Opinion
Le tartuffisme, masque de la servitude
volontaire
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 25 mars 2016
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1 - Le récit, ce
grand trompeur
2 - L'ignorance de notre maître
3 - Comment chasser le nouvel
occupant
4 - La mondialisation du
tartuffisme
5 - Le double jeu du tartuffisme
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1 - Le récit, ce
grand trompeur
Dans quelques jours
j'entendrai, pour la quatre-vingt
quatorzième fois sonner le gong de la
pendule qu'on appelle la vie et qui
ponctue la mort des végétaux, des
animaux et des hommes.
L'adolescence est
le temps où une mémoire fraîche nourrit
encore les imaginations ardentes. A
l'âge de douze ans, ma sœur jumelle et
moi avions découvert un ouvrage de plus
de six cents pages qui racontait la
mythologie grecque avec tout le feu
nécessaire à notre jeunesse. A la suite
de quoi, nous étions indignés de
l'ignorance des adultes, et d'abord de
nos professeurs, incapables de raconter
les aventures extra conjugales de Zeus
ou le sort du malheureux Actéon; qui n'y
pouvait rien, le pauvre si, par
malchance, il avait vu Diane se baigner
nue dans une source, ce qui lui valut de
se trouver métamorphosé en cerf par la
déesse qui le fit, en outre, dévorer par
les chiens du chasseur.
Puis, nous avons
tenté de lire de savants ouvrages
professoraux sur la mythologie grecque,
mais ils nous sont tombés des mains
tellement ils suaient l'ennui. Plus tard
encore, nous avons lu le récit des
Jésuites qui expliquaient la méthode la
plus sûre de convertir les infidèles :
si vous racontiez aux jeunes Chinois la
création du monde quatre mille ans plus
tôt et si vous leur expliquiez que Dieu
avait fait bénéficier l'humanité de ses
bienfaits pour qu'elle apprît à chanter
la gloire de son créateur, les écailles
tombaient des yeux des ignorants et ils
ne doutaient plus de la vérité révélée
au monde par les saintes Ecritures.
Après la mort de ma
sœur jumelle en 1974, je me suis demandé
quelle relation les récits mythologiques
nourrissent avec l'histoire et avec la
politique. Car l'Enéide de
Virgile est tout entière fondée sur un
récit des origines imaginaires du peuple
romain. Enée était censé avoir fui Troie
en flammes en portant son père Anchise
sur son dos. En 1789, trois idéalités
évangélisées en sous-main par la Foi,
l'Espérance et la Charité des chrétiens
avaient donné à la France l'assise d'une
mythologie qui nourrit aujourd'hui
encore le monde entier.
2 - L'ignorance de
notre maître
Quant au peuple
américain, Dieu l'avait élu pour
apporter au monde la Liberté, la Justice
et le Droit et, depuis 1945, cette
nation de messies de la grâce et du
salut des mortels joue le rôle d'un
nouveau "sauveur" du genre humain
de l'humanité. Puisque Dieu l'a voulu,
les idéalités françaises de 1789 se sont
fatiguées en Europe pour s'épanouir en
une nouvelle épopée salvatrice sur le
continent américain.
Alors, j'ai cru
commencer de comprendre les raisons pour
lesquelles Montaigne voyait en Socrate
le plus grand homme de tous les temps.
Ce prophète de l'ignorance avait compris
le premier que nous sommes le plus
étrange des animaux : il chercha à
comprendre non seulement pourquoi
l'ignorance est le pire de tous les
maux, mais pourquoi le langage d'une
ignorance qui s'ignore en tant que telle
fait tenir à l'ignorant le langage
assuré de la connaissance. Car enfin,
nous ignorons ce que sont l'espace, le
mouvement, la vitesse ou le temps, mais
nous croyons, de surcroît que les
messages indéchiffrables que ces entités
sont censées nous adresser nous
expliquent et nous font comprendre ce
qu'elles nous racontent.
Mais que sais-je du
temps en tant que tel et dans sa nature
propre d'apprendre que si je chevauchais
un rayon de lumière et si je devenais
centenaire à califourchon sur ce
véhicule, je mourrais à l'âge de dix
mille ans terrestres, parce que le temps
est une glu dont la coulée change de
rythme au gré de la rapidité ou de la
lenteur qui la transporte dans le vide
et le silence de l'infini. Or, l'univers
d'aujourd'hui ne compte plus quatre "dimensions",
mais une bonne douzaine et nos
astronomes commencent de découvrir que
plus leur information s'enrichit, moins
ils en comprennent le premier mot.
C'est dire que la
recherche des secrets d'une ignorance
inaugurale et inguérissable, liée à la
nature même de notre espèce, donne à
l'audace de Socrate un avenir nouveau et
inépuisable.
3 - Comment
chasser le nouvel occupant
A l'heure où je
vais raréfier ou cesser mes commentaires
anthropologiques et géopolitiques de
l'avenir socratique de la philosophie,
je me permets de suggérer aux éventuels
continuateurs de ma modeste réflexion
quelques pistes dont l'approfondissement
s'imposera nécessairement à leur
attention.
