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Théopolitique

Le pape François et
l'avenir spirituel du christianisme

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Vendredi 31 octobre 2014

" On ne peut apprendre la philosophie, on ne peut qu'apprendre à philosopher."
E Kant

Eclaircissements
1 - Un mystique au timon de l'Eglise
2 - Une métaphore existentielle
3 - Qu'est-ce que " l'esprit " ?

4 - La vie rêveuse des demi-cérébralisés

5 - La guerre entre la Lettre et l'esprit
6 - Le polythéisme larvé de M. Barack Obama
7 - La dérobade des intellectuels de la foi

Post sriptum

Eclaircissements

Avec la mise en scène politique d'un personnage imaginaire - un revenant qui aurait changé de tête ( Discours de campagne d'un revenant qui aurait changé de tête , 4 octobre 2014) - je n'ai pas troqué un acteur en chair et en os de l'histoire contre un fantôme, mais j'ai tenté, bien au contraire, de faire débarquer dans l'arène les protagonistes réels d'une espèce onirique par nature et par définition. Comment les évadés partiels de la zoologie qui, depuis le paléolithique supérieur se déplacent à mi-hauteur entre la terre et leurs soleils intérieurs se rendent-ils observables tantôt dans les airs, tantôt à ras du sol?

Les protagonistes en chair et en os de l'histoire des peuples et des nations se répartissent entre les rêveurs ascensionnels et les voletants dans leur poussière. Ce phénomène introduit une hiérarchie des âmes et des cervelles dans le récit de tous les évènements. On l'a bien vu avec une Académie des sciences morales et politiques qui, depuis 1832, s'est révélée une invention de la Monarchie de Juillet et qui, à ce titre, se réclame d'une objectivation illusoire du monde dont l'anthropologie critique radiographie les instruments pseudo explicatifs.

Dès 1802, Chateaubriand proclame - quelle audace - qu'il ne s'occupe que de "théologie poétique". C'était dire, avec plus de deux siècles d'avance, que l'homme est à lui-même une poétique ambulante et que toute théologie n'est qu'un art poétique déguisé en cosmologie fantastique. L'ascensionnel humain se manifeste dans les religions, la littérature, la peinture, la musique, l'architecture, la science. Les sentiers descendants sont ceux de l'auto-rabougrissement académique ou sacerdotal. Dans les deux textes qui suivent, je ferai se parler à lui-même un acteur central de l'ascensionnel humain, le pape François.

Car le débarquement effectif de ce poète de l'histoire dans l'arène de la géopolitique contemporaine se poursuit à la faveur même de l'échec de façade d'un Synode chargé, en principe, de réformer le statut des divorcés et de soumettre la morale de l'Eglise non plus aux décrets d'une dogmatique inébranlable, mais aux observations de l'évolution mondiale des mœurs, dont la vocation scientifique s'inscrit dans la postérité sociologique de la Renaissance. Du reste, ce tournant doctrinal semble avoir été expressément programmé par le Saint Siège lui-même: il lui fallait accéder à la communication de masse. Sinon, comment expliquer non seulement que la Curie ignorerait l'état d'esprit de la majorité des deux tiers du clergé, mais que personne n'aurait informé le pape que son Eglise n'est pas près de légitimer l'homosexualité et de relativiser une morale inscrite dans les chromosomes de la bisexualité de notre espèce?

Raison de plus, pour une anthropologie de l'histoire branchée sur une interprétation métazoologique de la géopolitique, de proposer au lecteur une réflexion de fond sur l'encéphale des chefs d'Etat élus au suffrage universel. Car ceux-ci se révèlent tragiquement sous-informés de l'état des sciences humaines d'aujourd'hui: ils ont pris un retard non moindre que celui de l'Académie des sciences morales et politiques dans la connaissance nouvelle que notre espèce a acquise d'elle-même au début de ce troisième millénaire. Observons donc les embarras d'un Saint Siège d'avant-garde. Comment s'adapter au monde sans renier le vide de la pensée théologique, qui ne pense jamais par elle-même, mais qui charge un tiers mythique de penser à sa place afin de donner à sa réflexion une caution censée irréfutable et de rendre son autorité publique inébranlable.

