VENEZUELA
Le président 2.0.
Marco Teruggi
Jeudi 31 janvier 2019
Par Marco Teruggi depuis Caracas
Le 30 janvier 2019 a confirmé le
caractère inédit du champ où se trouve
le Venezuela: une nuée de caméras du
monde entier à la recherche du
“président de transition Guaidó” dans
une ville qui aurait dû déborder de
sympathisants pour voir exaucé leur
désir de voir le “nouveau président” se
trouver là où il devrait être,
c’est-à-dire au Palais Présidentiel de
Miraflores. La réalité, une fois de
plus, a déconcerté ceux qui y croyaient:
quelques poignées – littéralement – de
manifestants circonscrits aux quartiers
riches et une courte apparition de
Guaidó entouré d’une cinquantaine de
personnes, à l’Hôpital de l’Université
Centrale, entouré par un peu moins d’une
centaine d’étudiants et de professeurs
en médecine, vieux antagonistes des
politiques de santé gratuite pour la
majorité sociale. Les journalistes des
grands médias se regardaient sans
comprendre. (1)
Tout ça pour ça ? Les médias ont dû se
contenter de quelques plans serrés.
Après quoi Guaidó a
écrit sur son compte Twitter: “Aujourd’hui
#30Janvier, nous, vénézuéliens, sommes
sortis à nouveau pour élever notre voix,
nous retrouver dans la rue et démontrer
que nous pouvons changer le pays”.
Un peu plus tôt il avait remercié pour
son appel téléphonique Donald Trump
lequel à son tour avait twitté pour
célébrer “la mobilisation massive”.
La distance entre
la construction internationale des
médias, des réseaux sociaux, et ce qui
se vit dans le pays, est immense. Il ne
se passe pas ce qui devrait se passer
une semaine après l’autoproclamation.
Guaidó n’a pas de territoire, ni de
reconnaissance interne, ne commande à
personne, n’éveille pas l’appui qu’il
devrait éveiller, se retrouve plus
proche du ridicule que du pouvoir.
L’expression vénézuélienne la plus
exacte pour le qualifier serait “pote
de humo”, “boîte à fumée”.
Ce même 30 janvier,
le Parlement Européen a avancé dans son
refus de reconnaître Nicolás Maduro, en
affirmant à travers Antonio Tajani, que
Guaidó est devenu “le seul
interlocuteur”, et qu’à partir
d’aujourd’hui il serait reconnu comme
président. De concert, les salons
diplomatiques ont poursuivi leur courbe
putschiste, avec la réunion de Julio
Borges, député qui a fui la justice, et
plusieurs sénateurs états-uniens. Borges
assumera la représentation du
“gouvernement de Guaidó” auprès du
Groupe de Lima (gouvernements
néo-libéraux latino-américains).
Le contresens
devient évident. Toute personne honnête
et dotée de sens commun qui parcourt
Caracas se rend compte que le Venezuela
n’est un pays en faillite où une partie
de la population aurait décidé de se
donner un nouveau président, et que ce
“nouveau gouvernement” n’a pas de
réalité sur place.
Ce hiatus révèle
deux points centraux. En premier lieu,
il corrobore que la construction de
Guaidó a été conçue dès le début depuis
l’extérieur à travers une puissante
opération communicationnelle et
politique. Il ne faut pas chercher pour
l’heure de réponses sur le plan national
pour comprendre ce qui peut venir. Les
maigres annonces qu’a faites Guaidó sont
destinées à l’international: nommer des
représentants dans différents pays,
recevoir des appels depuis les
Etats-Unis, annoncer qu’on se prépare à
recevoir leur aide humanitaire.
Cela signifie que
le plan et les hypothèses doivent être
recherchés dans les couloirs de la
Maison Blanche. Chaque jour vient
renforcer cette thèse. La décision et le
schéma se trouvent à l’extérieur.
