Qu'est-ce que
philosopher ?
Le combat de la raison
VIII - Nos tributs au Dieu Liberté
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 27 février 2015
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1 - La
substantification du symbolique
2 - De quel côté la réalité du
monde penche-t-elle ?
3 - L'Europe est-elle un symbole
en perdition?
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1 - La substantification du symbolique
Les têtes savantes,
mais craintives d'autrefois n'étaient
pas à l'abri des miracles et des
prodiges rassurants ou terrifiants des
chrétiens. Amerbach, grand juriste
bâlois, demandait à Erasme, réfugié à
Fribourg, ce qu'il devait faire face à
un double danger: d'un côté, le conseil
municipal de la ville lui demandait de
se prononcer clairement sur le prodige
eucharistique. Mais, comment pouvait-il
seulement imaginer de réfuter les
paroles stupéfactoires du Christ? Le
fils de Dieu n'avait-il pas expressément
déclaré que le pain du boulanger qu'il
avalait sous les yeux de ses disciples
médusés était sa chair toute crue et que
le vin qu'il versait dans sa coupe était
son vrai sang? Pouvait-il traiter le
Nazaréen de sorcier capable de
métamorphoser un aliment et une boisson
en deux substances répugnantes à
consommer? Mais courir l'autre danger
était non moins effrayant: avait-il
l'étoffe de mourir en martyre d'une
déglutination et d'une mastication aussi
pieuses que trompeuses?
Si le conseil
municipal de Bâle s'était montré aussi
ignorant des ressorts anthropologiques
des cultes et des rouages zoologiques du
sacré que notre laïcité ignore les
rouages des fous d'Allah et de Jahvé; si
les Bâlois avaient accusé Amerbach "d'association
de malfaiteurs en bandes organisées"
pour avoir prêché l'anthropophagie et le
vampirisme, quel jugement
porterions-nous, en ce début du IIIe
millénaire sur la cervelle des
protestants de 1522, qui, deux siècles
avant Voltaire et sans rien connaître de
plus que les propositions conciliantes
de Luther affichées en 1517 sur les
portes de l'église de Wittemberg et le
gentil Eloge de la folie
d'Erasme, publié en 1511, rejetaient
néanmoins les voraces du christianisme
romain? Comment se faisait-il que les
Bâlois avaient gardé la tête sur les
épaules au point de savoir que le vrai
sang de la foi ou de la pensée
rationnelle n'est pas celui qui coule
sur l'étal des bouchers ou sur les
champs de bataille? Se souvenaient-ils
seulement de ce que la vraie chair de
Socrate n'était pas celle que Criton
voyait porter en terre et dont le
philosophe disait qu'elle était une "abeille
emportant son miel" et que ce
miel-là ne cesserait de faire "bouillonner"
le monde?
Mais, encore de nos
jours, un humanisme privé de toute
métazoologie capable de peser le
divin et le carnivore sur les
balances d'une anthropologie du
spirituel se révèle indigne d'arbitrer
le dialogue embarrassé des religions
avec le symbolique d'un côté et avec le
réel, de l'autre. Car une civilisation
privée de toute philosophie de l'esprit
ne saurait se soustraire, toute honte
bue, à son devoir le plus impérieux,
celui d'apprendre à lire l'histoire des
têtes post-zoologiques, à la lumière
d'un décryptage métazoologique, lui
aussi, de la vraie chair et du
vrai sang de Socrate, parce que le
protestantisme américain tente, en toute
hâte, de rendre eucharistique, donc
physique, le pain d'une Liberté qui
n'arme jamais, hélas, que son glaive et
sa puissance. La question de 1522 a donc
débarqué dans l'histoire, puis dans la
géopolitique et dans une métazoologie
mondiale, et cela à la manière dont
l'abeille avait débarqué dans la
philosophie du "connais-toi" deux
millénaires auparavant.
Qu'est-ce à dire?
