Qu'est-ce que
philosopher ?
Le combat de la raison
X - La France et sa cervelle
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 13 mars 2015
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1 - D'une rencontre
probable de la politique avec la
pensée
2 - L'astronomie politique
3 - La redistribution des cartes
est en marche
4 - Comment retrouver sa tête ?
5 - Les arbres cachent encore la
forêt
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1 - D'une
rencontre probable de la politique avec
la pensée
A l'heure où la
France de la logique politique, donc de
l'histoire réelle du monde, se trouve
ballottée entre le vide d'une laïcité
décérébrée et le trop plein d'un
fanatisme religieux redevenu torrentiel,
donc incompatible avec l'eau tiède des
démocraties semi-réflexives de notre
temps, le devoir d'un Etat républicain
surmonté d'une tête pensante lui impose
de s'adresser non seulement
prioritairement, mais exclusivement, à
l'armée de ses défenseurs éveillés, donc
d'une nation convertie à l'esprit
critique. Or cette audace est récente:
elle ne remonte qu'à deux millénaires et
demi.
Et pourtant,
nombreux sont les électeurs montés sur
le pont du navire de l'intelligence.
Leur intérêt pour une navigation
tumultueuse, mais à laquelle la raison
servirait de boussole, leur vigilance
aiguisée et leur patriotisme en alerte
les ont rendus méfiants et mis, depuis
longtemps, sur leurs gardes. Ceux-là
connaissent les dangers de l'oscillation
permanente des nations modernes entre,
d'un côté, le néant des cultures privées
de l'alliance de la pensée rationnelle
avec l'esprit de logique des philosophes
et, de l'autre, les débordements dans le
fanatisme sans rivage des religions en
crue et prêtes à bondir hors de leur
lit. Nous serons moins d'un million de
sentinelles de la solidité d'esprit de
la France, moins d'un million de
citoyens à prêter l'oreille au sens
rassis qui fonde la civilisation
scientifique - celle dans laquelle nous
sommes censés avoir appris à vivre
depuis 1789 et qui repose tout entière,
à ce qu'on dit, sur le socle des savoirs
ancrés dans le sens commun.
Mais bientôt, le
corps électoral des vigies du pays de
Descartes aura doublé le nombre de ses
fidèles - dans l'inquiétude d'abord,
puis dans l'angoisse. Nous espérons que,
dans quelques mois seulement, nous
serons redevenus une majorité
raisonneuse au sein d'un Etat qui nous
parlera du destin d'une République de
l'intelligence - et nous aurons le
sentiment de partager les
responsabilités proprement
intellectuelles des Etats d'aujourd'hui.
Car, pour la première fois au monde, les
soucis de la raison seront devenus
prioritaires et camperont au cœur de la
géopolitique.
Qu'en est-il
aujourd'hui de l'équilibre mental des
démocraties semi laïques ? Comment
tentent-elles de colmater les brèches
grandes ouvertes dans la coque du
vaisseau? Comment entendent-elles
résister aux canons des artilleurs
célestes dont les amiraux bombardent de
nouveau les Républiques du haut des
cieux?
Essayons de faire
jouer un rôle incitatif à une France
dont la cervelle est devenue indécise et
flottante, mais qui, au XVIIIe siècle
encore, avait osé appeler la nation des
logiciens à se rendre pensante à
l'échelle de notre astéroïde tout
entier; et souvenons-nous des périls
féconds au cours desquels les Français
demeurés dignes de la vocation solitaire
de Voltaire auront le choix de devenir
les instituteurs écoutés de leurs
concitoyens, les éducateurs chevronnés
de leur réflexion et les pédagogues
reconnus du redressement mental des
patriotes ou de retourner au Moyen-Age.
Tout vrai citoyen est désormais chargé
d'une mission d'enseignant intrépide,
tout vrai citoyen est chargé d'aiguiser
l'intelligence émoussés de la
collectivité. Quels seront les exemples
à suivre aux yeux des citoyens réveillés
en sursaut?
2 - L'astronomie
politique
Pour nous en
informer, souvenons-nous de ce que nous
avons à réapprendre notre apostolat,
parce que notre premier pas de
convertisseurs nous fera tous retourner
en classe. Certes nous ne quitterons pas
sur la pointe des pieds l'école fort
respectable d'une République des enfants
imaginée en d'autres temps par nos
pères. Mais, au siècle dernier, les
rudiments puérils de la vie politique
des adultes s'apprenaient en culottes
courtes, parce que l'histoire de la
France des nourrissons se déroulait
encore naïvement sur les préaux du pays.
Un citoyen au courant des affaires de sa
commune et de sa région se portait à la
hauteur de sa tâche; et maintenant, la
planète des démocraties renvoie chacun
de nous aux responsabilités d'une
réflexion mûrie et précise sur les
mascarades du ciel des idéologies, sur
la mise en scène des attrape-nigauds de
l'abstrait, sur les mécanismes
psychiques qui assurent le
fonctionnement politique des rédemptions
verbales, sur le nouveau chœur des anges
de la Liberté, sur les chefs d'orchestre
des idéalités et sur la falsification
des oracles du langage.
