Syrie
De l’ONG humanitaire au Conseil de
sécurité,
la campagne « crimes de guerre à
Alep-Est »
Marie-Ange Patrizio
Photo
aérienne des raids des avions de combat
sur les positions des terroristes à
Ramoussa à Alep - Sana
Mardi 25 octobre 2016
Episode 1. «Cherchez
à raid
aérien, raid aérien ! »
Le « back ground »
Depuis quelques
semaines, après avoir coupé les
principales voies d’approvisionnement
(en armes et combattants) des
terroristes à
Alep Est, les aviations
syriennes et russe bombardent leurs
positions, permettant ainsi l’avancée au
sol de l’Armée arabe syrienne. Pour les
« puissances occidentales »,
il était urgent d’agir pour
sauver leurs mercenaires (exclus de
l’accord russo-étasunien) en commençant
par clouer au sol les aviations syrienne
et russe. Comment ? A défaut
d’intervenir militairement, on va
ressortir au Conseil de sécurité de
l’ONU la panoplie « humanitaire » :
accuser le « dictateur » et ses alliés
de « crimes de guerre » et plus si
affinités à la CPI. L’affaire a déjà été
tentée, sans succès ; mais on n’a pas le
choix et, de toutes façons, avec les
troupes humanitaires et médiatiques la
campagne est d’un bien meilleur rapport
qualité-prix. Pour monter les
témoignages et recycler des photos à peu
près adéquates il va quand même falloir
quelques jours et il en reste peu avant
que la Russie ne remplace la servile
Nouvelle-Zélande à la présidence du
Conseil, le 1er octobre.
Entre-temps : occuper ses opinions publiques en leur faisant croire
qu’on se démène dans d’âpres bras de fer
(« diplomatiques ») avec les alliés du
« bourreau ». Sans se priver non plus
d’un minimum de gros coups bas sur le
terrain.
L’escalade
Samedi 17 septembre, la
Coalition conduite par les USA bombarde
« par erreur » une position de l’Armée
arabe syrienne qui à Deir Ez Zor
résiste à Daesh : 83 tués, plus de cent
blessés graves, et renversement
-provisoire- de situation au profit des
terroristes.
Même si, grâce à nos médias, le crime n’a pas provoqué de grande
indignation, deux jours plus tard, 19
septembre, on polarise l’attention des
opinions publiques sur le « bombardement
aérien » d’un convoi humanitaire par
« les aviations russe ou syrienne ».
Crime de guerre incontestable, mais sans
aucune preuve sur ses auteurs allégués.
C’est dans ce contexte favorable qu’entre en scène la jeune mais dévouée
UOSSM ; pas aussi connue du grand public
que son partenaire MSF, elle a montré
sur les ondes au mois d’août[1]
son sens de la neutralité et
impartialité. Avec le Dr Raphaël Pitti
« chargé de mission de formations à la
médecine de guerre auprès de l’UOSSM »
notamment auprès des Casques Blancs, et
« médecin général [?!] dans l’armée
française jusqu’en 2004. Guerres de
Yougoslavie et du Golfe, conflits en
Afrique » : bref, un vétéran de la
guerre humanitaire.
Qu’est-ce que l’UOSSM
[2]?
« Une ONG Médicale française et
internationale [créée opportunément en
2012] qui opère sur l’ensemble du pays
en Syrie (Alep, Deraa, Quneitra, Homs,
Idleb, Deir-Ezzor…etc)». La liste
indique des zones sous contrôle des
groupes dits rebelles, comme le
reconnaît même le Figaro
[3].
Rien sur son site n’indique qu’elle
opère avec l’autorisation du
gouvernement syrien.
Mardi soir 20 septembre à 23h un raid aérien aurait détruit un
hôpital au sud d’Alep. L’information est
rapportée le lendemain, au conditionnel,
par Russia Today, qui cite des
extraits d’un communiqué de l’UOSSM.
Communiqué original[4]:
« Quatre membres de l’équipe médicale de
l’UOSSM ont été tués et un infirmier est
dans un état critique avancé, après une
attaque aérienne à 23h dans la nuit du
mardi 20 septembre. Le centre médical
a été entièrement détruit
et de nombreuses victimes restent
enfouies sous les décombres [personne
n'en a donné de nouvelles depuis]. (…)
Le point médical dispose de plusieurs
systèmes d’évacuation ambulatoires
soutenus par plusieurs organisations
dont l’UOSSM et l’OMS [la référence à
l’OMS veut sans doute suggérer un aspect
officiel aux interventions de l’ONG]. Le
point médical
offre des services médicaux
d’urgence
à 750 blessés par mois. Le
Dr Ahmed Dbais, directeur à l’UOSSM des
hôpitaux et trauma dans le nord de la région
[frontière turque, en zone
« rebelle »] explique que “le bâtiment
dispose de trois étages dont l’un était
souterrain. En raison de l’intensité des
bombardements, les trois niveaux se sont
effondrés et sont complètement détruits.”
