Décodage anthropologique de l'histoire
contemporaine
Nelson Mandela et
la guerre des songes
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 21 décembre 2013
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1 -
Comment rattraper le temps de
l'histoire ?
2 - La revanche des faits
3 - La rhétorique planétaire de
la Liberté
4 - Les Africains de Washington
5 - Rome avait des consuls
6 - " Il est en nous-mêmes , en
nous-mêmes, le cheval de Troie "
(Cicéron)
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1 - Comment rattraper le temps de
l'histoire ?
Quinze jours
seulement se sont écoulés depuis la mort
de Nelson Mandela et déjà son destin se
révèle cultuel. Le prophète sacrifié se
décante et s'éclaire à la lumière de ses
masques sacrés, de ses songes
messianiques et des pieuses litanies
dont la démocratie mondiale enveloppe sa
dépouille. Quel est l'éclairage
anthropologique des autels qu'appelle la
pesée politique des prières et des
liturgies au sein de la religion
mondiale de la "Liberté"? Cet homme
d'Etat s'est placé au carrefour des
conflits sanglants auxquels le mythe
démocratique servira désormais de
théâtre.
En l'absence de MM.
Poutine et Xi Jinping, M. Barack Obama a
pu monter en solitaire les marches d'un
offertoire planétaire et orchestrer
aisément, mais au profit exclusif de la
Maison Blanche, la grand messe de la
rédemption et de la délivrance du monde
d'aujourd'hui. Une Europe fatiguée de
ses propitiatoires a déposé sa mitre
entre les mains du grand prêtre de la
nouvelle sotériologie. Quatre-vingts
chefs d'Etat ont remplacé au pied levé
le Conclave cramoisi des cardinaux
d'autrefois.
Mais le pieux
cortège des immaculés du genre humain
n'est pas venu se recueillir en toute
humilité autour du cadavre de l'apôtre
nonagénaire: tant de dévotion collective
déversée en un seul endroit du globe
terrestre venait seulement inaugurer le
culte dont le nouveau martyr des droits
de l'homme avait fourni à la mappemonde
un si éloquent témoignage. Sa statue a
trouvé sa place dans le temple des
droits d'un homme abstrait et universel.
Le grand vicaire de la démocratie
verbifique est venu enseigner aux
néophytes un paradis international de la
souveraineté des peuples privés des
palaces de la vie posthume d'autrefois.
La semaine dernière
(-
L'animal cuirassé de songes , 14
décembre 2013) j'ai rappelé l'alliance
de Vautrin et de Vidocq à la tête des
Etats d'aujourd'hui. Ce n'était pas le
lieu de conduire à son terme ultime
l'analyse anthropologique du sacré.
Aujourd'hui, le dieu écarlate des
Zoulous et celui, couleur muraille, de
la civilisation mondiale ont étalé leurs
cartes sur l'échiquier du monde. Le 14
décembre, Nelson Mandela a été enterré
selon le rite des Xhosa. Une invocation
aux morts a précédé le sacrifice d'un
taureau dont le sang fécondera la terre.
Trois jours plus tôt, M. Obama avait
illustré les rituels d'en face: après de
pieuses invocations aux puissances
tutélaires du langage, qui auréolent le
front de la démocratie mondiale, on a vu
monter sur l'autel la bête nouvelle à
immoler, Nelson Mandela lui-même, qui a
été offert en grande pompe au Dieu de
justice qui couronne désormais notre
astéroïde de la tiare du concept de
Liberté.
Il apparaît crûment
que l'Afrique subsaharienne se trouve
tout entière livrée au sacrifice sur
l'autel d'une colonisation seulement
plus diversifiée, mais non moins
apostolique et sanglante que la
précédente. C'est avec quelques années
d'avance que M. Nelson Mandela en a
incarné les liturgies, les paramètres et
les coordonnées. Lisons quelques pages
du joli livre d'images à l'usage des
enfants en bas âge qui situe la
biographie véritable de ce patriarche
dans une épopée scolaire de la
civilisation des pédagogues universels
de l'Egalité.
2 - La revanche
des faits
Les funérailles
fastueuses flattent des rêves exténués.
Si l'on calibre la solennelle descente
au sépulcre de Nelson Mandela à l'aune
des maçons de la mort cérémonieuse de
l'Europe, on observera que le continent
noir est le dernier espace du globe
terrestre sur lequel la France et
l'Angleterre paraissent encore en mesure
de rivaliser un instant, cartes en mains
et à armes quasiment égales avec les
Etats-Unis, la Chine et la Russie, parce
que la majorité des têtes et des voix y
passent encore par le creuset de la
langue de Shakespeare et de Molière, qui
enseignent le tragique et le rire à
l'école de l'histoire du monde.
