Opinion
Une France sans destin
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 26 février 2016
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1 - La labilité et la
fixité des dieux
2 - La fonction oraculaire du
Capitole
3 - Une Europe de poupées de son
4 - La capitulation de l'Europe
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1 - La labilité et
la fixité des dieux
Les biographes de
la mort sont aux aguets: ils savent,
eux, que la politique ressortit à l'art
oratoire, ils savent, eux, que la vraie
voix des nations est celle de leur
destin et une France sans destin est une
France sans voix. Pour comprendre
comment les nations se donnent un élan,
un souffle, un destin à l'écoute de leur
voix, il faut remonter le cours du
temps.
Il était une fois
un paradis sur terre auquel un fleuve
divin apportait chaque année la manne de
son limon fertile. Il suffisait
d'ensemencer régulièrement le
déversement de cette corne d'abondance
pour nourrir non seulement la
population, mais pour transporter chaque
année jusqu'aux bouches du Tibre le blé
de l'annone aux citoyens romains. Les
esprits tranquilles, mais aussi les plus
endormis, se félicitaient de ce qu'un
Dieu aussi ponctuel et tranquille
transformât la nature en une boîte de
Pandore des félicités.
Mais d'autres
s'inquiétaient d'un Dieu aussi mécanique
et qui transformait l'univers en une
clepsydre sans surprises. Ils se
disaient que ce Dieu trop paisible ne
présentait pas une garantie de durée
suffisante, tellement le destin est
capricieux et tumultueux par nature. Il
fallait, pensaient-ils, planter dans le
désert des masses de pierres colossales
dont la solidité cautionnerait la
bienveillance du Nil. Et puis, comment
l'ordre pacifique des saisons, comment
la seule bénévolence des jours
conduiraient-ils la dépouille mortelle
des Pharaons vers leur éternité? De
gigantesques pyramides ont accompagné la
labilité de leurs cadavres parfumés vers
leur immortalité. Les nations ont besoin
de titanesques agrippements de leur
quotidienneté à la matière inébranlable
de leurs symboles.
2 - La fonction
oraculaire du Capitole
De l'autre côté de
la Méditerranée, c'était le Capitole qui
servait d'emblème et de forteresse à
l'éternité de l'empire romain. Othon,
dont les troupes venaient d'assassiner
le vieux Galba et son successeur
désigné, le vertueux Pison, s'était
suicidé en se précipitant sur son épée
au spectacle du désastre auquel il
conduisait l'empire. Le goinfre
Vitellius, à la tête des légions de
Germanie, courait vers Rome et le feu
avait été mis au Capitole. Il s'agissait
d'un malheur plus irréparable qu'une
bataille perdue. Vespasien arrivait du
Moyen-Orient à bride abattue, où il
laissait à son fils Titus l'ultime
écrasement des Juifs qui refusaient de
payer le tribut et de placer la statue
de l'empereur dans leur temple.
Mais Vespasien eut
beau reconstruire le Capitole et
organiser de longues journées de
purification de l'empire, jamais ce
monument n'a retrouvé la plénitude de sa
fonction sacrale. Puis les chrétiens
commencèrent de faire entendre leurs
voix: que valaient, disaient-ils, des
dieux condamnés à se faire écouter dans
le gosier stupide des oies du Capitole ?
Saint Ambroise fera enlever la statue de
la Victoire qui trônait depuis des
siècles dans l'enceinte du Sénat. On
sait que la réponse de Symmaque figure
dans toutes les chrestomathies,
tellement elle répond aujourd'hui encore
à la question de savoir si les dieux
ressortissent à des floraisons
culturelles ou si la vérité coule de
leur bouche.
3 - Une Europe de
poupées de son
Où sont, de nos
jours le Sphinx, le Capitole, la
muraille de Chine de l'Europe? Où sont
les symboles de l'unité européenne? Qui
peut se reconnaître dans la tour de
Babel du Parlement de Strasbourg ou dans
une Commission de Bruxelles accrochée
aux basques de l'Amérique?
Pendant quarante
neuf ans, l'Allemagne avait été scindée
entre le régime capitaliste à l'ouest et
une économie fondée sur le messianisme
d'une utopie économique à l'est. En
1989, un miracle s'était produit:
l'effondrement du mur de Berlin, avait
réuni les deux Allemagne et redonné à la
patrie ressoudée Berlin pour capitale et
la porte de Brandebourg pour symbole de
son unité ressuscitée. Mais, à la tête
d'une Allemagne qui avait été dirigée
durant un demi-siècle à partir d'une
petit ville de province se trouvait
désormais une ridicule petite
confiturière dont la cervelle ne
contenait pas un milligramme d'esprit
national et de fierté patriotique.
Et quel symbole de
la Germanie rassemblée, cette fille d'un
prédicateur protestant avait-elle donné
à l'Europe et à sa propre nation? Au nom
de la religion nouvelle des droits de
l'homme, il fallait recevoir à bras
ouverts des centaines de milliers de
jeunes et vigoureux musulmans envoyés
par la Turquie dans le même esprit,
osait-elle clamer que celui qui avait
présidé aux embrassades entre les
Allemands de l'Est et de l'Ouest, dans
l'euphorie de leurs retrouvailles en
1989. Ce n'étaient plus seulement
l'Allemagne et la France qui n'avaient
plus de destin. Faute de signaux
porteurs de leur voix, c'était l'Europe
entière qui avait perdu ses lieux de
mémoire. Mais ces nations n'étaient plus
branchées sur la religion.