Il y a quatre mois,
un document de travail secret nous
apprenait que l'Europe se préparait -
timidement encore - à retrouver quelques
lambeaux de sa souveraineté d'antan.
Mais le président des Etats-Unis s'en
trouvait aussitôt informé. Sur l'heure,
il faisait connaître ses directives à
une chancelière d'Allemagne ligotée à
Washington, il la sommait rudement de
remettre sur ses rails un Vieux
Continent coupable d'hérésie et lui
enjoignait vertement de jeter à la
poubelle le document de travail indocile
dont il tenait une copie fidèle entre
ses mains. Comment voulez-vous que les
vrais citoyens ne demandent pas aussitôt
à leur Etat de se rendre relaps et
renégat au point de les informer de leur
propre chute au rang des métèques du
monde antique?
Et voici que le
mort bouge encore.
3 - La
redistribution des cartes est en marche
Car l'Europe
asservie se trouve placée de force à un
tournant décisif de sa dévassalisation
progressive.
On aura observé
que, le 6 juin 2014, la France est
parvenue à préciser, face aux caméras du
monde entier, le rôle militaire immense
que la Russie a joué au cours de la
dernière guerre mondiale - rôle que les
Etats-Unis tentaient de s'attribuer à
titre exclusif et à chaque célébration
annuelle - toujours unilatérale et
monoidéiste, du débarquement du 6 juin
1944. Il s'agissait, en fait, de rien
moins que d'exclure purement et
simplement la Russie de l'histoire
réelle du monde de 1939 à 1945. Afin de
briser le mythe d'un Etat délivreur et
rédempteur imaginé par Hollywood, la
Chine et le Russie ont décidé de
promouvoir un récit véridique de la
deuxième guerre mondiale.
Puis, le 6 décembre
2014, au cours d'une rencontre filmée à
Moscou entre François Hollande et
Vladimir Poutine, qui se trouvait
diabolisé sur la scène internationale
par toute la machinerie atlantiste
soudain en tournage à plein régime, la
France a "relégitimé" le chef du
Kremlin. Le 6 février 2015, la France et
l'Allemagne ont remis d'un commun accord
le dossier ukrainien entre les mains de
l'Europe seulement, et cela avec le
secours, qui a fait date, du président
de l'Assemblée de Strasbourg, M. Martin
Schulz - sept décennies après 1945, ce
haut dirigeant s'est publiquement
désolidarisé du principe même de la
présence militaire perpétuelle de
l'Amérique en Europe.
Puis le 17 février
2015, la Russie a accompli, de surcroît,
l'exploit de faire légitimer les
deuxièmes accords de Minsk à l'unanimité
du Conseil de Sécurité - décision à
laquelle, en raison de son isolement
précipité sur une scène internationale
hier encore à sa main, M. Obama s'est vu
contraint de paraître se rallier. Le 19
février, la France et l'Allemagne ont
continué de traiter l'affaire de
l'Ukraine avec M. Poutine seulement. Le
24 février c'est à Paris que les
ministres des affaires étrangères de la
France, de l'Allemagne, de la Russie et
de l'Ukraine ont débattu de l'affaire,
en l'absence des Etats-Unis et de
l'Angleterre, alors qu'au cours des
négociations de Genève de l'an dernier
sur l'Iran, la France s'était vue
réduite, pour ainsi dire, à servir le
café au cours d'une rencontre finale
réservée à MM. Lavrov et Kerry. Puis les
Etats-Unis ont vainement tenté de
remettre le dossier entre les seules
mains de MM. Lavrov et Kerry - mais
Paris et Berlin, soutenus par le FMI de
Mme Lagarde, ont refusé de se laisser
remettre en laisse : ils ont invoqué
l'autorité récente, mais suprême des
accords de Minsk. Alors, le tour est
venu pour Kiev de se trouver sommée de
les respecter: l'unanimité du Conseil de
Sécurité, donc de Moscou et de l'Europe,
faisait à nouveau la loi.
Enfin, le 7 mars
2015, le général Breedlove, chef des
armées de l'OTAN, a prononcé une
déclaration ahurissante selon laquelle
ses troupes se trouveront engagées sur
le terrain dans une guerre contre la
Russie et pour la défense des oligarques
de Kiev, ce qui a permis de mesurer le
chemin parcouru derrière le décor depuis
la farandole de Brisbane en juillet
2014. Mme Merkel a aussitôt traité de "propagande
dangereuse" et d'"hallucinations"
les propos rocambolesques du Général en
chef de l'OTAN - et plusieurs Etats de
l'Europe l'ont suivie sur un nouvel
échiquier du monde. Les yeux de l'Europe
sont néanmoins demeurés mi-clos sur le
fond , puisqu'il a été demandé à M.
