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Qu'est-ce que philosopher

La politique mondiale et
l'avenir de la philosophie au XXIe siècle

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Samedi 23 novembre 2013

Présentation
1 - La définition anthropologique de la distanciation intellectuelle
2 - Les origines zoologiques du sacré
3 - La bête spéculaire

4 - Une émulsion continue
5 - Le surgissement du néant

6 - Le XXIe siècle et la pesée de l'individu

7 - La dissuasion nucléaire et l'anthropologie critique
8 - Le vieillissement des civilisations
9 - Les trois étages de la science historique
10 - Les vassaux déclassés
11 - Les progrès du fabuliste
12 - Du fabuliste au zoologue
13 - Une anthropologie de la falsification intellectuelle
14 - Le XXIe siècle et l'avenir du "Connais-toi" socratique

Présentation

Quatre cent soixante sept ans après la découverte de Copernic, qui a fait changer de rang à notre espèce dans le cosmos, l'année 2013 comptera pour l'une des plus décisives de l'histoire politique de l'humanité. Mais il a fallu deux siècles pour que l'Eglise acceptât une mutation irréversible du statut de l'évadé des forêts. De nos jours, la vitesse de Clio s'est multipliée par cent - il faudra donc attendre deux ans seulement pour que la révolution de 2013 devienne aussi largement comprise que le rendez-vous avec l'infini qui a fait de nous des pucerons de l'univers.

Mais, cette fois-ci, l'évènement symbolise une métamorphose copernicienne de l'univers de la politique. L'expérience de quelques millénaires de notre histoire nous avait démontré que notre planète n'a jamais toléré une coalescence de deux guides du destin des peuples et des nations. Il a fallu choisir entre la puissance de Rome et celle d'Athènes, puis entre les légions de la Louve et Carthage, puis entre le sceptre de Londres et celui des conquistadors - il faudra choisir entre le dragon chinois et la bannière étoilée, et l'on verra le mâle dominant louangé par un cortège de vassaux déférents. Sera-t-il possible de mettre un terme au règne des grands solitaires? Deux aigles afficheront-ils une conjonction irénique de leur croissance commune et équitablement partagée?

Telle est la pièce qui se joue en ce moment, mais encore en modèle réduit: il ne s'agit pas de savoir si l'Iran disposera un jour de la bombe atomique, parce que l'arme nucléaire est obsolète depuis belle lurette. Il s'agit seulement de savoir si Téhéran sera autorisé par la communauté internationale à se trouver placé aux côtés de Tel-Aviv par un verdict de la géographie - sinon, comment porter remède à cette malencontre? Car Israël appelle le monde entier à reconnaître l'exclusivité de son hégémonie dans la région; et cet Etat-miniature appelle avec indignation tout notre astéroïde à réfuter le verdict du tribunal multimillénaire des empires Sans doute Athènes, Rome, Madrid, Londres ou Paris étaient-ils trop minuscules pour appeler le globe terrestre au secours de leur règne solitaire sur la mappemonde. Israël veut jouir d'un monopole ignoré des Anciens, celui d'une ubiquité souterraine qui lui permettrait de crier au loup de génération en génération sur toute la terre habitée.

C'est l'avenir de ce destin qui se joue cette semaine sur l'échiquier de la mappemonde. Le coup d'envoi de cette partie de Titans a été donné le 18 novembre à la Knesset par M. François Hollande: le jour était venu pour le Président de la République française de saluer au passage la lutte des Palestiniens depuis 1948 contre leur colonisation et de rendre, du bout des lèvres, un hommage liturgique au mythe démocratique. On sait que cette cérémonie cultuelle se trouve ritualisée depuis cinq décennies.

Mais M. Hollande cachait dans sa manche un cadeau messianique de belle taille: rien moins que la reconnaissance officielle de la légitimité dont jouirait Israël à étendre son territoire et à franchir sans fin ses frontières de 1948. Comment valider allègrement une violation du droit international de ce calibre ? Il faut savoir que le discours de M. Hollande a été rédigé à Paris par un membre du Comité représentatif des institutions juives de France et que cette institution prête officiellement sa plume au locataire provisoire de l'Elysée, et cela aussi bien quand un Laurent Fabius se trouve à la tête du Ministère des affaires étrangère que du temps de son prédécesseur, M. Kouchner.