1 - Un mystique au timon de l'Eglise

L'année où j'ai publié - c'était en 1965 - mon Essai sur l'avenir poétique de Dieu, j'étais loin de me douter que, quarante huit ans seulement plus tard, un acteur de la spiritualité chrétienne tenterait de débarquer subitement sur une scène politique rendue muette à l'école de la médiocrité de ses élites : le pape François. A l'époque, le débat philosophique concernant le statut des religions faisait encore écho aux fracas du siècle des Lumières en ce qu'il portait, d'un côté, sur le rang intellectuel et psychique du sacré, de l'autre, sur la nature et le statut des sciences du calculable.

Constatant Il y a un demi-sièclen que le Dieu polymorphe des chrétiens de mon temps n'était plus celui de Voltaire, et encore moins celui du siècle ecclésiocratique précédent, je me demandais seulement pourquoi Bossuet, Pascal, Chateaubriand et Claudel s'étaient obstinés à feindre de mettre en scène une divinité artificiellement centralisée alors qu'en fait, ils évoquaient déjà quatre géniteurs défocalisés du monde, lesquels n'accordaient ni la même voix au mythe, ni ne le laissaient afficher la même démarche, ni ne pratiquaient la même politique, ni n'usaient d'un art unanime d'orchestrer le cosmos. L'humanisme occidental avait-il donc si peu progressé depuis le Moyen-Age que tout le monde brandissait maintenant une effigie diversifiée, mais sur laquelle personne ne s'accordait plus? Que faire d'un scénario flottant et d'une divinité irréfléchie, mais encore artificiellement centralisée à Rome?

Certes, me disais-je il y a cinbq décennies, le Saint Siège n'est ni un apprenti de l'histoire et de la politique, ni un néophyte du pilotage concerté de notre encéphale parmi les récifs du temporel. Longtemps, le destin bruyant ou tranquille de la cervelle du monde d'ici bas et de là-haut était passé par le creuset de la schizoïdie catholique. Les croisades, la querelle des investitures, les guerres de religion du XVIe siècle, l'anti cléricalisme de la Révolution française, la séparation progressive de l'Eglise et de l'Etat à la suite de la loi de 1905 sur le statut d'une République laicisée, tout cela avait forgé le destin dichotomisé d'une espèce scindée de naissance entre le surréel et le terrestre, donc d'un animal bifide et rendu d'avance aussi impuissant à confondre qu'à séparer clairement ces deux coulées du temps tumultueux ou sommeilleux - mais toujours biphasé - des peuples et des nations.

Mais, depuis longtemps, les guerres bipolaires de la théologie ne se lovaient plus au cœur de l'aventure cérébrale et politique des fuyards de leurs ancêtres toisonnés: le quadrumane à fourrure que vous savez semblait avoir achevé la course aventureuse de ses schizoïdies cérébrales. Du coup, le Zeus d'hier s'était endormi dans les ultimes marmonnements de sa créature ; mais celle-ci est néanmoins demeurée plus bicéphale que jamais, puisque le sceptre du prix Nobel de la foi est tombé des mains du Créateur dédoublé de la bible dans celles du grand Pontife américain qui, depuis 1945, officie à la tête d'une Eglise plus impériale que la précédente , celle des Saintes Ecritures apocryphesde la Liberté démocratique mondiale.

Nous n'avons rien gagné à ce basculement du goupillon du ciel des modernes dans les caisses d'un suffrage universel plus scindé que jamais. Le pape François a pesé les poids respectifs de la tiare du Dieu romain et de celle de son rival triomphant, le Jupiter de la Justice et du Droit auquel les rois de la finance internationale présentent désormais leurs offrandes.