Stoltenberg, Secrétaire général de
l'OTAN, de mettre le Général Breedlove
au pas, alors que M. Stoltenberg n'est
qu'un petit domestique norvégien de
Washington, dont la servilité a déjà
dépassé celle de son prédécesseur, le
valet danois, M. Rasmussen.
4 - Comment
retrouver sa tête ?
Les arbres
continuent donc de cacher la forêt :
alors que les troupes américaines
occupent Ramstein, Bologne, Pise,
Naples, Syracuse et que, depuis
soixante-dix ans, cinq cents bases
militaires en provenance du Nouveau
Monde expriment la ferme et inébranlable
volonté d'occuper l'Europe
éternellement. Le Vieux Monde contemple
quelques broussailles et quelques
buissons en Ukraine. Et pourtant, la
nouvelle Commission de Bruxelles se veut
le fer de lance d'une armée européenne
qui prendrait la relève des vassaux de
l'OTAN. Mais il lui faut encore feindre
qu'elle se lancera, l'arme au poing et
flamberge au vent vers les plaines de
Russie. Car si le général Breedlove
n'est qu'un paltoquet de Washington, il
faudra doubler la mise face au Tamerlan
des steppes et au nouveau Gingis Khan
censés nous menacer à l'Est.
Les dégénérescences
flirtent avec le fantasmagorique, le
délire politique prend la relève du
fabuleux théologique. On pensait que le
recul de l'irrationnel religieux ferait
progresser le rationnel, on s'imaginait
que le retrait des croyances sacrées
courrait au secours des intelligences -
et l'on découvre que les délires
posthumes se multiplient, se
diversifient sur la terre ferme et y
perdent seulement le bénéfice de
l'unanimité qui les rendait rassurants.
On les canalisait au profit d'un seul
exutoire des démences collectives - et
voici que la myopie politique rend les
arbres plus visibles que la forêt.
Quel tohu-bohu !
Mais la forêt, elle, nous demande de
chasser l'Amérique de la Méditerranée,
la forêt, elle, nous enjoint de renvoyer
l'occupant de l'autre côté de l'Océan.
Certes, il vaut mieux ne pas se dénuder
entièrement sous prétexte que nous
n'avons plus d'ennemis physiques à
terrasser, sinon tout le monde cesse de
vous respecter, tellement les évadés
partiels de la zoologie ne sont craints
que s'ils montrent leurs muscles, même
inutiles. Mais aussitôt l'Angleterre
s'est dressée sur ses vieux ergots -
votre liberté, s'écrie-t-elle comme
jamais, passe par votre enchaînement
perpétuel à l'Hercule qui vous surveille
de près. Certes, Mme Mogherini se
réveille un peu ; elle voit enfin
l'Europe bâillonnée et piégée par
l'atlantisme et M. Renzi se rend à
Moscou. Mais comment retirer ses chaînes
à un aveugle et à un sourd, comment
faire marcher droit un vieillard
titubant, comment réarmer la cervelle
d'une civilisation fatiguée? Décidément,
plus un mot n'est à prendre au pied de
la lettre et dans son sens littéral. Du
coup, initions les peuples au langage à
double détente d'une Europe qui rêve de
trancher son garrot, mais qui croit
s'évader à revêtir de la nouvelle
camisole de force qu'elle se prépare.
5 - Les arbres
cachent encore la forêt
Non seulement des
images d'un semblant de résurrection de
l'Europe courent à un rythme accéléré
sur nos petits écrans, non seulement
notre astéroïde en rotation autour du
soleil nous entretient jour et nuit de
ce qui lui arrive ici ou là, non
seulement la pellicule des faits divers
qu'on appelle maintenant l'Histoire,
déroule jour et nuit le récit d'un
tourniquet harassant, mais les chefs
d'Etat du monde entier ne mettent que
quelques heures pour se rencontrer
précipitamment, mais sans rien trouver à
se dire et toujours entre deux portes.
Pour tenter de
comprendre ce qui se passe dans les
profondeurs, adressons-nous aux
habitants d'un astéroïde détaché de ses
gonds et privé d'assise. Nous ne sommes
pas encore devenus des témoins écoutés,
des spectateurs informés et des acteurs
responsables de la giration de la France
sur son axe. Tentons pourtant d'assister
au basculement sans fin de notre pays de
la nuit à la lumière, essayons néanmoins
de nous rendre spectateurs de notre
pivotement dans le vide de la
géopolitique actuelle, efforçons-nous
cependant de garder la tête sur les
épaules, tellement notre tournoiement
sans fin ne nous raconte plus notre
histoire véritable. Alors seulement nous
découvrirons qu'on ne devient un citoyen
vivant et respirant que si l'on a appris
à regarder le pays et soi-même de plus
haut et de plus loin.
Le 13 mars 2015
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