Comment la droite en est-elle arrivée là
? Il faudrait mener une analyse sur les
dernières années, l’accumulation
d’échecs politiques et les matrices
politico-culturelles issues de décennies
et de siècles. Il faudrait aussi
analyser la politique actuelle des
Etats-Unis vis-à-vis de l’Amérique
Latine, sa nécessité de construire un
contrôle sans failles avec des
gouvernements comme celui de Mauricio
Macri ou d’Iván Duque en Colombie, dans
un contexte de batailles géopolitiques
corrélées dans le continent dans le
champ des investissements.
Par ailleurs le
contexte national se caractérise par une
haute instabilité. Le calme revenu
depuis le 23 janvier ne signifie pas que
la droite ne peut pas relancer une série
d’actions. Le plus probable est qu’elle
le fera quand l’ordre arrivera. Cela se
produirait sous deux dimensions.
La première se
nouerait à travers sa base sociale la
plus active, avec laquelle la droite a
scellé un pacte dangereux: elle ne
réussit à la convoquer que pour des
actions visant à chasser Nicolás Maduro
du Palais présidentiel. Ses autres
activités politiques génèrent des
sifflets, des refus, un manque de
participation d’une base déçue par ses
leaders. Cette base d’appui ne répond
plus qu’aux appels au coup d’Etat. Elle
le sait et c’est une partie de la
négociation que mène Guaido en fonction
de l’attente qu’il a créée et des
logiques construites lors des tentatives
de coup d’Etat antérieures (2002, 2014,
2017..)
La deuxième
impliquerait d’activer des groupes armés
dans les quartiers populaires. Selon les
enquêtes réalisées à l’intérieur de ces
territoires et selon les sources
officielles, le prix par personne et par
nuit pour sortir et monter un foyer de
violence, est de 30 dollars. Cela, dans
les zones où on cherche à générer un
appui populaire, un soulèvement qui
jusqu’à présent ne s’est produit nulle
part, afin d’exploiter les images
instantanément et intensément à travers
les réseaux sociaux. Un foyer de
violence furtif et converti en tendance
sur Twitter possède un haut impact sur
la base sociale que cherche à convoquer
Guaidó, lui-même co-organisateur des
violences d’extrême droite de 2017
caractérisées entre autres
par les lynchages d’afrodescendants,
brulés vifs.
Par contre, dans
d’autres territoires, où l’objectif a
été d’affronter de manière armée les
forces de sécurité de l’Etat – avec
grenades, armes courtes et longues – le
prix fut environ de 50 mille dollars, à
répartir ensuite au sein de la bande
sous contrat.
Ces scénarios
pourraient se reproduire au moment où la
droite décide de les réactiver – ce qui
ne signifie pas qu’ils seraient
couronnés de succès. La violence fait
partie intégralement du schéma de siège
et d’assaut. Pour comprendre comment
elle est calibrée, il faut la corréler
avec les temps fixés pour atteindre
l’objectif. Pour la droite le danger
peut être d’épuiser sa base sociale, ou
le refroidissement pur et simple si
Guaidó persiste dans le manque de
directives claires, dans l’inconsistance
et dans l’incapacité de dire quoi que ce
soit.
La position
conjointe des gouvernements du Mexique
et de l’Uruguay tranche avec ce
contexte: ils convoquent une réunion
internationale le 7 février pour aborder
le thème du Venezuela. Le dialogue
semble être la seule manière de
désamorcer la tension explosive qui
monte grâce à la complicité active de
gouvernements, des grands médias et de
forces souterraines. Sinon, quoi ?
Maduro ne démissionnera pas. La
guerre ouverte avec des mercenaires et
paramilitaires ?
Ceux qui mènent le
conflit contre le Venezuela se
rapprochent de limites dangereuses.
Guaidó, le premier président 2.0, une
fiction réelle, ne semble qu’un pion
dans le schéma qui l’a placé à cet
endroit.
Marco Teruggi,
depuis Caracas
Note (1) : à noter
que comme d’habitude depuis 20 ans les
grands médias ne montrent pas les
manifestations chavistes, d’ailleurs
bien plus nombreuses que celles de
l’opposition.
(Note de
Venezuelainfos)
Source:
https://www.pagina12.com.ar/171940-el-presidente-2-0
Traduction: Thierry
Deronne
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