Le 18 novembre 2013, la France a donc récité, au sein du parlement israélien, la deuxième scène du premier acte de la pièce dont j'annonçais qu'elle rendrait enfin visible à tous le protagoniste de l'histoire de notre temps sur la scène du monde, à savoir l'Etat microscopique d'Israël.

Voir :

- Quatrième Lettre ouverte à M. Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie , 12 octobre 2013
- Troisième Lettre ouverte à M. Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie ,5 octobre 2013
- Deuxième Lettre ouverte à M. Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie , 28 septembre 2013
- Lettre ouverte à M. Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie , 21 septembre 2013

On sait que le renoncement in extremis à la guerre en Syrie a réfuté les premières répliques de la pièce. M. Hollande le sait. Aussi a-t-il souligné que les scènes suivantes seront qualifiées de "gestes" et qu'elles devront se succéder. Quel sera l'état de la planète à la chute du rideau? Il se produira une explosion au second ou au troisième acte. Le satellite du soleil sur lequel Shakespeare aura fait monter Hamlet et un roi Lear confondus sera devenu méconnaissable.

Pour l'instant, deux hommes d'Etat seulement ont compris le scénario: M. Vladimir Poutine et le Pape François. Ils déclarent que le bimane détoisonné a pris un nouveau rendez-vous avec l'éthique véritable du monde et que les sanctions économiques vertueusement démocratiques prises au nom d'Israël à l'égard des plus grandes nations de la terre ne sont pas une arme diplomatique civilisée et que le concept de Liberté est tombé en enfer.

Le mois de novembre 2013 aura été décisif. Certes, la doxa demeure intacte. Les vœux pieux suivent leur allure de croisière. La démocratie mondiale est devenue une Curie. Les cardinaux de la Liberté y promulguent les encycliques dévotes des Républiques. La parole du droit international et de la justice universelle est une pastorale aussi mythologique que la précédente. On croit que si la conquête de la Cisjordanie s'arrêtait, Israël se trouverait saisi d'un accès de sainteté tellement inguérissable que sa conversion perpétuelle à une démocratie évangélique conduirait à la canonisation de Clio sur la terre entière et que la Knesset remettrait solennellement la moitié de Jérusalem à l'Autorité palestinienne. Mais tout cela exprime l'évidence que le politologie moderne est aussi ignorante que la théologie du Moyen Age et que si notre époque ne donne pas un nouveau destin au "Connais-toi", les ténèbres du monde moderne berceront des moribonds de la raison mondiale. Par bonheur, Swift, Eschyle, Cervantès et Molière tiennent les fils de toute la tragédie. L'exposé ci-dessous explicite les premiers pas de l'anthropologie historique du XXIe siècle.

Je remets à la semaine prochaine l'approfondissement anthropologique de la réflexion sur le tragique de l'histoire mondiale des démocraties, parce que l'avenir de la pensée philosophique se trouvera concerné au premier chef par l'entrée de l'humanité dans une ère entièrement nouvelle de la réflexion sur la condition humaine.

Car l'accord partiel de Genève du 22 novembre 2013 ne règle en rien la question de fond, celle du débarquement d'Israël dans la politique internationale et de l'affrontement inévitable entre les ambitions territoriales de cet Etat et les idéaux de la démocratie mondiale censés fonder notre civilisation. Il était fatal que l'Etat né en 1948 tenterait d'étendre ses frontières, ce qui conduirait la planète à l'impasse anthropologique à laquelle nous assistons aujourd'hui.  

L'avenir de la philosophie au XXIe siècle

1 - La définition anthropologique de la distanciation intellectuelle

Quel sera le tournant le plus décisif que prendra la réflexion philosophique au XXIe siècle ? Celui qui contraindra la pensée rationnelle mondiale à une mutation de l'objet même de son attention: il s'agira d'accéder à une double pesée du cerveau politique du genre humain et de préciser la spécificité de la bête que la nature a dotée d'une mémoire conservable dans le four de la pensée. Confinée dans l'étude annexe ou subalterne de la logique d'Aristote, reléguée dans la psychologie dite des "facultés", réduite à l'enseignement d'une morale d'école et conduite, en fin de parcours, à un aveugle recensement des coutumes et des mœurs de la "créature", une philosophie, partie d'un si bon pas, dans la foulée de l'anthropologie de Platon, a vu le génie de sa vocation native avorter dans une sociologie privée de tout recul sommital.

