentielle, puis
reconnaissent le « fils de Trump » (en
espagnol : « HijueTrumpa »).
Comme l’a fait le 31 janvier – 430
« pour », 104 « contre » et 88
abstentions – le Parlement européen. Une
résolution non contraignante, mais
donnant le sens du vent mauvais.
Derniers appuis au
« dictateur », soutiennent devant micros
et caméras les disciples du
faux-semblant, la Russie, la Chine, la
Corée du Nord, l’Iran, la Turquie et
Cuba. Une liste qui, puant les « pays
parias » à plein nez, est censée mettre
un terme à tout débat. Sauf que le monde
entier n’est pas obligé de croire ce
genre de demi-vérité. Car, à l’examen,
même l’Europe se divise. « Aussi
incroyable que cela paraisse, s’étrangle L’Express(6
février), il y a au cœur de l’UE des
gouvernements qui ne parviennent
toujours pas à déclarer ouvertement que
Nicolas Maduro, le maître de la clique
de Caracas, s’est rendu illégitime (…). » Interdisant
une position commune, la Grèce et
l’Italie, ou la Roumanie refusent de
suivre le troupeau ; seules dix-neuf
nations de l’UE sur vingt-huit
reconnaissent Guaido.
Pire encore au sein
de l’Organisation des Etats américains !
Humiliant son secrétaire général Almagro
et le chef de la « diplomatie »
américaine (et ex-patron de la CIA) Mike
Pompeo, la résolution destinée à adouber
le pseudo-président, lors du Conseil
permanent réuni le 24 janvier, n’a
recueilli que 16 voix sur 34 –
c’est-à-dire, pour qui sait compter, une
minorité. Par la voix de leur
représentant, le premier ministre de San
Cristóbal et Nieves, Timothy Harris, les
pays de la Communauté des Caraïbes
(Caricom) ont vertement exprimé leur « désapprobation
et leur grave préoccupation » face
aux scandaleux agissements d’Almagro.
Tandis que le « nouvel ambassadeur
vénézuélien » nommé par l’Assemblée
nationale, Gustavo Tarre Briceño,
n’était pas autorisé à participer à la
session, le Mexique (ex-membre du Groupe
de Lima, abandonné depuis l’élection
d’Andrés Manuel López Obrador) a enjoint
le secrétaire général de vérifier « le
statut juridique » de Guaidó. Puis, en
compagnie de l‘Uruguay, s’est proposé
comme médiateur pour de possibles
discussions. Que Maduro a acceptées.
Pour les apprentis
sorciers, le coup de grâce provient
finalement de l’ONU. Le 26 janvier, au
cours de la réunion extraordinaire du
Conseil de sécurité, convoquée à la
demande du secrétaire d’Etat Mike Pompeo
pour essayer d’obtenir la reconnaissance
du « gouvernement fantoche », dix-neuf
des vingt-cinq pays de tous les
continents qui participent au débat se
prononcent pour la non ingérence dans
les affaires intérieures du Venezuela.
Au nom de l’Union africaine, continent
qui s’y connaît en matière d’arrogance
coloniale, le vice-président Thomas
Kwesi Quartey, envoie un message de
solidarité au président Maduro.
Certes, Guaido
poursuit son « show » en faisant nommer,
par l’Assemblée nationale, de nouveaux
« ambassadeurs » au Brésil, au Paraguay,
au Guatemala, en Argentine, aux
Etats-Unis, etc… Que vont faire les
nouveaux duettistes Pedro Sánchez et
Emmanuel Macron, pour ne citer qu’eux ?
Dans leurs capitales respectives, ils ne
peuvent autoriser quiconque à utiliser
les locaux de l’ambassade vénézuélienne,
compte tenu de l’inviolabilité rappelée
à l’article 22 de la Convention de
Vienne sur les relations diplomatiques.
Cela ne leur interdit pas de déclarer
les ambassadeurs du gouvernement qu’ils
contestent persona non grata et
de les obliger à quitter le territoire.
Mais, dans ce cas, comment pourront-ils
prétendre à un rôle d’interlocuteur dans
le Groupe de contact européen [13] –
censé, avec son homologue
latino-américain, et à l’initiative du
Mexique et de l’Uruguay (qui n’ont pas
reconnu Guaidó), aider le Venezuela à
trouver une sortie négociée – ce qui
implique de parler avec les
représentants du président Maduro ? Joli
casse-tête pour le brillant (Jean-Yves)
Le Drian.
Pour qui demeure
attaché au droit international, censé
faire sortir l’Humanité de la barbarie,
le bon côté de la légitimité saute aux
yeux : le 31 janvier, en réponse à une
requête de Guaidó, Stéphane Dujarric,
porte-parole du secrétaire général des
Nations unies, António Guterres, a
confirmé que les Etats de l’Assemblée
générale des Nations unies et du Conseil
de sécurité reconnaissent Nicolás Maduro
comme président constitutionnel et
légitime du Venezuela. Il s’est
également félicité de l’initiative du
Mexique et de l’Uruguay, organisateurs
d’une réunion internationale dans le but
de lancer un dialogue politique.