Que dire, en
revanche, d'un culte idéologique des
droits de l'homme plaqués sur les terres
de la Pologne? Un pape polonais,
Jean-Paul II, avait reconverti le
christianisme à la sacralisation de la
terre, un pape polonais baisait le sol
des nations, un pape polonais avait
réconcilié le culte extra-terrestre des
chrétiens avec le génie du lieu des
dieux des Romains, un pape polonais
avait libéré sa patrie à christianiser
le sol de toutes les patries.
Et voici que la
nouvelle religion dite des droits de
l'homme et orchestrée par les
bureaucrates de Bruxelles téléguidés par
Washington tentait d'imposer à la
Pologne de recevoir des masses de
musulmans, le Coran à la main, au nom
d'une humanité ennemie de la singularité
des peuples et des nations, puisque le
mythe de l'égalité entre tous les hommes
les rendait maintenant tous semblables
et les privait tous de leur identité
nationale.
4 - La
capitulation de l'Europe
Mais déjà l'Europe
sans destin et sans voix, déjà l'Europe
privée de personnage en chair et en os,
déjà l'Europe réduite à une démocratie
bananière au service des intérêts de
Washington et à des républiques sorties
des studios de Hollywood, déjà l'Europe
réelle se taisait dans l'attente de ses
retrouvailles avec la parole des peuples
et des nations.
Et maintenant, dans
un accord soi-disant "équilibré",
l'Angleterre obtient de "superviser"
les "institutions financières et
les marchés", afin de "préserver
la stabilité" des bourses
européennes. Et maintenant l'alliance
renforcée de Washington et de Londres
interdit en fait à l'Europe de jamais se
donner une armée. Et maintenant, il est
précisé que si, par impossible, une
Europe éparpillée tentait de se dote
d'une armée de bric et de broc, jamais
l'Angleterre n'en fera partie, non plus
que d'une monnaie commune, ce qui donne
toute sa portée à l'euthanasie de
l'Europe et à l'assassinat du gaullisme
que j'évoquais dans mes textes
précédents.
Voir :
L'assassinat du gaullisme
, 5 février 2016
L'euthanasie de la France ,
29 janvier 2016
Après qu'il eut été
démontré que l'Angleterre resoudée à
Washington a obtenu des dérogations
capitales et même des privilèges
financiers exorbinants, le Président
Hollande osait déclarer: "Mais en
même temps, ce sont les mêmes règles qui
s'appliquent partout en Europe et qui
continueront de s'appliquer. Il n'y a
pas de dérogation, il n'y a pas de
spécificité (…) ce sont les mêmes
règles, c'est ce à quoi j'ai veillé
particulièrement."
Et il poursuivait
benoîtement, afin d'endormir d'avance
les critiques: "Il ne faut pas
donner le sentiment que l'Europe, c'est
un 'self service'.Il peut y avoir une
Europe différenciée, il ne peut pas y
avoir une Europe où chaque Etat vient
prendre ce qu'il veut."
Or, c'est
précisément ce que l'Angleterre vient
d'obtenir: un self-service qui lui
permettra de "superviser",
c'est-à-dire de dominer. Les Européens
endormis viennent de laisser la City
prendre le contrôle des institutions
financières de l'Union européenne. David
Cameron avait donc bien raison de
claironner son succès tout en tentant de
ménager les susceptibilités des vaincus:
"Je suis convaincu que nous serons
plus forts, plus en sécurité et en
meilleure posture à l'intérieur d'une
Union européenne réformée".
Or, le lendemain,
la Une du Nouvel Obs sur
Internet a purement et simplement ignoré
cet "accord" pseudo "équilibré"
et France Inter s'est
contenté de se féliciter de son "existence"
mais en évitant soigneusement d'en
donner le contenu. Il ne reste plus aux
citoyens français qu'à consulter les
informations réelles données par le site
Sputnik International.
L'entreprise de
camouflage est en bonne voie.
Dans le même temps,
l'Assemblée nationale et le Sénat censés
exprimer la souveraineté de la nation
par la voix du suffrage universel
n'osent engager un débat de fond, ni sur
les causes réelles et inguérissables du
chômage, ni sur la souveraineté d'une
nation qui se voit interdire par
Washington de livrer des navires de
guerre à une Russie ressentie comme une
rivale de l'empire du dollar.
Et voici qu'une
armée mythologique et dirigée par un
général américain, commande seule une
Europe à jamais privée de destin.
Comment la France retrouverait-elle un
avenir, comment sortirait-elle du
sépulcre, comment la France
prononcerait-elle du moins son oraison
funèbre dans l'attente de sa
résurrection? Le Tino Rossi hoquetant
des roucoulades télévisuelles d'une
démocratie bananière qu'on appelait la
France du temps de sa souveraineté, ne
se jouera pas longtemps de la fierté
naturelle des Gaulois.
Le 26 février 2016
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