Après deux millénaires de christianisme, seul le rappel du destin anthropologique de la philosophie permettra de conduire la "science des sciences" à substituer son regard originel à celui, plus tardif, des mythes religieux et à redonner à l'intelligence sa profondeur spéléologique.

2 - Les origines zoologiques du sacré

Si les mythologies religieuses enracinées dans l'âge magique de l'humanité sont appelées à poursuivre leur chute dans des sorcelleries théologiques et des catéchismes de plus en plus anachroniques, la réflexion sur les vraies semences de la "vie spirituelle" se focalisera sur l'approfondissement de la connaissance des feux ascensionnels de la raison. L'intelligence s'éclaire de l'intensité progressive de ses propres lumières. La notion d'"esprit" a grandi dans le berceau des mythologies qui fascinaient les peuplades balbutiantes. Elle s'approfondira à l'écoute de l'interprétation de la notion de raison. On se demandera comment l'espèce humaine s'est évadée du règne animal à seule fin, semble-t-il, de peupler le vide de gigantesques statues respirantes. L'enracinement de l'anthropologie scientifique dans une spéléologie de l'imagination religieuse des nourrissons conduira la vocation mystique elle-même à se pencher sur ses sources infantiles, donc à une critique de ses premiers pas dans une zoologie aphasique .

3 - La bête spéculaire

Quelle sera la finitude nouvelle d'une condition simiohumaine que seule l'histoire de la raison "en miroir" des premiers hommes permettra de mettre en pleine lumière? On tentera d'analyser les ingrédients spéculaires qui entrent dans le concept puérils d'intelligibilité appliqué à l'inerte d'Aristote à nos jours et qui éclairent les sources psychobiologiques des verbes expliquer et comprendre.

Le XXIe siècle approfondira le sens et la nature des savoirs théorisés par l'inconscient qui régit leur logique interne. Du coup, la critique du sacré ira davantage au terme de sa vocation et de sa méthode naturelles, puisque l'analyse des composantes mythologiques de la pensée théologique permettra d'analyser la politique rudimentaire de l'encéphale semi sauvage de "Dieu". L'approfondissement de la connaissance psychobiologique de Jupiter passera par la spectrographie et la connaissance généalogique des songes célestiformes dans lesquels les premiers évadés du règne animal se réfléchissaient de génération en génération.

4 -Une émulsion continue

Le XXIe siècle tentera d'observer l'évolution de l'encéphale d'Adam et de ses idoles. Mais la logique philosophique ne partira plus du présupposé illogique par nature et par définition de la raison classique selon laquelle l'homme et l'animal appartiendraient à des espèces radicalement différentes, alors que la notion d'évolution implique nécessairement que l'espèce rêveuse résulte d'une émulsion en cours de métamorphose continue. Du coup l'étude de l'inconscient politique qui sous-tend tout ensemble le mythe théologique et son parallèle, le mythe scientifique, permettra d'observer les premiers vagissements de l'encéphale simiohumain non seulement d'un millénaire à l'autre, mais siècle par siècle et de préciser le contenu semi animal du savoir dans lequel l'humanité théorise ses désirs. La notion d'évolution subira un bouleversement des méthodes inconsciemment narcissiques qui ont présidé à son interprétation depuis Darwin, parce que l'anthropologie philosophique pilotera une lecture spéléologique de la signification subjective de l'évolution des cerveaux.

5 - Le surgissement du néant

Si la raison généalogique se révèle l'instrument de prospection de la finitude abyssale de l'espèce, l'apparition d'une conscience suraiguë du néant deviendra la clé de "l'élévation spirituelle".

Le XVIe siècle a découvert l'héliocentrisme, le XVIIe, la multiplication des cultures, des mœurs et de croyances religieuses, le XVIIIe a fait débarquer l'étude de la superstition dans l'humanisme mondial, le XIXe a percé les premiers secrets des origines zoologiques d'Adam, le XXe a exploré la composition originelle de la matière ainsi que ses relations avec le temps et avec l'énergie, le XXIe connaîtra la solitude d'une espèce larguée dans l'infini et observera le personnage qui n'avait personne dans son dos, afin qu'il pût prendre sur ses épaules l'isolement de la bête épouvantée par le silence et le vide.

L'avenir philosophique du bouddhisme sommital culminera dans le démontage de la raison spéculaire et se confondra avec celui du souffle ascensionnel d'une conscience intellectuelle devenue prospective.

