Palestine
La malhonnêteté des grands médias
à l’égard de la Palestine
Mariam Barghouti
Le
jeune Fawzi al-Junaidi – ici maltraité
par toute une escouade de tueurs à gage
israéliens –
a été accusé d’avoir lancé des pierres
sur les forces israéliennes d’occupation
Image : Capture vidéo
Jeudi 18 janvier 2018
La photo de l’adolescent de 16 ans,
Fawzi al-Junaidi, les yeux
bandés, contusionné, et entouré d’une
douzaine de soldats israéliens, a fait
le tour des médias sociaux. On a vu en
lui un emblème de l’oppression
israélienne.
Mais pour les grands médias occidentaux,
il était difficile d’intégrer cette
photo à tous les discours sur la «
colère », la « rage », la
« violence » et les images
régulièrement recyclées de pneus en feu
et de jeunes hommes aux visages
dissimulés par un foulard qui lancent
des pierres.
L’arrestation de
Fawzi a donc été présentée comme un cas
singulier, une exception, et ce qui lui
est arrivé après qu’il a été
photographié n’a pas intéressé les
médias dominants. On a peu parlé des
milliers d’enfants actuellement
emprisonnés, et encore moins du fait
qu’ils sont la cinquième génération de
Palestiniens à vivre sous occupation
militaire.
De même, alors que
de nombreux correspondants étrangers
disaient que la décision du président
américain Donald Trump de reconnaître
Jérusalem comme la capitale d’Israël
avait jeté « de l’huile sur le feu »,
il n’a guère été fait mention du
nettoyage ethnique systématique que
cette même ville subit depuis 70 ans.
Dans les reportages
occidentaux, les Palestiniens ont une
fois de plus été présentés comme des
gens habités par une « colère »
irrationnelle, et la couverture
médiatique que mériterait l’oppression
dont ils sont victimes leur a été
refusée une fois de plus.
En règle générale,
les Palestiniens ne sont mentionnés dans
la presse dominante que lorsqu’ils
manifestent ou qu’ils résistent
physiquement aux agressions
israéliennes. Leurs protestations sont
qualifiées d’ « escalade de la
violence » dans la région. Par
contre on ne parle pas d’« escalade
de la violence » quand Israël
intensifie ses raids nocturnes sur les
maisons palestiniennes, ou que les
colons attaquent des fermiers
palestiniens.
Les médias grand
public mettent toujours l’accent sur la
réaction palestinienne et jamais sur les
actions israéliennes, ce qui laisse
croire que les Palestiniens sont à
l’offensive alors qu’ils ne font que se
défendre.
Israël s’est
construit en tenant un discours «
défensif » et les médias grand
public abordent tout ce qui arrive dans
la région en utilisant le même cadre de
référence. C’est pourquoi, ils parlent
des « émeutes » palestiniennes et
disent qu’elles sont «dispersées »
par les forces israéliennes, en
reprenant mot à mot le discours des
porte-paroles du gouvernement israélien.
C’est pourquoi, dans la plupart des
articles, on appelle le mur d’apartheid
un « mur de séparation » et que
les correspondants étrangers à Jérusalem
ne disent jamais « Jérusalem occupée
», ce qui est pourtant le cas selon
le droit international.
La façon dont les
médias parlent de Gilo, la colonie
israélienne de Jérusalem-Est et d’autres
colonies illégales en Palestine, laisse
croire que ce sont simplement des «
quartiers » et que la Cisjordanie
n’est pas occupée, mais « contestée »
ou «disputée».
Les Palestiniens
ayant la citoyenneté israélienne sont
appelés des « arabes israéliens »
(et non des Palestiniens, ndt). La
Cisjordanie est un endroit où les
Palestiniens « cherchent à établir un
État » comme si ce territoire ne
leur appartenait pas. Gaza est dépeinte
comme une entité souveraine alors que
c’est une ville palestinienne assiégée.
Mais les dernières
extravagances médiatiques sur la
Palestine ont pris un tour différent
parce que les relations entre les grands
médias et Trump sont tendues et que cela
les a incités à changer l’angle de leurs
reportages. A cause des attaques de
Trump contre les grands organes
d’information et de la fixation du
public sur son administration, la
couverture médiatique de la dernière
attaque contre les droits des
Palestiniens est un peu plus critique,
mais pas de la bonne manière.
Les médias grand
public ont présenté l’annonce du 6
décembre de Trump comme sa dernière
bévue, ce qui n’a fait que semer encore
plus de confusion sur les véritables
enjeux. On n’a pratiquement pas parlé de
la lutte quotidienne des Palestiniens
vivant sous occupation, ni de l’histoire
de l’annexion des terres, ni de la
sionisation de Jérusalem.