Le Saint Siège a donc observé avec attention les erreurs de parcours et de jugement de l'une et de l'autre de ces divinités administratives; et il a remarqué que la balance de la première s'est rouillée entre les mains d'un sacerdoce de célibataires et celle de la seconde dans les ateliers de la bureaucratie de la Liberté. Et il s'est dit qu'il était temps de changer le fléau, les plateaux, les poids et les mesures des deux Curies. Si la boîte osseuse de la bête se trouve encore encombrée de la ferraille d'une cosmologie mythique, comment y rallumer les flambeaux de la vie ascensionnelle de l'humanité? Mais si cet animal trébuche maintenant parmi les auréoles de la sainteté des démocraties verbifiques, à quoi bon troquer l'Olympe ancien pour les lampadaires de la sainteté des droits de l'homme?

2 - Une métaphore existentielle

Dès le séminaire, le pape François s'est fait remarquer parmi ses condisciples par la propension naturelle de son esprit à observer les taupinières de l'endroit réfléchies dans un ciel local et un ciel local dans les coutumes et les mœurs des populations. En 2014, la paléo-anthropologie des hérésies en dit aussi long qu'autrefois sur la diversité des aventures à la fois cérébrales et géographiques des premiers évadés de la zoologie. Et pourtant, depuis les origines du christianisme, les scissions doctrinales et neuronales confondues du simianthrope se laissent toutes recueillir dans un seul filet des songes sacrés, celui de l'arianisme: à toutes les époques et en tous lieux, il s'agit toujours et principalement de savoir si le Dieu incarné braillait dans son berceau ou s'il lui avait fallu attendre patiemment l'âge adulte pour égaler en esprit son Père domicilié dans le ciel.

Afin de ne pas dichotomiser trop brutalement la personnalité d'un Dieu encore vagissant dans les langes, la question avait été tranchée avec simplesse dans le sens de l'unité évidente et censée facile à comprendre de la personnalité dédoublée du Sauveur. Mais à cette résolution décidément trop rudimentaire du Concile de Nicée en 325; avait succédé celle, plus affinée, du Concile d'Ephèse de 431 et celle, embarrassée, du Concile de Chalcédoine de 451: le pape Léon 1er avait décidé que Jésus n'était Dieu qu'à l'heure où il marchait sur les eaux, changeait Lazare un sursitaire de sa mort, guérissait un aveugle ou un paralytique, mais nullement quand il se mettait en colère, maniait le fouet parmi les changeurs du temple ou tombait de fatigue.

Mais, puisque l'Eglise ne pouvait s'offrir le luxe de renoncer d'un seul coup à l'ambiguïté politique de substantifier les métaphores de la vie spirituelle de l'humanité - elle y aurait perdu le contact pastoral indispensable avec les masses illettrées de l'époque - où fallait-il faire passer la clôture intérieure entre l'homme ascensionnel et le Dieu extériorisé et banalisé de tout le monde? Impossible d'en décider au gré des circonstances et des vœux changeants de l'auditoire. Aussi, la doctrine autorisée en est-elle venue à théoriser une psychophysiologie de l'abaissement du mythe de l'incarnation du ciel: le prophète s'est vu doté de "deux natures" aussi artificielles l'une que l'autre. De nos jours encore, le catéchisme officiel de la religion romaine enseigne que Jésus aurait retrouvé la rate, le foie et les organes de Zeus ou d'Athéna (Voir Catéchisme romain, 1992, p.104, n°468).