6 - Le XXI siècle et la pesée de l'individu

Les sciences humaines du XXIe siècle continueront d'étudier le genre humain à la lumière des traits qui caractérisent tous les spécimens de cette espèce. Mais la découverte des allergies, puis de l'ADN a ouvert une brèche impossible à combler dans le principe, vieux de trois millénaires, selon lequel les vérités scientifiques seraient universelles par définition. Le XXIe siècle conduira à la connaissance rationnelle de l'individu en tant que tel, donc à la capture de sa spécificité.

(Voir Identité et structure du sujet, Encyclopaedia universalis

Ici encore, le parallélisme entre l'homme et l'animal servira de grille de lecture à un humanisme fondé sur la valorisation intensive du singulier. Toutes les espèces de chiens appartiennent à la race canine et leur masse se partage la capacité d'aboyer. Mais la différence entre le lévrier afghan, le saint Bernard, le bouledogue anglais et le berger allemand est moindre qu'entre Tartuffe et Jean de la Croix, Alexandre le Grand et Gauguin, Christophe Colomb et Mozart, Copernic et Shakespeare. Pourquoi ces individus d'apparence infiniment plus semblable que le rouge-gorge et l'épervier, le rossignol et l'albatros, le pinson et le corbeau sont-ils plus différents entre eux que des volatiles aux multiples plumages et de taille tellement inégale? Parce qu'une espèce fondée sur la diversification des cervelles étend à l'infini l'espace à défricher entre les individus.

Quand la différenciation entre les humains est devenue sommitale, elle produit des spécimens uniques. L'anthropologie du singulier débarquera dans la politologie et dans la science historique du XXIe siècle, parce que le naufrage de la civilisation européenne résultera de l'hégémonie croissante que les masses exerceront sur l'individu : Solon et Lycurgue ne se sont imposés que parce qu'en leur temps, Sparte et Athènes étaient encore capables de se rallier à des modèles supérieurs - mais, à l'époque d'Auguste déjà, Rome n'était plus à l'écoute des Tacite ou des Tite-Live.

Le XXIe siècle étudiera la capacité des élites à reconnaître les grands regardants. Quatre siècles après la Renaissance, l'éditeur Calmann-Levy a mis vingt ans à rendre audible un Stendhal dont Balzac avait aussitôt compris le génie, Max Brod consacrera trente ans à tenter de faire connaître l'œuvre de Kafka, dont la nouvelle la plus extraordinaire, La Métamorphose, n'a été publiée qu'avec dix ans de retard, parce que son éditeur la trouvait trop longue de quelques pages, Proust n'a été compris qu'après une longue bataille, Ionesco était joué dans les capitales du monde entier quand Paris a fini par le saluer. En 1925 Gaston Gallimard avait reconnu que les marchands ne comprennent rien aux livres qu'ils font imprimer et que les manuscrits doivent être jugés par un comité d'écrivains - mais, cent ans plus tard, des conseillers commerciaux décident seuls et en dernier ressort de la publication d'un livre et Gallimard est coté en bourse. On y publie encore quelques ouvrages dignes des Alde Manuce et des Froben, mais il n'existe plus ni noyau social de haute culture et en position de servir de vecteur sommital au génie, ni de relais audio-visuels ou de presse en mesure de lutter contre la massification des visions du monde. Mais la question de la pesée du génie n'en deviendra pas moins focale dans des secteurs d'avant-garde du seul fait que l'éjection du Vieux Monde de la géopolitique conduira cette civilisation à une introspection élévatoire et féconde.

7 - La dissuasion nucléaire et l'anthropologie critique

L'anthropologie scientifique de demain ouvrira également à la philosophie, donc à l'intelligence critique une interprétation prospective de l'évolution des espèces. Celle-ci bousculera les paramètres actuels de la science historique et de la géopolitique, parce que, pour la première fois, les sciences humaines conquerront un regard de l'extérieur sur les semi évadés de la zoologie. L'observation anthropologique de la stratégie mondiale de la dissuasion nucléaire deviendra un instrument d'analyse privilégié de la semi animalité de l'humanité. Du coup, comme il est dit plus haut, les prémisses de la géopolitologie s'éclaireront à la lumière des origines zoologiques des théologies.