Les cinq travailleurs humanitaires de
l’UOSSM, 3 infirmiers et deux chauffeurs
ambulanciers ont été appelés afin de
ramener des patients du point médical
vers un centre médical
avancé. Le point médical
a été bombardé et deux
ambulances de l’UOSSM où
se trouvaient les quatres
membres de l’UOSSM ont été pris
pour cibles. »
« Centre »
ou « point », dans tous les cas il ne
s’agit pas d’une structure de médecine
générale mais d’un « centre d’urgence
pour des blessés ». Evidemment non
signalé par l’Armée de la Conquête aux
autorités du pays.
Le
lendemain le communiqué a été
corrigé, et
devient[5]
:
« Après une première attaque aérienne,
nos équipes se sont rendues sur les
lieux d’évacuation des blessés à Khan Touman
dans la région d’Alep afin de
transporter les victimes vers les
centres médicaux situés à proximité »
etc. .
Ont disparu du communiqué définitif : la
nature -médicale- du bâtiment bombardé ;
la première source de l’événement citée
dans le communiqué UOSSM, le
Dr Ahmed Dbais, ainsi
que ses explications désormais
encombrantes.
Par contre on nomme le lieu du bombardement, sans préciser que c’est une
zone assiégée par l’Armée arabe syrienne
: où notre « ONG » donne un coup de main
pour l’évacuation.
La campagne de presse
La «responsable
communication » de l’UOSSM contactée
jeudi matin (nom et téléphone signalés
seulement le premier jour) me dit que le
communiqué « a été repris partout :
cherchez à raid aérien, raid aérien ! »,
avant de couper court quand je lui dis
que le communiqué a été modifié (« on
m’appelle sur un autre poste »…).
La quinzaine de médias (auxquels j’ai limité ma recherche) s’est en effet
immédiatement engouffrée dans les deux
versions successives du communiqué et
les témoignages des multiples
« présidents de l’UOSSM France » ou
International.
Celui du « Dr Ziad Alissa, président de l’UOSSM France » qui
« condamne avec force ces attaques (…)
contre notre personnel et nos
installations médicales.
Cibler délibérément des travailleurs
humanitaires et des professionnels de
santé (…) violation flagrante des lois
internationales humanitaires. (…) agir
rapidement afin de mettre un terme à
ces atrocités ».
Celui, reproduit tel quel du « Dr Zedoun Aizoubi, directeur de l’UOSSM
international, [qui] suit la situation
de très près aux côtés du Dr Camilo
Valderram, coordinateur
du santé pour l’OMS à
Gaziantep en
Turquie » précisant, pour
ceux qui n’auraient pas encore compris,
la proximité -pas seulement
chronologique- avec le crime dont tout
le monde a parlé. « Cette attaque
survient un jour après l’attaque
aérienne du convoi de l’ONU et du
Croissant Rouge Arabe Syrien, qui a fait
plusieurs morts parmi les travailleurs
humanitaires » etc.
Et/ou celui -« confié » à RFI- du « Dr Obeïda
el-Mufti, [lui aussi] président et
porte-parole de l’UOSSM France » :
« deux ambulances ont été ciblées, lors
du deuxième
raid aérien » etc.. et, à
nouveau : «(…) attaques contre le
personnel médical, contre les civils (…)
arrêter de cibler le personnel médical,
les hôpitaux et les civils »[6].
Je ne donnerai ici que quelques
exemples de cette quinzaine de médias
consultés sur internet, mais ça vaut
vraiment la peine d’aller en voir le
détail (titres, photos et articles) pour
avoir une idée de la qualité de la
campagne de presse, jusque dans les
copiés-collés des fautes d’orthographe
et coquilles des communiqués d’origine
(qui en sont truffés : pas le temps de
se relire au Contact presse ?).
Mots clés : attaque
-aérienne- ciblée contre du personnel
médical, humanitaire et des civils.
Les victimes
Ce panorama de presse
apporte cependant un complément aux
propos des directeurs UOSSM, qui n’est
peut-être pas sans rapport avec la
modification du communiqué : « Selon
l'Observatoire syrien des droits de
l’Homme[7] »
le raid a aussi tué «neuf membres de
l'Armée de
la Conquête qui
travaillaient dans le centre médical ».
