Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Heurs et malheurs de l'insularité
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 26 janvier 2018
De Jules César à
Hitler en passant par Guillaume le
Conquérant, Charles Quint, le blocus
napoléonien, l'Angleterre avait sans
cesse combattu la menace d'une
unification agressive du continent face
à ses rivages - et voici que, pour la
première fois dans son histoire, les
Iles britanniques sont assurées de ne
jamais plus se trouver attaquées de
l'extérieur par un Vieux Monde redevenu
ambitieux d'occuper ses arpents par la
force des armes. Il en résulte une
mutation radicale de la
psychophysiologie des civilisations
insulaires face aux civilisations
continentales.
Avec le Brexit,
l'Angleterre croyait avoir découvert le
Graal d'un univers nouveau ouvert à ses
ambitions, celui de devenir la rivale
marchande du continent européen. Dans un
premier temps, quel réconfort de savoir
qu'il suffira de rejeter l'intrus à la
mer pour se retrouver chez soi, entre
soi et seul dans son logis. Telle une
moderne Perrette et le pot au lait,
l'Angleterre a mouliné force projets
géopolitiques plus fantastiques les uns
que les autres. Elle s'est crue le
partenaire privilégié et bien aimé de
l'empire américain. La constitution d'un
empire anglo-américain bi-céphale
n'était-il pas en vue ? C'est pourquoi
elle a pris le ton d'une puissance
souveraine s'adressant sur un pied
d'égalité, et même sermonneur, à une
autre puissance souveraine, celle des
Etats-Unis d'Amérique.
Mais Donald Trump
n'est pas d'humeur partageuse et dans un
style purement yankee, il a renvoyé la
pauvre Theresa May à ses problèmes
insulaires. Loin de la grande espérance
des Anglais, l'empire américain n'a tenu
aucune des promesses cajoleuses
antérieures au Brexit et a même purement
et simplement annulé la visite
officielle de son représentant à
Londres, assortie de l'annulation des
fabuleux contrats escomptés.
Dès aujourd'hui, il
faut évoquer à quel point l'avenir de
l'Europe tout entière sera conditionné
par la mutation résultant du Brexit.
Déjà les premiers craquements
apparaissent entre les Iles britanniques
et l'Amérique, alors que les relations
entre la Russie et la Chine d'un côté et
le reste du monde, de l'autre, tendent à
occuper le premier rang.
Débarrassé du
cheval de Troie anglais, le bloc
européen restant retrouvera-t-il
quelques-unes des vertus élémentaires
susceptibles de donner à ses citoyens
l'impression d'être gouvernés par de
véritables dirigeants et non par des
valets de l'empire humblement soumis à
l'exterritorialité des lois américaines
qui jouent le rôle de garrots de nos
économies? Dans quel supermarché
allons-nous acheter le courage, la
dignité, le sens de l'honneur et de
l'intérêt national dont les dirigeants
d'une Europe d'opérette manquent si
cruellement face à l'empire américain
depuis 1945? L'histoire de l'Europe
d'aujourd'hui sera-t-elle celle d'un
siècle de la honte d'un continent?
Car voici que les
démocraties se dédoublent et révèlent
une face décisive et secrète à cacher au
peuple et une face superficielle et
anecdotique à raconter sur le mode
puéril d'un récit des aventures d'Alice
au pays des merveilles. Or, une seule
question primordiale se pose à l'Europe,
celle de se libérer de l'occupation
militaire des cinq cents bases
américaines essaimées dans toute
l'Europe de Dunkerque à Larnaka depuis
soixante douze ans.
Pour cela, il
conviendrait en premier lieu de libérer
les cervelles des élites dirigeantes de
l'esprit de soumission et de démission
qui règne désormais partout en Europe et
à tous les échelons, tant chez le
personnel politique, économique et
militaire que dans les médias,
principaux vecteurs de l'américanisation
de l'Europe. Désincruster la servitude
volontaire des têtes devient la
condition première de la libération du
continent de l'occupation militaire
américaine.
Par chance, et
paradoxalement, l'espoir revint avec
l'élection de Donald Trump à la tête des
Etats-Unis. Car les dirigeants européens
aiment leur soumission à l'empire, ils
s'y sont délicieusement habitués. Et
l'habitude est un mol et confortable
oreiller. Telles les grenouilles de La
Fontaine qui "demandaient un roi",
ils gémissent aujourd'hui du "manque
de leadership américain".