8 - Le vieillissement des civilisations

On introduira la notion de "vieillissement naturel" dans l'étude clinique du naufrage des grandes civilisations. Une démocratie française âgée de deux siècles souffre nécessairement d'une obésité administrative et d'un clientélisme inguérissables, donc de la sclérose cérébrale d'un l'Etat devenu réfractaire à toute thérapeutique efficace. Le XXI siècle saura que les civilisations ne meurent pas faute de médicaments, mais faute que la médication appropriée demeure applicable au malade. On racontera dans les livres d'histoire à l'usage des enfants des écoles qu'au début du IIIe millénaire, la fossilisation cérébrale de la classe dirigeante au sein d'une Europe non seulement hyper bureaucratisée, mais occupée depuis trois quarts de siècle par quelque cinq cents bases militaires américaines appelées à exorciser une invasion imaginaire, on racontera, dis-je, le caractère dérisoire de la décision hautement symbolique de l'administration de Bruxelles d'unifier de toute urgence la capacité des chasses d'eau de la Finlande à la Sicile. La dérision et la superficialité d'esprit du byzantinisme moderne ne sont jamais que des conséquences fatales de la sénescence des élites et de la massification des populations.

9 - Les trois étages de la science historique

Les décadences sont les berceaux des progrès de la science historique. Thucydide est né des défaites d'Athènes devant Sparte, Tacite de la chute de l'empire dans la tyrannie, Tite-Live commence d'observer les effets du climat et de la géographie sur la qualité guerrière des peuples et à prendre un premier recul à l'égard des superstitions des peuples sauvages. Le basculement de l'Europe hors de l'histoire de l'action politique dotera la science de la mémoire de trois étages de la connaissance rationnelle des évènements. On distinguera le récit des chroniqueurs et des mémorialistes, qui s'en tiennent à l'anecdote. Puis les interprètes en possession de l'outillage et de la problématique idéologiques de leur temps disposeront les pièces de leur jeu sur leur échiquier verbifique: on verra la gauche, la droite et le centre éclairer leurs horizons grammaticaux à la lumière des bougies cérébrales qui appartiennent en propre à leur langage. On se situe toujours à la gauche ou à la droite d'un centre construit sur une culture localisée et privée de toute conscience de ses fondements anthropologiques.

Le troisième étage de la science historique sera celui de la distanciation à la faveur de laquelle l'évolutionnisme, la psychanalyse, le tragique, les apories psychogénétiques qui entravent la marche de l'espèce se changent en phares ou en lampadaires d'une Clio devenue la spectatrice panoramique de tout le déroulement de la pièce.

10 - Le déclassement des vassaux

Néanmoins, le troisième étage de la science de la mémoire ne sera pas étranger au regard des locataires du second. Exemple: l'Amérique est censée recentrer les ambitions de son empire sur l'Asie et l'Afrique. Du coup, l'Europe se sent délaissée de ne plus occuper le premier rang dans un univers vassalisé à son profit, à ce qu'elle s'imaginait; car elle croyait faire du moins le poids sur les plateaux de la balance à relativiser sa propre servitude. Le spectacle de la peur et même de l'effarement des subordonnés européens largués en contrebas de leur Jupiter demeure inintelligible si les projecteurs du troisième étage ne courent au secours des chandelles dont s'éclairent les habitants du second étage.

L'Europe s'était habituée à compter seule en face du lion planétaire; elle s'affole maintenant de ce que les mâchoires du grand fauve poursuivent des proies plus dignes de ses crocs. Seul un regard sur l'espèce humaine tout entière et en tant que telle parvient à éclairer le deuxième étage et le rez-de-chaussée. L'empire américain fera la découverte de ce qu'il lui reste beaucoup à apprendre de la lanterne de La Fontaine, qui écrit:

" Du coquin que l'on choie, il faut craindre les tours,
Et ne point espérer de caresses en retour".

Naturellement, le mâle dominant n'abandonne rien de son gigot : il demeure le maître de la Méditerranée de Gibraltar au Caire et ses cinq cents bases militaires se sont vissées à jamais sur les terres du Vieux Continent. Ici encore, ce n'est en rien le dépit de toute la maisonnée atlantique de se trouver délaissée au profit de rivages plus lointains qui requiert la profondeur de l'analyse anthropologique de l'histoire, mais la démonstration vexatoire que la croissance du souverain n'est pas parvenue à son terme et que les valets rapetissent encore davantage quand ils découvrent que leur maître n'a pas achevé sa croissance. Faute de se donner une anthropologie spectrale pour assise, la science historique classique se voue à de petits tricots, tellement l'abyssal de la servitude se nourrit de la méditation sur le trépas des civilisations.