Ah… et l’info de l’OSDH va elle-même
être traitée avec quelques variations .
Pour l’OBS : « Le raid aérien a
visé Khan Touman, une ville contrôlée
par les rebelles au sud-ouest d'Alep.
L'OSDH
précise que les insurgés tués faisaient
partie de l'alliance islamiste Djaish al
Fatah (Armée
de la conquête), constituée
autour du groupe Ahrar al Cham et de
l'ex-Front al Nosra ». Les
insurgés se trouvaient là ; pas plus.
Dans La Croix : « mardi soir, une frappe
a visé
deux ambulances à
Khan Toumane
(…). Selon l'OSDH, le premier raid
visait un dispensaire de l'Armée
de la Conquête »[8].
Dans la plupart des autres médias, les « insurgés » travaillaient dans le
« centre-point médical-dispensaire ».
Qui a bombardé
(« délibérément ») ?
Plusieurs médias
soulignent que « L'OSDH n'était pas en
mesure d'identifier la nationalité
des avions
ayant participé aux
frappes ». Normal, de Londres c’est
difficile de distinguer les bombardiers,
mais cela n’empêche pas la plupart des
rédactions, ici, de désigner des avions
syriens et/ou russes.
Pour L’OBS, par exemple, c’est « l'aviation
syrienne ou russe [qui] a tué dans la
nuit de mardi à mercredi quatre membres
d'une
ONG médicale et neuf insurgés
près d'Alep, rapporte l'OSDH »[9].
Métro se distingue en mentionnant
« que le Front Fatah Al-Chamb
(sic) (…) est exclu de la trêve décrétée
il y a plus d’une semaine, tout comme
Daech». Puis rejoint la meute :
«Washington a dit croire que des avions
russes ou syriens avaient mené cette
attaque, qui a coûté la vie à 20 civils
[à Washington 9+4= 20 quand ce sont des
civils des quartiers Est d’Alep], et que
le Kremlin était de toute façon
responsable parce qu’il avait le mandat,
en vertu de la trêve, de prévenir les
frappes aériennes contre les convois
d’aide humanitaire. Les insurgés ne
possèdent pas d’avions »[10].
Donc…
Donc insistance du Contact presse de l’UOSSM : « raid aériens, raids
aériens !». Et pas seulement
« bombardements », qui peuvent être de
mortiers ou autres explosifs tirés par
les « canons de l’enfer » de la
rébellion, comme l’ont expliqué
dernièrement deux témoins sur le
terrain, par ailleurs très différents
dans leur appréciation du conflit :
Régis Le Sommier, directeur-adjoint de
Paris-Match, après quelques jours
passés à Alep Ouest
[11]
et le Dr Nabil Antaki
[12]
qui continue à faire son métier de
médecin gastro-entérologue dans les
quartiers bombardés par les terroristes
depuis quatre ans.
Elément central indispensable à
la qualification du crime de guerre :
l’intentionnalité du bombardement
de structures ou organisations
médicales, ou humanitaires, ou civiles,
rapportée par l’armée des directeurs
UOSSM sur le terrain -enfin, à la
frontière turque- et à Paris.
Récapitulons : si nous apprenons que
dans un quartier contrôlé par les
terroristes de l’Armée de la Conquête,
un bâtiment abritant des terroristes a
été ciblé par le dit régime du bourreau
et ses alliés, c’est parce que deux
ambulances de l’UOSSM -qui ne travaille
en Syrie que dans ces zones-là, et sans
autorisation du gouvernement
c’est-à-dire clandestinement— ont été
ciblées par un deuxième raid alors
qu’elles venaient -d’où ?- dans cette
zone assiégée chercher des blessés pour
les évacuer - où ? «La
cinquième
victime, un infirmier (…)
dans un état critique a été
transféré à l’Hôpital
de l’UOSSM Bab Al-Hawa,
dans la région Nord de la Syrie ».
Peu importe que l’hôpital Bab Al-Hawa soit à plusieurs dizaines de
kilomètres de Khan Touman et tout à fait
de l’autre côté d’une ville deux fois
plus étendue que Paris et assiégée par
les « forces du régime» : tellement
diaboliques qu’elles laissent
perfidement passer les humanitaires
-clandestins- dans leurs ambulances,
aller et retour, pour mieux les
bombarder « délibérément » quand elles
sont sur place.
Les témoignages qui vont
servir à la qualification du crime de
guerre sont donc diffusés sur la base
des déclarations de trois personnes dont
aucune, dieu bénisse, n’était sur place.