En "même temps",
telle l'ambassadrice de France en
Russie, ils regrettent, mais pas trop
fort, que l'Amérique applique au monde
entier l'exterritorialité de ses lois et
s'en sert comme d'une arme économique
appelée à écraser ses concurrents. Or le
"roi" qui est sorti du chapeau
des dernières élections présidentielles
américaines les insatisfait. En vérité,
le Président Trump ne permet pas aux
Européens de sauver la face.
Le Président
américain ne pouvait rendre à Israël un
plus mauvais service que de promouvoir
Jérusalem au rang de capitale de la
nation du peuple élu, au grand dam de
ses alliés continentaux. Car du coup,
c'est l'histoire entière de ce peuple
qui débarque sur le mode dramatique dans
la géopolitique contemporaine et
bouleverse l'équilibre institutionnel du
Moyen-Orient.
Rappelons
brièvement les faits: comme le raconte,
Flavius Josèphe, la nation judéenne
faisait partie intégrante de l'empire
romain et, à ce titre, payait
régulièrement tribut à son maître. Puis,
soudainement, elle a refusé cette
servitude alors légitime et il y a
ajouté l'outrage de refuser de vouer un
culte à l'empereur romain, dont la
statue devait trôner dans le temple de
Jérusalem sous la forme d'un
simulacrum, c'est-à-dire d'une
représentation figurée et symbolique de
sa transcendance.
Du coup, Rome a
déclaré la guerre à la Judée, a écrasé
le peuple judéen et a vendu toutes ses
élites, son clergé et ses notables "sub
corona" c'est-à-dire sur le marché
aux esclaves. Seul le petit peuple est
demeuré sur place et s'est ensuite
converti à l'islam. Telles sont les
raisons pour lesquelles Jérusalem n'est
plus jamais redevenue la capitale du "peuple
élu". Lorsqu'au IVe siècle
l'empereur Julien, dit l'Apostat,
proposa aux immigés juifs devenus très
nombreux dans l'empire romain et surtout
dans la Ville, de reconstruire le Temple
et de favoriser leur retour à Jérusalem,
ils ont poliment refusé la proposition
de l'empereur.
Mais que nous
enseigne de nouveau l'anthropologie
critique que j'ai inaugurée sur ce site
quatre mois avant le 11 septembre 2001?
Primo, quelques semaines avant sa
mort, Michel Rocard avait enfin compris
que l'insularité était une réalité
psychobiologique et que reprocher ce
"penchant" à l'Angleterre revenait à
reprocher à un arbre d'avoir des
racines, un tronc et des branches.
Jamais l'Angleterre n'est réellement
entrée dans l'Union européenne: sa
fonction revenait à présenter à des
européens voués à ne jamais s'unir non
plus, le breuvage amer des exigences de
l'OTAN, c'est-à-dire de l'empire
américain.
Secundo,
déjà quelques voix s'élèvent pour
préconiser un retour de l'Angleterre, au
sein de l'ensemble continental. Mais ce
que l'anthropologie critique aura permis
de comprendre définitivement, c'est que
si des insulettes, telles la Sicile, la
Corse et demain la Sardaigne
revendiquent un nationalisme
farouchement folklorique, à plus forte
raison le mastodonte britannique restera
définitivement une île, mais
psychologiquement et économiquement lié
à ses voisins, la France, l'Allemagne et
aux cent vingt six Etats qui, à l'ONU
ont tourné le dos à un Israël censé
avoir retrouvé sa capitale du temps de
Titus et de Vespasien.
A sa manière,
l'Angleterre se heurte à la même
difficulté qu'Israël: impossible de
faire remonter l'histoire d'une île de
son embouchure à son origine. Impossible
de refaire des Iles Britanniques
l'empire sur lequel le soleil ne se
couchait jamais. Mais comment
rétropédaler sans perdre la face? Car
une Angleterre de plus en plus frustrée
par une insularité en voie
d'appauvrissement lorgne déjà vers un
continent qu'elle a quitté à son
détriment, déjà Londres tente de jeter
un pont industriel et commercial nouveau
et plus fructueux, espère-t-elle, que le
précédent, avec une civilisation appelée
à un enrichissement continu.
On peut feindre de
l'ignorer ou de l'oublier, mais le flux
des siècles écrit l'histoire réelle des
nations et ce n'est pas notre faute s'il
en est ainsi depuis que le monde est
monde: impossible d'écrire l'histoire à
l'envers, impossible de faire remonter
le temps des nations à la manière d'un
fleuve qui remonterait à sa source.
26 janvier 2018
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