La chute du paganisme et l'ascension compensatoire d'un monothéisme nécessairement monopolaire avaient enfanté une distanciation nouvelle, provisoire et enivrante, celle d'une intelligence critique relativement déprovincialisée : le genre humain croyait être parvenu d'un seul coup à se réfléchir sur la rétine définitive d'un ciel monoculaire. Le XXIe siècle enfantera le premier regard de l'extérieur sur l'humanité qu'une philosophie et une anthropologie critique élaboreront coude à coude.

11 - Les progrès du fabuliste

Pourquoi les décadences approfondissent-elles le regard de Clio ? Parce qu'elles permettent un premier démontage du moteur d'une civilisation et l'exposition des pièces au grand jour. Un peuple vivant se donne plus facilement des œillères sur le marché du temps qu'une nation vouée à la liquéfaction et qui expose maintenant à l'étalage les organes dont l'heureux fonctionnement paraissait trop naturel pour qu'on les mît sous vitrine . Les naufrages attirent l'attention sur la fragilité des mâts et sur la béance des écoutilles.

Mais pourquoi l'approfondissement des intelligences et l'acuité nouvelle de la vue conduisent-ils à une anthropologie abyssale? Parce que les vérités fondamentales sont simples: depuis Esope, elles renvoient à la zoologie. C'est en peintre animalier que La Fontaine se révèle un profond esprit politique. Mais si le regard du zoologue n'était pas celui du spéléologue en herbe, le fabuliste ne nous apprendrait rien. Certes, les Anciens mettaient déjà des animaux en scène. Un proverbe latin disait: "Dant veniam corvis, vexant censura columbas - Ils pardonnent aux corbeaux, ils tourmentent les colombes". On donnait aux loups des moutons à garder, aux chiens des chacals à gaver, on chargeait les agneaux de tous les péchés du monde, on ménageait la chèvre et le chou, on "attelait des renards - Jungunt vulpes" (Virgile). Mais l'anthropologie critique du XXIe siècle observera les échiquiers de la cécité volontaire et leur construction dans l'inconscient simiohumain.

12 - Du fabuliste au zoologue

Prenez l'exemple du conflit sur l'acceptation ou le refus de la communauté internationale d'accorder à tel Etat et non à tel autre le droit de fabriquer l'arme nucléaire. Il paraît hallucinant qu'un Etat minuscule, mais armé de la foudre de l'apocalypse, hurle à la mort au clair de lune à l'idée que son voisin, dont la population s'élève à quatre vingt millions d'habitants, pourrait s'armer à son tour de songes guerriers, mais dans un monde tout imaginaire, celui de l'explosion de l'atome, qui date de soixante huit ans seulement et dont l'origine et la nature théologiques sont connues. On sait que, depuis un demi-siècle, les stratèges du monde entier démontrent en vain que la menace d'auto-extermination réciproque des Etats modernes ne ressortit pas à la science militaire, mais à un " retour du refoulé " bien connu, celui de l'Apocalypse faussement attribuée à Saint Jean et à l'excommunication majeure de l'Eglise du Moyen Age.

Mais la feinte para-théologique d'un suicide universel permet au mammifère semi cérébralisé de soustraire à tous les regards le champ véritable de la politique et la problématique réelle de l'action gesticulatoire de cet animal sur la scène internationale. J'ai exposé récemment que l'existence de Rome était fâcheuse aux yeux d'Athènes, l'existence d'Albion condamnable aux yeux de Charles Quint, l'existence d'une Europe unie coupable aux yeux de Londres, l'existence de Carthage offensante aux yeux de Scipion l'Africain. Mais, le fabuliste ne saurait accéder au degré de profondeur de l'observation anthropologique. La Fontaine observe que le lion a raison, puisqu'il s'appelle lion et que les jugements de cour vous font "blanc ou noir" selon que vous êtes "puissant ou misérable", mais son époque n'accédait ni à l'analyse des stratifications cérébrales originelles de la bête, ni au spectacle de la mise en place des horizons mentaux de type semi zoologique qui servent de moules en acier trempé aux jugements collectifs et qui changent les croyances en creusets héréditaires du vrai et du faux.