On n’a pas non plus
dit que Trump avait simplement décidé de
ne pas signer le report de l’application
d’une loi que le Congrès américain
avait prise il y a 20 ans. 1
Il n’y a pas eu non plus d’analyse sur
la façon dont les États-Unis ont permis
et financé le projet colonial israélien
en Palestine. Il n’a pas non plus été
rappelé qu’Israël avait construit son
État sur la base de la déclaration d’un
autre dirigeant, lord Arthur Balfour, il
y a cent ans.
A l’époque où
Balfour occupait le poste de secrétaire
d’État britannique aux Affaires
étrangères, le projet colonial
britannique avait déjà élaboré un récit
mythique efficace qui présentait les
Palestiniens comme des sauvages
arriérés, ce qui justifiait l’occupation
et validait les pratiques coloniales
brutales.
Ce récit mythique a
permis à Balfour de d’annoncer en 1917
la création d’une patrie juive dans la
région au mépris total de la population
qui y vivait. Il a également permis aux
sionistes de dire que les Juifs
sionistes sont « un peuple sans terre
pour une terre sans peuple » et
qu’ils « font fleurir le désert »
– en effaçant complètement l’existence
de la population autochtone.
Lorsque les
Palestiniens se sont révolté en 1936
contre le Mandat britannique et le
mouvement sioniste, on a vu émerger
l’image de l’arabe « en colère »
et « irrationnel ». Lord William
Peel, qui dirigeait la Commission
royale palestinienne, a été chargé
d’enquêter sur « l’agitation » et
le « désordre » dans la région.
Le rapport de la commission faisait à
peine mention de l’oppression
britannique et, à l’instar des médias
grand public d’aujourd’hui, ne parlait
que de la réaction palestinienne à la
présence des soldats anglais et à
l’expansion sioniste.
Aujourd’hui, comme
nous sommes censés être à l’ère «
post-coloniale », le colonialisme
est considéré comme dépassé. Pourtant,
les préjugés coloniaux dominent toujours
la manière dont on se représente les
Palestiniens. Au cours des dernières
décennies, Israël a assez bien réussi à
contrôler les grandes lignes du récit
mythique sur la Palestine et à maintenir
le biais en sa faveur.
Les autorités
israéliennes ont méticuleusement
construit et répandu l’idée que les
arabes étaient « en colère », «
violents » et « irrationnels »
tout en mettant en avant la puissance
civilisatrice de l’État israélien. Ils
ont vendu cette image des Palestiniens
au monde entier pour tenter de légitimer
leurs violations des droits de l’homme.
Israël a également
réussi à faire passer la question
palestinienne pour une question
religieuse entre arabes/musulmans et
juifs. Ce discours vise à effacer
l’identité palestinienne et à dépeindre
l’occupation comme un conflit religieux.
Cela permet également aux sionistes de
lancer plus facilement des accusations
d’antisémitisme contre ceux qui
s’opposent au colonialisme israélien
et/ou le critiquent.
Et, depuis des décennies, la question
palestinienne est présentée comme un
conflit entre deux camps de force égale.
Le contexte de la colonisation,
l’apartheid, les implantations
illégales, les exécutions
extrajudiciaires, les démolitions de
maisons, les arrestations arbitraires et
les détentions administratives ne sont
que des notes de bas de page dans le
discours global. On évite d’utiliser le
mot colonialisme parce qu’il évoque les
crimes d’une époque que les puissances
occidentales préfèrent oublier.
Rien ne changera en
Palestine tant que cette vision
coloniale ne sera pas remise en question
et que les médias grand public ne seront
pas obligés de changer de discours. Il
faut que beaucoup plus de personnes dans
le monde prennent conscience de ce qui
se passe réellement en Palestine, pour
que la pression oblige les gouvernements
à changer de position et à cesser de
soutenir le projet colonial d’Israël.
Entretenir le
discours médiatique actuel ce n’est pas
seulement se rendre complice de
l’oppression des Palestiniens par
Israël, c’est quelque part aussi
l’encourager.
Note
1. Depuis
1995, une loi adoptée par le
Congrès américain, le Jerusalem
Embassy Act, appelle les
États-Unis à déménager
l’ambassade de Tel-Aviv à
Jérusalem, « capitale de l’État
d’Israël ». Une décision
contraignante pour le
gouvernement américain. Mais une
clause contenue dans la loi
en question permet au président
de repousser son application
pour six mois, sur la base de
préoccupations de sécurité
nationale.
Publié le
30/12/2018 sur
Al Jazeera
Traduction :
Chronique de Palestine – Dominique
Muselet
Mariam
Barghouti est une écrivaine
palestino-américaine basée à Ramallah.
Ses commentaires politiques sont publiés
dans l’International Business Times, le
New York Times, TRT-World, entre autres
publications. Son compte twitter. : @MariamBarghouti
Les dernières mises à jour
|