Les alinéas du Statut de Rome[13]
fournissent les éléments de langage
utiles aux conseillers juridiques des
troupes humanitaires (puis médias) pour
bâtir les témoignages étayant les
interventions des « diplomates ».
Quelques mots -nous y reviendrons dans le prochain épisode- des photos
censées illustrer l’événement dans la
presse. Photos de deux sortes : soit (à
RFI) des ruines à « Alep, fin août 2016.
REUTERS/Abdalrhman Ismail », soit des
photos du convoi humanitaire
« bombardé » la veille de l’autre côté
de la ville, à Urm al-Kubra. Au mieux
avec légende de la date et du lieu de la
photo, le plus souvent sans précision :
à la libre appréciation du lecteur. La
palme quand même au « Nouvelliste »
qui affiche une photo d’ambulances toute
neuves, sans sigle, sans date…
Le photographe Abdalrhman Ismail, dont les Casques Blancs sont un des
sujets préférés, va alimenter en clichés
d’autres reportages bien utiles pendant
la semaine qui va précéder la charge de
nos « diplomates » à l’ONU, le 8
octobre.
On trouvera sur le compte
Facebook de l’Organisation Non
Gouvernementale UOSSM des messages
illustrant sa conception de la
neutralité
et de l’impartialité
:
« ÉVÈNEMENT
"Les amis de la Syrie" du 06/07/2012 :
l'UOSSM rencontre le président de la
république française.
Rencontre des membres de l'Union des
Organisations Syriennes des Secours Medicaux
(l'UOSSM dont AAVS fait parti)
avec les représentants de l’état. Ici,
le président M. François Hollande »[14].
Là « le ministre des affaires étrangères
[M.] Laurent Fabius »[15]
; ou « M. Burhan Ghalioun l'ancien
président du Conseil National Syrien »[16]…
Où l’on voit que dès sa fondation l’ONG a investi dans le renvoi
d’ascenseur. Pour sa dernière opération,
le taux de rendement en moins d’un mois
est exceptionnel : 18 octobre, «A
l'initiative de la député
Elisabeth Guigou, présidente
de la commission des affaires
étrangères, une délégation d'Alep
composée de médecins et de casques
blancs conduite par l'UOSSM, sera reçue
mardi 18 octobre par le parlement[17]
et le mercredi 19 octobre par le
Président de la République François
Hollande »[18].
La délégation : « Dr Tammam Loudami, médecin, directeur régional [un
nouveau ?] du Nord de la Syrie au sein
de l’UOSSM, [qui] vit au coeur d’Alep
Est (…) ; Brita Hagi
Hassan, président du conseil local [élu
comment ?] de la ville d’Alep ;
Abdulrahman Almawwas, vice-président des
casques blancs syriens ;
Rade [plus
exactement Raed] Al-Saleh, président des
casques blancs syriens ». Apparemment
résistant tous les quatre très bien aux
conditions de vie épouvantables qu’ils
nous décrivent (supra,
vidéo de leur réception à la Commission
Affaires étrangères).
Et pouvant donc sortir de la ville malgré le siège draconien qu’ils sont
venus dénoncer à notre Assemblée
nationale ; où aucun député ne s’en est
étonné ?
Marseille, mercredi 19 octobre
2016
Prochain épisode : Quand « les
images sont parfois
absentes, elles sont tellement faibles
[et que] Nous n’avons pas assez de
témoignages sur ce qu’il se produit à
Alep… » (François Hollande à TMC le 8
octobre)[19]
, on a du monde pour les inventer.
Episode 2/3. Les « bains de sang » de
Samantha Power et MSF »
[2]
www.france.uossm.org
, site re-looké le lendemain des
communiqués, sans correction des
fautes d’orthographe, exemple le
plus voyant dans la page d’ « Acceuil
».
[13]
http://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf
:
- alinéa
iii) (Article 8, 2, b) : « Le
fait de diriger
intentionnellement des attaques
contre le personnel, les
installations, le matériel, les
unités ou les véhicules
employés dans le cadre d’une
mission d’aide humanitaire ou de
maintien de la paix
conformément à la Charte des
Nations Unies, pour autant
qu’ils aient droit à la
protection que le droit
international des conflits
armés garantit aux civils et
aux biens de caractère civil
; »
-
ix) Le
fait de diriger
intentionnellement des attaques
contre des bâtiments consacrés
à la religion, à
l’enseignement, à l’art, à la
science ou à l’action
caritative, des monuments
historiques, des hôpitaux et
des lieux où des malades ou des
blessés sont rassemblés, à
condition qu’ils ne soient pas
des objectifs militaires ».
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