Aussi le pape François ne peut-il faire un pas dans l'ambiguïté de la politique et dans la géhenne de l'histoire sauvage du monde sans se demander comment l'Eglise et lui-même marchent dans une mixture et une décoction du ciel et de la terre. Le Vatican va-t-il se dépêtrer d'une métaphore entêtée à se colloquer des deux côtés de l'humain? S'il s'avisait d'envoyer à la casse le vieux Lucifer et l'armée entière des exorcistes assermentés que Rome a placés bien en vue ou seulement en images auprès de tous les évêques de la chrétienté, s'il livrait au feu des tonnes de cierges et d'encensoirs patentés, s'il disait sans attendre, avec le Bérenger du XIe siècle, que les chrétiens sont devenus une "troupe de sots" de s'imaginer que le vin de leurs messes se changerait subitement en sang humain et métaphorique confondus et le pain de leur sacrifice en chair de composition cellulaire et figurée bien emmêlées, s'il livrait aux flammes d'un incendie planétaire les cargaisons d'ex-votos, de prie-Dieu et de statuettes de bois, de pierre ou de plâtre façonnées par des magiciens de leur foi, il dresserait contre lui des régiments de sorciers, de devins et de scribes - et ses jours seraient comptés à la tête de l'Eglise; mais s'il laissait le genre humain à ses prosternations en chaîne et sous la grêle de ses sortilèges , comment construirait-il la balance de Dieu que le siècle attend? Car, pour fabriquer la balance à peser les têtes et les cœurs, c'était le roi des âmes en personne qu'il fallait livrer là-haut aux fondeurs et aux forgerons du Dieu de demain. Or, les Eglises sont des musées du rêve d'éternité qui taraude le genre humain. On y expose des lanternes immortelles et des flambeaux éteints. Comment empêcher l'Eglise des torches vives de s'éteindre dans l'Eglise des âmes mortes?

3 - Qu'est-ce que " l'esprit " ?

Et puis, François est un mystique attisé, d'un côté, par l'ordre des Jésuites, qui le compte dans ses rangs et, de l'autre, par le Poverello, fondateur de l'ordre des Franciscains. Or, les divers ordres religieux se réclament en tout premier lieu des témoins du ciel qui répondent à leur vocation spirituelle spécifique. Parmi les saints, les uns se veulent des protagonistes de l'histoire en sang, les autres, des méditants. Ceux-là tournent le dos aux acteurs tombant dru du ciel de la politique.

Ignace de Loyola était un guerrier-né. Il avait été rendu infirme des deux jambes au siège de Pampelune. Du coup, le rescapé boiteux avait fondé un ordre para militaire et avait pris la tête des héros d'un ciel marchant au pas sur la terre. La Compagnie de Jésus est rangée en ordre de bataille sous les ordres de son général. La théologie du chef du chef des paradis de la foi porte les galons du code qui font la force des armées. La discipline militaire endosse la casaque d'un catéchisme. Les cohortes de la piété défilent au pas de charge - les pécheurs descendent à l'abîme en rangées bien ordonnées. Toute sa vie, Ignace a jugé que le centre de commandement de la Trinité manquait d'un képi. Peu de temps avant sa mort, il avait assisté en rêve à une délibération de l'état-major, composé du Père, du Fils et du Saint Esprit, qui avait décidé d'adjoindre à son quartier général un expert de la guerre, ce qui élevait le triumvirat théologique officiel à une quaternité aguerrie.

Le Poverello, lui, était un convertisseur enflammé - mais on ne sanctifie pas la pauvreté sans obéir à une vocation érémitique. Comment François accorde-t-il le génie politique de l'homme d'épée avec l'appel de la Thébaïde? Un pape attiré à la fois par le désert et par les arènes du monde voit notre temps prendre rendez-vous avec Israël à Gaza. Bien plus, le christianisme est condamné, deux mille ans après l'épreuve à la fois réelle et métaphorique que le chrétien appelle le Golgotha, à en découdre à nouveaux frais avec Israël et, cette fois-ci, à l'échelle de l'histoire et de la politique de la planète tout entière, parce que le peuple de Jahvé tente, depuis soixante-dix ans et les armes à la main, de retrouver la Jérusalem terrestre et toute la Judée des géographes.

