Syrie
Réflexions et questions sur la
cohérence de ce qu’on nous raconte (ou
ne nous raconte plus) à propos des
« réfugiés pour la plupart
syriens »
Marie-Ange Patrizio
Jeudi 10 septembre 2015
Chers amis,
en complément de la rubrique de Manlio
Dinucci « Derrière ces photos
d’enfants », et de la chronique
hebdomadaire de Thierry Meyssan « La
fausse "crise des réfugiés" » (http://www.voltairenet.org/article188608.html
) dont je vous recommande la lecture,
quelques Réflexions et questions sur la
cohérence de ce qu’on nous raconte (ou
ne nous raconte plus) à propos des
« réfugiés pour la plupart
syriens »
On peut être
surpris par le nombre de « réfugiés
pour la plupart syriens » ou
« en majorité Syriens » arrivant
aux portes de l’Europe. On nous avait
pourtant annoncé[1]
que le « régime » ne contrôlait plus les
frontières (notamment nord avec la
Turquie et est avec l’Irak et la
Jordanie), aux mains de Daesh et autres
terroristes… qui maintenant laisseraient
donc passer non pas quelques discrètes
dizaines ou centaines mais des milliers
de gens, pourtant assez repérables dans
des zones très surveillées ? A contrario
si, contrairement aux informations que
nous donnent les « spécialistes », le
gouvernement syrien contrôlait ces
frontières, quel intérêt aurait-il à
laisser partir des dizaines de milliers
de ses concitoyens ?
Pour le journaliste syrien Moustapha Al Mikdad « maintenant que
leur guerre terroriste contre nous a
épuisé une grande partie de nos
ressources, l’organisation de
l’immigration de nos jeunes commence à
prendre de très graves proportions qui
laissent à penser qu’un nouveau plan est
en cours de préparation pour vider la
Syrie de ses compétences humaines et
scientifiques. (…) Un dernier
plan qui, en effet, viderait
considérablement la Syrie de cette
catégorie d’âge susceptible de combattre
le terrorisme et de reconstruire le
pays ; ce qui signifie la poursuite de
la politique guerrière occidentale par
d’autres moyens qui atteindraient les
mêmes objectifs, en cas d’échec de leurs
opérations incessantes d’extermination,
de destruction et d’extension du
terrorisme »[2].
Fin
juillet le gouvernement syrien a décrété
une « amnistie générale pour les
déserteurs et tous ceux qui ont refusé
de faire leur service militaire dans le
pays en guerre. Elle s’applique à
condition que les déserteurs se rendent
dans un délai d’un mois s’ils sont à
l’intérieur du pays et de deux mois
s’ils se trouvent à l’étranger. D’après
SANA [agence de presse
gouvernementale syrienne, dont le site
en français est inaccessible depuis
plusieurs mois…], l’amnistie concerne
uniquement les soldats ou appelés ayant
fui l’armée. "Ne sont pas
concernés par cette amnistie les soldats
qui ont participé à des opérations
militaires [contre le régime]
après leur défection ou qui ont du sang
sur les mains" »[3].
« Beaucoup de jeunes hommes choisissent de quitter le pays pour fuir
le service militaire. Il est difficile
de leur jeter la pierre : plus d’un
conscrit sur cinq est déjà mort face aux
jihadistes »[4].
Mais on ne nous montrera pas de reportages sur les familles de conscrits
ou jeunes réservistes blessés ou tués au
combat, parfois plusieurs dans le même
foyer.
Selon
le HCR, il y a 6,5 millions de
déplacés internes en Syrie :
familles qui ont dû quitter leur foyer
détruit, ou fuyant les zones de combat
contre les terroristes et « rebelles »,
mais qui ne veulent pas quitter leur
pays et souhaitent retourner chez eux
dès que leurs quartiers sont
reconstruits. D’après T. Meyssan « les
déplacés en Syrie se sont surtout
regroupés à Damas et dans le district de
Lattaquié. Il n’y a pas de déplacés des
zones gouvernementales vers les zones
occupées par les jihadistes » et «sur
le terrain, les rebelles syriens ont
tous accepté de s’allier aux jihadistes
étrangers. Les zones tenues par les
rebelles sont administrées comme en
Arabie saoudite ».
Nos médias ne nous parlent pas non plus des déplacés internes ; et nos
gouvernements ne les aident pas. Ce
serait pourtant doublement intéressant :
là-bas pour les déplacés, et ici pour
contribuer à diminuer l’arrivée de ces
« réfugiés fuyant la guerre », qu’on
nous exhibe depuis quelques jours.