Mais c'est bien
malgré lui que Nelson Mandela est devenu
l'orchestrateur du culte dont la
géopolitique contemporaine avait grand
besoin en ce moment; car il s'agit de
faire accéder la négritude moderne à une
vassalisation à la romaine. On sait que
la Gaule asservie ne jouissait que d'une
souveraineté municipale et que celle-ci
permettait aux marchands du cru de faire
de bons profits locaux, mais que le pays
payait un lourd tribut à l'occupant de
l'époque, qu'on proclamait aussi
irénique que celui d'aujourd'hui sur
l'offertoire de la paix du monde.
Jules César écrit
que "la Gaule entière - Gallia omnis
- se divisait entre les Belges, les
Aquitains et les Celtes", que "nous
appelons les Gaulois dans notre langue",
c'est-à-dire les coqs. Comme l'Afrique
de maintenant, ces trois "nations"
jouissaient de la souveraineté tribale
des gentes. Aujourd'hui, les "peaux
blanches" demeurent les
propriétaires de l'industrie, de la
haute banque, du commerce international,
de la technologie moderne, de la
recherche médicale d'avant-garde, de
l'éducation des élites du savoir, des
richesses du sous-sol en pétrole, en
fer, en uranium, en or, en diamants,
alors qu' à l'instar des Druides, les
indigènes de l'endroit ne disposent pas
encore d'une langue à l'usage des
écrivains et des savants et ne sont pas
près de compter des poètes, des
compositeurs, des physiciens, des
mathématiciens, des chimistes et des
architectes zoulous dans leurs rangs.
L'Afrique des
aborigènes - du latin ab origine,
depuis les origines - est la première et
la plus vaste surface de la planète dont
le libérateur a demandé tout le premier
que soit perpétuée la soumission
effective d'une population chantante et
dansante aux pouvoirs et à l'outillage
d'une civilisation plus avancée, donc
plus diversifiée et plus spécialisée -
et cela en raison de l'incapacité d'une
masse sautillante et à peine évadée des
mains de ses sorciers, de se colleter
subitement et sur trente six millions de
kilomètres carrés avec les légions
romaines d'aujourd'hui.
3 - La rhétorique
planétaire de la Liberté
Tel est le sens de
la mascarade pastorale du 10 décembre
2013. Elle a illustré les dévotions
internationales du XXIe siècle, celles
qui ont permis à l'augure en chef de
l'humanité, à l'homme des drones, de
Guantanamo et du contrôle de la planète
par une agence universelle de la vie
privée de chacun, d'entonner la cantate
mondiale de la civilisation de la
Justice et du Droit. Impossible de
seulement faire entendre la voix du
gouvernement des indigènes - du reste,
son chef a été sifflé non seulement en
raison de la corruption galopante de
toute la nouvelle classe soi-disant
dirigeante du pays, mais parce que ce
sont désormais des policiers d'ébène qui
traquent les grévistes d'ébène du pays
et qui tirent sur eux dans les mines de
fer ou de charbon. Les nouvelles fleurs
de la servitude politique sont celles de
la rhétorique planétaire de l'Egalité.
Nelson Mandela a
donné bonne conscience à l'Afrique des
immolations d'un côté et à ses nouveaux
propitiatoires de l'autre, Nelson
Mandela a tressé des couronnes et chanté
des cantiques à l'usage des deux partis,
Nelson Mandela a mérité le titre de
vicaire général de la civilisation
vassalisatrice de ce temps . Seuls les
vocables les plus rutilants dont use en
chaire la démocratie mondiale pouvaient
servir de catafalques à l'espérance
collective des peuples noirs, parce que,
dans les enterrements où l'on porte en
terre les cadavres des nations
trépassées avant l'heure, on retourne
les vestes de l'éthique de la planète au
profit de l'empire le plus puissant du
moment. Il fallait étaler au grand jour
les doublures de satin de l'esclavage
moderne. Le pape des illusions
planétaires du monde d'aujourd'hui, le
grand Pontife de l'Afghanistan et de
l'Irak, qui allait se ruer sur la Syrie,
puis sur l'Iran, aura permis aux nations
les plus prédatrices de prononcer le
panégyrique de l'expansion de leur
vocabulaire et de chanter les louanges
de leur propre narcissisme messianisé.