Primo, que, dès le paléolithique,
la parole simiohumaine a scellé une
alliance politique, religieuse et
physique avec des métaphores
substantifiées; et secundo, que,
de son côté, cette figure de style
renvoie la métazoologie des images au
grec sum-ballein, jeter
ensemble. Que "jeter ensemble",
sinon l'alliance du signe avec la chose
et de l'effigie avec la personne? Si
nous ne décryptons pas la religion avec
des yeux d'anthropologues des symboles,
donc de méta-zoologues du langage
métaphorique des religions prises
inter sacrum et saxum - "entre le
couteau et l'autel", jamais nous ne
verrons le fétichisme, le totémisme et
le ritualisme guetter la bête en quête
d'une parole qu'elle substantifiera à
tort et à travers; et surtout, jamais
nous ne verrons la vraie chair et
le vrai sang d'une Europe et
d'une France vassalisées par leur
ensorceleur d'au-delà des mers.
De quel pain rassis
nous sommes-nous rassasiés, de quel vin
d'une Europe sans voix nous sommes-nous
désaltérés? Quand, sur l'ordre du dieu
de chair qui nous pilote et nous montre
notre proie et la sienne d'un doigt
vengeur, nous nous sommes rués en
aveugles sur la Russie de Tolstoï et de
Dostoïevski, nous n'avons pas perdu un
seul arpent de notre riche terre
d'ici-bas, et notre vin de Bordeaux, de
Bourgogne ou d'Anjou ont continué de
couler en abondance de nos coupes dans
nos gosiers.
Mais en sommes-nous
enrichis ou appauvris? Depuis lors, le
vrai vin de la France nous reste dans la
gorge. Qui dirait que le vrai sang de la
France se trouverait dans des fûts de
bois? La politique et l'histoire
véritables de la France, ce sont sa
vraie chair et son vrai sang qui nous
les racontent - et nous ne mangerons
plus cette chair-là et nous ne boirons
plus ce sang-là aussi longtemps qu'un
faux Dieu ignorant des vignobles de
là-haut nous commandera nos semailles.
Quel étrange animal que celui dont le
verbe exister tronçonne la chair
et l'esprit entre la bête et la
métaphore
2 - De quel côté la réalité du monde
penche-t-elle ?
De siècle en
siècle, la vraie France se révèle le
pontonnier du symbolique, de siècle en
siècle, la vraie France raconte une
géographie de l'esprit, de siècle en
siècle, la vraie France se veut un
signal cloué sur la potence du monde.
Qu'est-ce que le pain et le vin de la
mort et de la résurrection de la France?
Puisse cette abeille apporter son miel
aux vassaux de l'Amérique d'aujourd'hui,
puisse une laïcité approfondie
introduire la question de l'abeille
socratique dans l'humanisme mondial et
dans la pensée politique.
Car une République
privée de regard sur sa chair et sur son
sang spirituel se ruera dans
l'obscurantisme que sa servitude ne
cessera de secréter sous son os frontal.
Périclès avait lu Platon et Aristote,
Louis XIV, ce roi "ennemi de la
fraude" en savait sans doute
davantage qu'il ne voulait le dire quand
il conseillait à Molière de ne pas "irriter
les dévots". Mais de quelle fraude
était-il question? En ces temps reculés,
la science des masques sanglants du
sacré était demeurée balbutiante. Il
était trop tôt pour que le Grand Siècle
visitât le champ de bataille d'un
chorège de la servitude qui se servait
des armes mêmes de la Liberté pour
ensanglanter le monde et le
vassalisateur.
La fraude
construite sur des signes chosifiés
symbolise la maladie la plus universelle
et la plus incurable de l'intelligence
simiohumaine. Mais cette
substantification mortelle du vrai et du
faux ne révèlera son animalité qu'à des
peseurs nouveaux de l'infirmité
cérébrale qui frappe les semi-évadés de
la zoologie. Si les hommes politiques de
l'Europe domestiquée d'aujourd'hui
ignorent tout du cerveau dont
s'armeraient des Etats devenus
souverains, le monde tombera-t-il dans
une "histoire de fou racontée par un
idiot" qu'évoquait William
Shakespeare (
L'Europe, un asile d'aliénés La
modernité de l'Eloge de la folie
d'Erasme , 5 décembre 2014 ) ou
bien la métaphore du ciel socratique
verra-t-elle un nouvel avenir s'ouvrir à
la pesée de l'humiliation morale et
cérébrale des Etats vassalisés? Car une
civilisation garrotée par la présence en
armes de cinq cents garnisons étrangères
incrustées à jamais sur son sol ne
connaît pas le sens métaphorique du
verbe exister: une nation en tant
que telle n'est pas un territoire , des
édifices, une police, une armée, une
nation en tant que telle est une
métaphore et cette métaphore n'existe
que dans les cœurs et dans les têtes.