Toutefois, vraisemblablement conscient
de l’hypocrisie et de la duplicité de
certains des participants, le secrétaire
général Guterres a fait savoir que son
secrétariat ne participera à aucune
réunion de groupes qui se forment pour
discuter de la crise vénézuélienne, afin
de « garder sa crédibilité ».
De son côté, et
alors que l’opération « corridor
humanitaire » va démarrer sous l’œil des
essaims de caméras, à la demande du
« président par intérim », le directeur
des opérations du Comité international
de la Croix Rouge (CICR), Dominik
Stillhart, a informé que tout
acheminement d’aide au Venezuela ne
sera(it) possible qu’avec « le
consentement du gouvernement du
président Nicolás Maduro ». Cheffe
de la délégation du CICR pour les
Etats-Unis et le Canada, Alexandra
Boivin a même été plus loin en
avertissant Washington « des risques
qu’implique sa décision d’envoyer de
l’aide au Venezuela sans autorisation du
gouvernement ».
Trump et ses petits
soldats peuvent bien monopoliser les
« unes » des ex-journaux d’information,
les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur
les 197 Etats actuellement reconnus par
l’Organisation des Nations unies, seuls
34 ont reconnu Juan Guaido [14]. « Le [supposé] défaut
de légitimité [de Maduro] n’est
jamais qu’un prétexte d’apparence
juridique invoqué pour justifier un
refus de reconnaissance inspiré par des
considérations purement politiques [15]. » Même
avec l’onction de l’impérialisme et du
sous-impérialisme, une tentative de coup
d’Etat demeure une tentative de coup
d’Etat. Aux pages les plus honteuses de
l’Histoire de France – la reconnaissance
du régime franquiste en 1939 ou le
maintien des relations diplomatiques
avec le Chili, après le coup d’Etat du
général Augusto Pinochet (1973) – , il
conviendra désormais de rajouter un
chapitre : Emmanuel Macron et le
Venezuela.
Illustration :
ATTENTION : CECI N’EST PAS UNE « FAKE
NEWS » – Manifestation d’appui au
président Nicolas Maduro, le 2 février,
à Caracas (malheureusement trop discrète
pour être remarquée par les médias).
L’auteur: Maurice
Lemoine, ex-rédacteur en chef du Monde
Diplomatique,
couvre l’Amérique Latine
depuis 40 ans.
[1] Depuis
janvier 2016, l’Assemblée nationale,
dominée par l’opposition, se trouve dans
l’illégalité (« desacato ») pour
avoir fait prêter serment à trois
députés élus dans des conditions
irrégulières.
[2] Globovisión, Caracas,
15 janvier 2019.
[3] Olivia
Danic, « L’évolution de la pratique
française en matière de reconnaissance
de gouvernement », Annuaire français
de droit international, CNRS
Editions, Paris, 2013.
[4] « Déclaration
sur l’inadmissibilité de l’intervention
et de l’ingérence dans les affaires
intérieures des Etats », résolution de
l’Assemblée générale des Nations Unies
36/103 du 9 décembre 1981.
[5] A
chaque session, l’Assemblée générale
examine les pouvoirs de tous les
représentants des Etats membres
participants.
[6] France,
Etats-Unis, Russie, Royaume-Uni et
Chine.
[7] Résolution
396 (V) du 14 décembre 1950 de
l’Assemblée générale des Nations unies.
[8] Le
5 décembre 1992, accompagné d’un fort
contingent de journalistes pour
immortaliser son courage et son
abnégation, Kouchner, alors ministre de
la Santé et de l’Action humanitaire du
gouvernement Bérégovoy (socialiste),
débarqua, un sac de riz sur l’épaule,
sur une plage, au nord de Mogadiscio.
[9] Pour
saisir l’ampleur dévastatrice de ces
sanctions, on en consultera la liste
détaillée et actualisée sur le blog de
Romain Migus, « Venezuela en vivo » : https://www.romainmigus.info/2019/01/chronologie-des-sanctions-economiques.html
[10] Le
28 juin 1992, lors d’une visite éclair à
Sarajevo, pendant le conflit en
ex-Yougoslavie, Mitterrand, pressé par
les inévitables Bernard-Henri Levy et
Bernard Kouchner, rejeta toute action
militaire contre la Serbie.
[11] Lire
Maurice Lemoine, Les enfants cachés
du général Pinochet. Précis de coups
d’Etats modernes et autres tentatives de
déstabilisation, Don Quichotte,
Paris, 2015.
[12] La
chaîne d’information panaméricaine Telesur s’est
vue interdire de couvrir sa dernière
réunion à Ottawa (si quelqu’un croise
Reporters sans frontières, prière de
bien vouloir l’en informer).
[13] Allemagne,
Espagne, France, Italie, Portugal,
Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède.
[14] 16
en Amérique (sur 35) ; 15 en Europe (sur
50) ; 1 au Proche-Orient (sur 16) ; 1 en
Afrique (sur 54) ; 1 en Océanie (sur
15).
[15] J.
Touscoz, Le principe d’effectivité
dans l’ordre international, LGDJ,
Paris, 1964.
URL de cet article : http://www.medelu.org/Qui-reconnait-qui
Le dossier Amérique latine
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