Tel qu’on
nous le présente aujourd’hui, cet exode
requiert une logistique dépassant les
arrangements, mafieux ou pas, de
passeurs embarquant discrètement depuis
les côtes syriennes quelques dizaines ou
centaines de personnes, ou les
accompagnant à travers des frontières
terrestres pourtant hautement
sensibles. A moins qu’une partie de ces
« réfugiés en majorité syriens »
ne se trouve déjà, et pour certains
depuis longtemps, au-delà de la
frontière, par exemple dans les camps de
réfugiés turcs (ou jordaniens) ?
D’après nos informations depuis Damas, « les réfugiés syriens sont
dans des camps en Jordanie, dans des
camps et des locations en Turquie,
uniquement dans des locations au Liban
où il n’y a pas de camp pour les
Syriens. En Jordanie, les réfugiés sont
majoritairement opposés à la République
arabe syrienne, croit-on. Par contre au
Liban et en Turquie, ils sont
massivement pro-Assad. Les réfugiés qui
se rendent en Europe viennent surtout de
Turquie. Ils fuient les camps, après
avoir fui Daesh ».
Nos médias et spécialistes (et ministre des Affaires étrangères) se sont
faits beaucoup plus discrets depuis des
mois sur ces camps de réfugiés
« surpeuplés » en Turquie ou Jordanie[5].
Le « 20 heures » de France 2 du 8
septembre a fait semblant de nous
montrer le camp de Zaatari, à la
frontière jordanienne : une seconde
d’image panoramique (non datée) sur un
camp de tentes sans aucun habitant en
vue, puis reportage sur une famille
chrétienne hébergée dans la paroisse
d’un village jordanien voisin…
La « communauté internationale » qui feint subitement de se
lamenter sur le sort des pauvres
réfugiés n’a pas répondu en décembre
2014 à l’ « appel pressant » du HCR pour
éviter la suspension par le PAM
(Programme alimentaire mondial) de « son
programme d'aide alimentaire à plus de
1,7 million de réfugiés syriens en
raison d'une pénurie de fonds »,
«suspension du programme d'aide
alimentaire […] dévastatrice à
cette période critique [qui] aura
un impact direct sur des dizaines de
milliers de familles réfugiées parmi les
plus vulnérables qui dépendent presque
entièrement de l'aide internationale. Je
lance – disait le Haut Commissaire-
un appel pressant à la communauté
internationale : soutenez le PAM
maintenant, ne laissez pas les réfugiés
souffrir de la faim »[6].
Façon radicale, économique et discrète, de se débarrasser de ces réfugiés
en les poussant vers l’Europe. Merci
qui ?
m-a patrizio,
9 septembre 2015
[1]
Cf. notamment l’émission du 22
mai des « Matins de France
Culture », où le « politologue
et spécialiste de l’islam »,
Gilles Kepel, va jusqu’à
annoncer la prise probable de
Damas par Daesh pour le début du
Ramadan, fin juin 2015… Il faut
dire que le spécialiste était
invité cette année à la réunion
du Groupe Bilderberg, début juin
: il anticipait sur les
pronostics de ses patrons.
[2]
Cf. Moustapha Al Mikdad,
journaliste syrien résidant à
Damas,
http://www.mondialisation.ca/syrie-que-nous-prepare-loccident-apres-sa-guerre-destructrice-et-son-terrorisme/5473249
[3]
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/07/25/assad-decrete-une-nouvelle-amnistie-generale-pour-les-deserteurs_4698341_3218.html
[4]
Informations recueillies auprès
de ce que nos médias appellent
« une source bien informée » :
au choix, OSDH à Londres ou
Thierry Meyssan à Damas..?
[5]
Visite de L. Fabius en août 2012
au camp de Zaatari (nord de la
Jordanie) « établi
en plein désert »
: «"Mon voyage
est d’abord humanitaire"
a-t-il précisé. "L’action
de la France, comme l’action des
autres pays, consiste à apporter
son soutien aux réfugiés", a dit
Fabius qui a également rencontré
des responsables de l’ONU et des
réfugiés syriens. "Je resterai
quelques heures en Jordanie" » :
http://www.liberation.fr/monde/2012/08/16/fabius-bachar-al-assad-est-le-bourreau-de-son-peuple_840043
[6]
http://www.unhcr.fr/547c9633c.html
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|