Ecoutez le chœur de la nouvelle Eglise
de la délivrance, celle qu'on appelle la
Démocratie et dont le clergé conquérant
s'est rassemblé à Soweto le 10 décembre
2013!
4 - Les Africains
de Washington
Si l'on observe
l'étoffe et les coutures d'une vassalité
européenne qui s'avance à visage
découvert, on s'aperçoit que, sous des
dehors aussi catéchétiques que ceux de
l'Afrique, le Vieux Continent se trouve
confessionnalisé et catéchisé sur le
même modèle de la dépendance économique
et de la soumission glorieuse aux armes
de l'étranger que la nation de M. Nelson
Mandela. Ici encore, le creuset romain
de la domination pacificatrice des
peuples vaincus sert d'archétype au
domptage angélique des Etats placés sous
le joug du langage séraphique de la
démocratie américaine. De l'Allemagne à
la Sicile et de la Pologne à la
Belgique, cinq cents garnisons
étrangères occupent le Vieux Continent.
Nous aussi, nous payons le tribut des
Gaulois aux légions de l'empire, nous
aussi nous ne jouissons que des libertés
villageoises que nous avons concédées
aux Africains.
En ces temps
reculés, les Romains construisaient nos
ponts géants, nos aqueducs éternels, nos
routes inusables - Alexandrie leur avait
appris à construire des paquebots
titanesques, à rédiger des lettres
d'amour, à s'asperger de parfums, à
fabriquer des machines de siège
himalayennes - mais le mélange de toutes
les nations de la terre allait faire
fondre l'airain des aigles romaines.
L'Amérique de nos
convertisseurs ne construit pas encore
nos buildings. Mais quand il s'agit de
la Syrie, notre maître demande à ses
domestiques ou à ses figurants, la
France, l'Angleterre, l'Allemagne, de
quitter la table des négociations
apostoliques et d'aller s'asseoir à
l'office. Les affaires du ciel se
traitent en tête à tête entre MM. Lavrov
et Kerry, ministres des affaires
étrangères respectifs de la Russie et
des Etats-Unis. Et si vous tentez de "dompter"
sottement l'Iran au profit d'Israël,
comme disait M. Fabius, les vraies
tractations se déroulent en secret entre
Téhéran, Moscou, Washington et Pékin.
5 - Rome avait
des consuls
Et maintenant, le
nouvel empire romain nous demande de lui
rendre un service immense: rien moins
que d'aller de ce pas démantibuler la
Russie, rien moins que d'aller à toute
allure ravir son berceau à une grande
nation, rien moins que d'éliminer
l'ex-empire des tsars de la scène
internationale. Mais sitôt qu'elle se
sera "emmanchée du long cou" de
l'Ukraine, la dégaine du Vieux Monde
pèsera encore moins lourd sur la scène
internationale, parce que Kiev se verra
contrainte de se pelotonner petitement
sous le képi d'un général américain. Il
est ordonné aux peuples trottinants de
l'OTAN de n'acheter leurs armes inutiles
qu'aux USA - quand la Turquie a prétendu
alléger son escarcelle à en acheter de
moins coûteuses à Pékin, voyez comme la
Maison Blanche l'a vertement rabrouée!
Les vassaux forgent leurs glaives et
leurs cuirasses à la fonderie de leur
maître. Et puis, nous allons nous
trouver enserrés dans les mailles d'une
zone léonine de "libre échange" - et ce
marché de nigauds et de dupes nous
rendra encore plus minuscules quand une
Russie étranglée aura sombré à son tour
dans le salmigondis africain. Quant au
Japon, tête de pont de l'Amérique en
Asie, il lui est demandé de jouer, face
à la Chine, le même rôle que l'Europe
face à la Russie.
On sait que
l'empire du soleil levant se trouve
placé sous la botte de l'occupant
américain depuis 1945, on sait qu'il est
interdit à cet Etat de jamais plus se
doter d'une armée et d'une flotte et de
jamais plus soutenir un autre Etat. Et
soudain, l'Amérique lui ordonne de
s'armer et de légitimer solitairement
son apparat militaire tout neuf sous le
prétexte de résister à une invasion
évidemment imaginaire de la Chine par
terre, par mer et par les airs. Mais ces
armes de théâtre devront exclusivement
enrichir le commerce et l'industrie
américaines de l'armement. Dans les cinq
ans, Tokyo devra élever de 2,6% ses
dépenses en casques, cuirasses,
boucliers, flèches et arbalètes des
modernes. L'addition est déjà calculée:
elle s'élevera à cent soixante quatorze
milliards d'euros. Ces achats
comporteront trois drones, vingt-huit
bombardiers de type F35, cinq
sous-marins, deux cents roquettes Aegis,
cinquante deux avions amphibies. De
plus, il est ordonné au Japon de se
donner pour "partenaires stratégiques",
c'est-à-dire en vue d'une gigantesque
manœuvre d'enveloppement à la Chine, la
Corée du Nord, l'Australie, l'Inde et
les Etats sud asiatiques.