De Ramstein à
Syracuse, un frelon charrie maintenant
le mythe faussement évangélisateur et
trompeusement rédempteur de la Liberté
du monde, de Ramstein à Syracuse, un
occupant en armes tient le sceptre de la
sujétion de l'Europe entre ses mains.
Pourquoi cette sotériologie
superstitieuse se trouve-t-elle armée
jusqu'aux dents par les faux
surveillants d'une liberté verbifique,
sinon parce que tout empire baigne dans
le sang d'ici-bas . Mais de quel sang
parlons-nous parmi les bouchers et les
abeilles?
3 - L'Europe
est-elle un symbole en perdition ?
Mais c'est encore
et toujours la seule force militaire qui
charrie la parole faussement séraphique
des démocraties placées sous le sceptre
vassalisateur de leur évangile de la
Liberté; et c'est encore et toujours la
force armée qui rend religieuse en
sous-main la politique actuelle du
concept de Liberté pris au sens pseudo
apostolique et convertisseur du terme.
Aussi longtemps que la politologie
moderne s'égarera dans le langage masqué
et dédoublé d'un rêve de Liberté, la
géopolitique ne quittera pas l'histoire
du sang d'ici-bas.
C'est pourquoi
seuls deux soldats de terrain - Charles
de Gaulle et Jacques Chirac - ont défié
le premier empire guerrier qui soit
parvenu à étendre le règne de ses armes
au monde entier, tandis que le bas et le
haut clergé des démocraties de la
candeur ne font à l'Amérique que des
reproches d'enfant de chœur: on ne
réfute pas dans l'abstrait un empire en
expansion continue et " naturelle " sur
des champs de bataille réels, on apprend
seulement à combattre ce dinosaure
l'arme au poing.
Mais si l'on ignore
sur quel champ le blé de la pensée se
moissonne, on verra quarante six pour
cent de la chair et du sang de l'empire
américain occuper physiquement l'Europe
du Nord au Sud et de l'Ouest à l'Est ;
et le Vieux Continent aura beau lancer
des trains à grande vitesse sur tous les
marchés du monde, remporter la victoire
de l'aviation commerciale sur le vieux
monopole de Boeing, qui remonte à 1945,
expédier à la vitesse de mille
kilomètres à la minute la sonde Rosetta
sur la comète Tchouri-Guerassimov,
réussir demain le placement de Galileo
sur son orbite, prendre la tête de la
connaissance des ultimes secrets de la
matière, tout cela ne sera que vin
tourné et pain sec sur les champs de
bataille réels du monde, ceux des
symboles et des métaphores, qui ne sont
pas des substances matérielles, mais des
drapeaux, des blasons et des signes. Une
civilisation oublieuse des équipées du
pain et du vin réels - ceux des signes
vivants, respirants, incarnés - ne ferre
que des sabots et ne scelle que les
chevaux de son maître.
Le spectacle le
plus hallucinant, dans la soumission
d'une civilisation européenne autrefois
illustre par ses retentissantes
cavalcades n'est autre que celui d'une
classe dirigeante qui persévère à se
qualifier de "classe politique", alors
que l'on quitte nécessairement l'arène
réelle de l'histoire du monde, celle du
symbolique, pour se livrer seulement à
un petit jardinage si l'on ne pose même
pas à son pays la question de la
présence insultante des troupes
étrangères et maitresses du jeu sur le
territoire qu'on habite. .
Le 27 février 2015
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