Comment, dans ces conditions, le monde moderne ne poserait-il pas à la fois au peuple de la Bible et au peuple chrétien la question: "Qui es-tu? Qu'appelles-tu l'esprit?"

4 - La vie rêveuse des demi-cérébralisés

Dès lors que le pape est redevenu un acteur de poids de la géopolitique, mais sans que la science historique ait comblé son retard épistémologique et conquis les méthodes d'interprétation rationnelles des mythes religieux qu'attend notre siècle - depuis plus d'une génération, les philosophes reprochent à Clio de se montrer petitement "événementielle" - le retour spectaculaire de la diplomatie vaticane sur la scène internationale contraindra inévitablement la narration chronologique, donc irrémédiablement superficielle, de mettre une canon sur la tempe du héros qu'on appelait l'objectivité. Cet oracle est-il un muet de naissance? Son verbe conquerra-t-il un recul révolutionnaire à l'égard du sens caché des mythes de type théologique? Il y faudra rien moins que le déchiffrage du cerveau onirique de l'humanité, donc un décodage anthropologique des orthodoxies et des hérésies.

Du coup, le territoire de la métazoologie s'étendra à l'analyse du dialogue secret entre les bouches à feu d'Ignace de Loyola et le feu intérieur de François d'Assise - ce qui enrichira la science du passé sur plusieurs points décisifs, tellement la science historique devra s'armer d'une connaissance simiantropologique de la vie rêveuse d'un animal demi-cérébralisé. Car la notion même d'objectivité est tombée en quenouille au sein de la politologie mondiale.

Pour tenter de comprendre le sens de cette aporie, commençons par constater que le pape François n'entretient nullement des relations catéchétiques banales et ridiculement scolaires avec Ignace de Loyola. Un demi-millénaire après la fondation de l'ordre des Jésuites, il n'est pas homme à contempler les rangs serrés des malheureux censés marcher en ordre de bataille vers l'Hadès. En revanche, les mythes vivants sont des fenêtres grandes ouvertes sur les secrets les mieux cachés du genre humain. On y contemple une espèce encore enveloppée dans les langes d'une théologie puérile. A ce titre, un pape humaniste sait que les cosmologies fabuleuses et ensanglantées présentent aux hommes d'Etat et aux historiens pensants le spectacle d'un monde de de blessé à mort et que les affabulations sacrées sont à la fois les creusets et les décalques de la politique mondiale.

Alors que la Compagnie de Jésus connaît de l'intérieur les fauves qu'on appelle des Etats et des empires, le saint d'Assise illustre l'autre face de la religion du Golgotha. Et puisque le christianisme du XXIe siècle s'accommodera mal d'une divinité aux yeux fermés et aux oreilles bouchées, le rendez-vous spirituel de l'Eglise romaine avec le sens caché de son propre récitatif apostrophera en retour le Vatican de la tradition sacerdotale. La Curie reniera-t-elle le vrai message de la Croix? Ponce Pilate, le Sanhédrin, Judas et la sueur de sang du prophète au jardin d'agonie de Gethsémani, tous les protagonistes semi mythologiques que la narration fondatrice du christianisme a portés à une cosmologie symbolique et réaliste confondues trouveront-ils place dans une orthodoxie plus houspillée que jamais entre ses deux figures emblématiques, Ignace de Loyola et François d'Assise?

5 - La guerre entre la Lettre et l'esprit

Mais il y a plus : il existe un lien profond entre les croyances religieuses et les "exercices" du soldat bien entraîné. Même aux yeux d' Erasme, qui a publié en 1503 un Poignard du soldat chrétien (Enchiridion militis christiani), c'est le poignard de Dieu à la main et sur les champs de bataille du ciel que le royaume de Dieu se conquiert. Les célèbres Exercices spirituels de saint Ignace renvoient aux exercices guerriers du seul fait que le verbe exercere renvoie à l'exercitus, l'armée - donc à l'entraînement continu, à la souffrance physique et à l'exténuation du fantassin dans la quotidienneté de la vie militaire dont Alfred de Vigny évoquait la grandeur et la servitude confondues. Mais, en grec, exercice se dit askèsis , qui a donné ascèse en français. L'ascèse monastique est copiée sur la vie réglée et épuisante des camps, parce que l'empire des cieux se travaille comme une terre à féconder. Le moine qui se lève à deux heures du matin pour prier sait que seul un travail acharné et aride fait exister Dieu.