La première sera la
suivante: si l'évasion du genre humain
hors de la zoologie s'est manifestée par
la chute de notre espèce dans le récit
mythologique et si cette fuite dans des
mondes imaginaires ne fait que mettre en
évidence notre ignorance, comment se
fait-il que l'alliance inaugurale de
l'ignorance socratique avec l'ironie
soit devenue la source principale de la
pensée logique et critique? C'est que la
puissance discrète du rire que charrie
l'ironie donne à la pensée une position
décapante et providentiellement
heuristique.
Prenez le cas de M.
François Hollande. D'un côté, il fait le
lit, et avec quelle ardeur, de la honte
et du déshonneur de la France et de
l'Europe et cela de la manière que j'ai
soulignée dans mon préambule du 18 mars.
(Quel
sera le coût pour la civilisation
mondiale de la honte et du déshonneur de
l'Europe ? 18 mars 2016 )
De l'autre, il
affiche qu'il est partisan de la levée
des sanctions à l'égard de la Russie,
mais qu'il s'en trouve empêché par le
Parlement européen qui serait seul
décisionnaire, alors qu'il sait fort
bien que les vingt-huit sont devenus des
vassaux au service des ambitions de la
seule Amérique, laquelle entend
perpétuer sa domination sur le monde
entier. Or, seule l'ironie socratique
met en évidence l'hypocrisie de cette
diplomatie puisqu'elle permet de
démasquer une volonté d'expansion de
Washington que rend évidente la présence
de cinq cents bases militaires
américaines sur le Vieux Continent
vingt-six ans après la chute du mur de
Berlin. Comment chasser l'occupant? "Il
est en nous, il est en nous le cheval de
Troie" (Cicéron).
4 - La
mondialisation du tartuffisme
Or, tous les
historiens sérieux savent que le XVIIIe
siècle n'a fait que vulgariser et rendre
plus alertes les vérités mises en
évidence avec la parution l'Histoire
de la littérature française de
Bédier et Hazard en deux volumes de 1924
, de celle de la parution de la Crise
de la conscience européenne de Paul
Hazard en 1935 et de l'Essai sur
l'accélération de l'histoire de
Daniel Halévy en 1948, qui montrent que
la révolution du XVIIIe siècle a été
préparée en plein XVIIe et qu'elle
repose sur la découverte d'une dimension
du genre humain, le tartuffisme.
La mise en pleine
lumière de cette dimension native et
inguérissable des semi-évadés de la
zoologie n'a été possible que grâce à un
jeune souverain de vingt-cinq ans, un
certain Louis XIV né en 1638, monte sur
le trône à l'âge de seize ans en 1654 et
dont le règne n'avait que neuf ans en
1663 à l'heure où Molière a donné un
happy end pré-hollywoodien à son
Tartuffe en faisant jouer au
roi le rôle d'un prince idéal et "ennemi
de la fraude".
Quelle victoire de
l'éclairage socratique de la philosophie
que l'ironie qui fera de tout le XXIe
siècle une "défense et illustration"
de l'omniprésence du tartuffisme dont la
démocratie est devenue l'oriflamme à
l'échelle mondiale. Quel tartuffisme
dont le mythe de la Liberté est devenu
le porte-drapeau ! Quelle humiliation
que le spectacle d'un prétendu Parlement
européen qui se laisse accuser de jouer
un rôle de "resquilleur" par un
Barack Obama parfaitement conscient de
ce Washington occupe de Vieux Monde à
l'aide de ses garnisons sur lesquelles
repose sa puissance militaire et
politique sur ses vassaux! Pendant ce
temps, quelle démonstration que le
spectacle planétaire du tartuffisme
d'une Europe asservie. La démocratie
mondiale n'est que la forme
contemporaine du tartuffisme d'une
Europe asservie dont la mise en évidence
des mécanismes en 1663 éclairera tout le
XXIe siècle. Une démocratie falsifiée
est devenue le pivot moliéresque du
monde contemporain.
5 - Le double jeu
du tartuffisme
Mais comment
éclairer tout cela sinon à la lumière de
la découverte de l'hypocrisie viscérale
du genre simiohumain - celle que
l'ironie socratique permet désorais de
mettre en pleine lumière. Car, pour en
revenir à François Hollande, quel
tartuffisme que de faire semblant de
travailler en artisan de la souveraineté
de l'Europe et, dans le même temps,
laisser traiter l'Europe et la France de
"resquilleurs" qui s'en
remettraient volontairement à la "protection"
de l'Amérique face à la menace militaire
que représenterait la Fédération de
Russie, censée le Gengis Khan de notre
temps. François Hollande consacre tout
son temps à placer irrémédiablement la
civilisation européenne dans la honte et
le déshonneur de paraître des "resquilleurs"
dont la lâcheté laisserait à la seule
arme de la sainteté de l'empire
américain la charge d'assurer le salut
du monde.
En vérité, l'avenir
socratique de l'ironie philosophique est
devenu l'instrument de décodage
anthropologique de la géopolitique
contemporaine. Rien n'illustre davantage
le double jeu que le locataire de
l'Elysée et celui de la Maison Blanche
se partagent en secret, le premier a
présenté l'asservissement de l'Europe
sous le sceptre et sous le joug de
l'OTAN comme l'instrument même de sa
délivrance, le second a parié avec
cynisme que l'ignorance est la compagne
de la sottise et la sottise, la compagne
de l'ignorance.
Et tout cela n'est
pas né de la plume de Voltaire et de
Diderot, mais de celle du Molière de
1663.
Le 25 mars 2016
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