Les Européens sont
dépités par cette délocalisation des
délires et des songes des évadés de la
zoologie. La domination américaine de la
planète ne passe plus par la
vassalisation de l'Europe: c'est chose
faite. Le géant poursuivra ses conquêtes
sous d'autres cieux. Nous voici tout
subitement rétrogradés au troisième
rang, nous voici tout soudainement
parqués dans les marges de la planète de
la servitude, nous voici refoulés en un
tournemain sur les à côtés de la scène
des grands gesticulateurs féodaux.
6 - " Il est en
nous-mêmes , en nous-mêmes, le cheval de
Troie " (Cicéron)
On voit que Nelson
Mandela a battu les cartes du monde de
demain, mais à son corps défendant.
Tandis que la France et l'Angleterre se
précipitent à nouveaux fais sur l'appât
d'une Afrique à vassaliser sur le modèle
américain - c'est-à-dire au nom de la
Liberté du monde - l'Allemagne asservie
sert de cheval de Troie aux descendants
d'Abraham Lincoln. Comment se fait-il
que M. Westerwelle, ex-Ministre des
affaires étrangères des Germains, soit
allé encourager sur place les
indépendantistes ukrainiens et que son
successeur, M Steinmeier, semble prendre
le même chemin? Depuis la chute du mur
de Berlin en 1989, l'Allemagne de M
Helmut Kohl, puis de M. Gehrard Schöder
consacrait toutes ses forces à mettre
ses pas dans les pas de Bismarck et à
étendre ses relations commerciales avec
l'Est. Qui a convaincu, en quelques
jours seulement, l'Allemagne de tourner
casaque? Mais quand Moscou demande à
Berlin: "Que diriez-vous si nous
allions en Allemagne encourager un
séparatisme bavarois?", M.
Westerwelle répond benoîtement: "Je
ne suis pas le seul", autrement dit,
les vassaux ont davantage de poids s'ils
s'affichent en grand nombre.
Ce sont trois
Pygmées, la Suède de M. Bilt, le
Luxembourg de M. Asselborn, la Hollande
de M. Timmerman qui couvrent d'injures
la Russie - mais tout le monde sait que
ce sont trois voix de l'Amérique. Quand
Moscou demande à Washington de retirer
de ses frontières le bouclier
anti-missiles qui avait été placé à ses
portes soi-disant afin de conjurer les
foudres imaginaires de l'Iran - elles
étaient censées menacer tout le globe
terrestre - la Maison Blanche répond
simplement que ce bouclier demeure
nécessaire; et aucun Etat n'élève la
voix dans une Europe passive. Les dieux
s'entretiennent entre eux et par-dessus
la tête de leurs fidèles. Décidément,
nous sommes devenus les Zoulous du
monde. "Il est en nous-mêmes, en
nous-mêmes, le cheval de Troie",
s'écriait Cicéron devant le Sénat des
endormis; et il ajoutait: "Je ne vous
laisserai pas assassiner dans votre
sommeil". Mais Rome avait des
consuls et l'Europe n'en a pas.
Merci, M. Nelson
Mandela. Vous avez si bien illustré le
sacrifice du taureau immolé dans votre
village que l'Europe et le Japon
féconderont de leur sang les terres de
demain de l'empire américain.
La pause
hivernale durera jusqu'au 10 janvier
2014. Jusque là, nous verrons si, dans
le projet de la France et de l'Allemagne
de " réfléchir" à la " question russe ".
M. Fabius conduira le Président de la
République en direction d'un atlantisme
de plus en plus vassalisateur ou si, à
la suite d'un subit réveil ou d'un
ultime sursaut de la lucidité endormie
du chef de l'Etat sur l'échiquier du
monde, l'Europe trouvera à Moscou et à
Pékin les leviers de son salut.
Reçu de l'auteur pour publication
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