Si la citadelle entourée de la muraille de ses métaphores - on l'appelle le Saint Siège - tentait de passer au large de ses retrouvailles avec son labourage bi-millénaire de l'histoire universelle, la science historique y perdrait son champ de manœuvre et le christianisme doctrinal ferait naufrage dans l'oubli de son rêve de justice. Ignace rappelle à ce pape que la politique est la sueur de l'histoire en marche et que l'homme d'Etat ignorant des rouages et des ressorts langagiers du sacré est un idiot qui se raconte une histoire de fou, comme dit l'anthropologue William Shakespeare , tandis que François d'Assise raconte aux serviteurs ritualisés d'un culte vieilli que l'homme est un animal désespérément ascensionnel et assermenté à titre seulement subalterne en ce bas monde.

Mais comment se colleter avec le temps de l'histoire en ce début du IIIe millénaire, comment conduire à bon port la barque de saint Pierre si le rêve d'une alliance de la foi avec la justice gît dans les décombres de Gaza où, une fois de plus, Israël donne rendez-vous à la guerre multimillénaire de l'humanité entre la Lettre et l'Esprit?

6 - Le polythéisme larvé de M. Barack Obama

Le pape François est descendu résolument et sans attendre dans l'arène instable de la politique mondiale, mais nullement aux côtés d'un Dieu des chrétiens redevenu explosif et dont la dynamite reste entièrement à faire débarquer sur la terre. Ce pape s'est présenté aux côtés des légions traditionnelles de ses Jésuites au garde-à-vous et de quatre-vingts de ses ambassadeurs de choc; et il s'est bien gardé d'invoquer la voix irénique de la religion du Golgotha, mais exclusivement celle de la raison politique en armes et de la sagesse diplomatique la plus aguerrie.

Pourquoi a-t-il néanmoins appelé les nations civilisées à demeurer dans leurs casernes au lieu de se ruer l'arme au poing sur la Syrie? Pourquoi les revues bien affûtées de la Compagnie de Jésus ont-elles diffusé sur les cinq continents un message exclusivement ancré dans la logique de la civilisation du droit international? Certes, le pape François a rudement admonesté la France des Lettres, des arts et de la pensée rationnelle, donc de la santé mentale d'ici-bas. Mais où avait-il caché le Dieu en gésine qui alimentera la planète du feu et de la fournaise de la vie spirituelle de demain?

Décidément, se disait le Saint Père, notre pauvre espèce ne saurait demeurer plus longtemps l'otage de son double orphelinat, celui de ses sciences exactes, d'un côté, dont les fiers travaux ne l'ont conduite à aucun éclat des âmes et à aucun resplendissement des intelligences contemplatives et, de l'autre, au veuvage des Eglises, dont le dessèchement dans les routines du culte et dans l'exténuation des catéchèses étalent la ruine spirituelle de tous les sacerdoces.

Et puis, le rendez-vous du siècle avec les lois sauvages du temporel se révèlent plus universelles et plus féroces que jamais: il a fallu réhabiliter en toute hâte une théologie squelettique de la sauvagerie de la "guerre juste", mais au détriment des oriflammes des "guerres justes" d'autrefois, qui se trouvaient si effrontément qualifiées de "saintes", parce que le ciel du bon sens rendrait burlesque, hélas, une religion dont le pacifisme oratoire proclamerait hérétique d'arrêter la marche des coupeurs de têtes en Irak. Mais si, quelques siècles auparavant, les Vandales, les Burgondes, les Wisigoths, avaient envahi l'Europe, c'était, selon saint Augustin, parce que le Zeus de Job et celui des chrétiens voulaient démontrer d'un commun accord à leurs frêles créatures qu'ils n'avaient en rien à se préoccuper des sanglantes broutilles du temporel. Mais alors, comment garder intacte parmi les barbares la barque de la théologie biphasée des chrétiens?