La distanciation du fabuliste à l'égard de l'animal demeure descriptive et moralisatrice. M. le Corbeau, méfiez-vous des flatteurs, et vous, lièvres véloces, ne partez pas trop tard, et vous, cigales cantatrices, écoutez la fourmi, et vous, chiens bien nourris, apprenez du loup que la liberté fait maigrir, et vous, grenouilles, méfiez-vous autant de vous-mêmes que de vos rois - mais tout cela n'instruit encore que les enfants. La philosophie du XXIe siècle transcendera le niveau d'analyse du zoologue classique pour scruter des animalités mentales et cerébralisées - celles qui qui substituent au réel des mondes fossilisés par des imaginaires semi zoologiques et devenus le ciment des identités socialisées et intéressées à se masquer.

Jules César relevait déjà que "libenter homines quod volunt, credunt - Les hommes sont portés à mettre leurs croyances à l'écoute de leurs vœux". Mais, ici encore, l'étude de la capture de sa proie mentale par l'animal pensant et pour son bénéfice pseudo moral, donc à l'usage de son image idéalisée n'est pas à la portée de la raison antérieure à la psychanalyse anthropologique de l'histoire et de la politique.

13 - Une anthropologie de la falsification intellectuelle

Qu'en est-il du déplacement rusé des paramètres du savoir "rationnel", de la fixation arbitraire des coordonnées qui permettent d'immobiliser artificiellement les critères du jugement et de stratifier des problématiques illusoires sur un champ visuel fossilisé, habilement faussé et rétréci?

La Fontaine souligne que "la raison du plus fort est toujours la meilleure". Mais comment la force se met-elle en place? Comment conquiert-elle, à titre préjudiciel, la maîtrise de l'interprétation "convaincante", comment efface-t-elle le vrai à le soumettre à des signifiants a priori, comment noie-t-elle la vérité dans des signalétiques imposées ou apprises, comment oublie-t-elle sciemment l'essentiel ou passe-t-elle outre comme chat sur braise au nœud de la question? Tout cela n'est pas dans La Fontaine.

Le XXIe siècle mettra en pleine lumière les procédés qui mettent en place des problématiques trompeuses; et il éclairera la nature même de l'intelligence falsificatrice dont la bête fait un usage astucieux. La politologie en sera fécondée, parce que la morale véritable pointera son nez parmi les interprétations truquées. Le peuple iranien humilié doit choisir entre la famine et la servitude et négocier un canon sur la tempe. Mais quelle mer poissonneuse de l'éthique des sauvages et quelle promesse d'un approfondissement moral des sciences humaines de demain!

14 - Le XXIe siècle et l'avenir du "Connais-toi" socratique

Le XXIe siècle sera pluridisciplinaire, mais nullement au sens où l'entendait le XXe siècle. Les disciplines scientifiques ne sont nullement juxtaposables. Par nature et par définition, la philosophie se sait et se veut une anthropologie à la fois originelle et pluridisciplinaire; car le Théétète observe et hiérarchise les cerveaux à la lumière de leur capacité fort inégale de forger des concepts heuristique et la République de Platon valorise la faculté de quelques encéphales privilégiés d'accéder à la rigueur supérieure des raisonnements en chaîne qu'aligne la dialectique. Quand Socrate démontre que le langage ne saurait franchir le mur du singulier, il porte le premier regard surplombant de notre espèce sur l'infirmité innée de la parole en tant que telle. Pour tenter de hiérarchiser les têtes, le IIIe millénaire réclame une balance nouvelle à peser la politique et l'histoire.

L'anthropologie moderne se situe tout entière dans la postérité de Platon. C'est à ce titre que la philosophie du XXIe siècle élargira la portée anthropologique de la distinction la plus féconde de Kant, celle qui enseigne que les jugements analytiques et les jugements synthétiques s'ignorent réciproquement. Mais pourquoi aucun savoir ne se construit-il les paramètres d'une problématique extérieure à son enceinte et qui lui permettrait de se regarder du dehors, pourquoi la chimie ne porte-t-elle pas de regard sur la chimie, pourquoi la théologie ignore-t-elle la nature de la théologie, pourquoi la science expérimentale. ne connaît-elle pas la nature psychobiologique de la preuve dite "expérimentale"? Parce que la cause dernière de cette aporie fondamentale est précisément anthropologique par définition: pour voir que la science croit "expérimenter" des signifiants censés tapis dans la matière, il faut une anthropologie capable de peser le probatoire de type semi zoologique.

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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