7 - La dérobade des intellectuels de la foi

Décidément, si saint Ignace et saint François d'Assise se révèlent les génies tutélaires de l'Eglise romaine, leurs théologies respectives donnent bien du fil à retordre au Saint Père. Et pourtant, il y avait urgence à brandir le glaive de la foi parmi les infidèles, les ignorants et les sots, parce que la vie théologique d'une humanité titubante avait été confiée à un président des croyants d'outre-Atlantique tellement ignorant des affaires de là-haut - donc également de celles d'ici-bas - qu'il s'était exclamé: "Aucun Dieu ne demande l'assassinat des femmes et des enfants, aucun Dieu ne demande la décapitation publique des hérétiques", alors que, dans le même temps, il appelait le monde entier à suivre le panache blanc de sa propre sainteté contre la Russie de Dostoïevski et de Tolstoï et que son ministre de la guerre, M. Hagel, proclamait que les légions en armes de la patrie des Tsars étaient "aux portes de l'OTAN"! Washington se rappelait peut-être que, depuis le Déluge, les trois Dieux uniques actuellement en exercice pratiquent jour et nuit l'assassinat de masse et torturent sans relâche leurs offenseurs aux enfers. Mais qu'allait faire la Russie avec ce Dieu-là sur les bras?

Et puis, le guide de la démocratie réputée la plus sainte du monde pouvait-il confesser que les théologies monothéistes sont à la fois génocidaires, et fondées sur la sainteté d'une seule et même justice? L'incohérence théologique, donc cérébrale, de la Maison Blanche posait aux disciples des trois monothéismes des questions anthropologiques aussi insolubles que celle-ci: quelle est l'identité mentale des démiurges bibliques les plus unifiés et de leurs créatures les plus pieuses, quelle est la cohérence cérébrale de l'arianisme de type démocratique, puisque ce manichéisme se veut aussi dogmatique et séraphique que les précédents? Seul l'absurde serait-il vrai, comme le soutiennent tant de mystiques et depuis tant de siècles?

Dans ce cas, comment s'y retrouver dans le chaos des démiurgies? Un pape ne peut ni s'en tenir au credo quia absurdum, (Je crois, parce que c'est absurde) ni refuser l'absurde sans rejeter le mystère et réhabiliter le Démon censé se cacher dans les recoins de la pensée logique. Mais alors, Ignace ne cesse de rappeler au Saint Siège les droits imprescriptibles qu'exerce un réalisme politique indispensable, hélas, à la conduite d'une Eglise installée sur la terre - et l'absurde devient la godille des dérobades intellectuelles multiséculaires de la foi.

*

Le souverain Pontife reprendra le cours de sa réflexion la semaine prochaine. Il se demandera notamment si le Dieu du simianthrope actuel se trouve placé à la hauteur des questions métazoologiques que la démocratie mondiale pose à la théologie chrétienne. Faut-il changer de divinité ou retrouver le vrai Dieu sous les loques du Dieu de Washington?

Post Scriptum

J'écrivais le 25 juillet:
"A partir de cette date, et compte-tenu qu'on ne luttera efficacement contre le naufrage de la langue française que si le Président de la République et le Premier Ministre se voient nommément mis en cause, je relèverai quelques-unes de leurs fautes."

- 1 - M. Valls dit: La France a procédé à des économies conséquentes. On dit: La France a procédé à des économies importantes.

- 2 - M. Hollande confond cesser et arrêter: on arrête une force matérielle, on cesse de se livrer à telle ou telle activité.

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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