Qu'est-ce que
philosopher ?
Le combat de la raison
VI - Trois monothéismes traumatisants
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 13 février 2015
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1 - Les problèmes de
succession du Dieu des chrétiens
2 - Comment départager trois
dieux uniques
3 - L'incarnation démocratique
4 - L'anthropologie des
théologies: scanner théologique
du capitalisme
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1 -Les problèmes
de succession du Dieu des chrétiens
Comment la
plateforme réflexive d'une critique
réellement anthropologique des meurtres
cultuels de type monothéiste se
distanciera-t-elle des autels du
polythéisme d'autrefois, qui étaient
exclusivement consacrés à nos
assassinats rituels les plus primitifs
et dont l'Iphigénie d'Homère est devenue
le paradigme parfait parmi nous? Sans un
recul méthodologique décisif à l'égard
de la bête sacrificielle, comment
donnerions-nous un sens à l'évolution
singulière des intentions et des
motivations toujours meurtrières et
salvatrices confondues de l'animal
désormais dûment démocratisé, donc voué
à dresser ses offertoires à la fois
laudateurs et tueurs sur les
propitiatoires du Dieu Liberté?
Prenez une
anthropologie ambitieuse de rendre
compte de l'existence même du
monothéisme, formez-la à peser et à
expliquer la généalogie, les
performances et le fonctionnement du
cerveau devenu relativement
métazoologique des trois dieux censés
uniques et vous aurez entre les mains
une discipline, dont la vocation
l'appellera à initier en retour et pas à
pas des sciences humaines demeurées
acéphales à conquérir une connaissance
rationnelle de l'évolution de ce moteur
triphasé de la politique et de
l'histoire.
De plus, une
anthropologie de ce type se rendra
désireuse de jauger les performances
théologiques particulières et le
fonctionnement collectif du cerveau
relativement trans-animal dont dispose
l'humanité triplice d'aujourd'hui; et
elle vous expliquera également les liens
partiellement méta-zoologiques que les
trois divinités évoquées ci-dessus se
partagent et qu'elles entretiennent en
commun avec la politique et l'histoire
de l'humanité. La métazoologie
originelle des religions part des
sacrifices d'animaux et de victimes
humaines réputés payants auxquels notre
espèce se livre encore de nos jours,
mais qu'elle tente désormais de masquer
sous divers déguisements inconscients de
la psychobiologie originelle qui pilote
leurs théorisations confondues. Il y
faut une anthropologie dont l'échiquier
mental s'inspirera d'une méta-théologie
du sang versé et rémunéré sur la meule
des immolations, donc sur une
théorisation et une modélisation des
offrandes bien rémunérées.
Les bimanes
désenténébrés et réputés s'être
relativement évadés de la cage de la
zoologie semi-intellectualisée qui les
emprisonne depuis le paléolithique
entretiennent depuis des millénaires un
dialogue de charcutiers intéressés et de
bouchers pressés avec les Célestes
carnivores dont ils ont installé la
charpente et les têtes dans le vide de
l'immensité. La problématique qui
commande ce trafic est essentiellement
commerciale. Cet échiquier leur permet
néanmoins d'exorciser en retour et non
sans succès - du moins à ce qu'ils
s'imaginent - la panique d'entrailles
qui affole leur industrie du sacré. Mais
rien ne les rassure face au néant appelé
d'un millénaire à l'autre à engloutir
leur carcasse. Aussi ne colloquent-ils
jamais dans leur éternité qu'un seul
interlocuteur et un seul immolateur
qu'ils ne cessent, en outre, de mettre
en cessation de paiement et qu'ils
ligotent à l'infini qui les étrangle
eux-mêmes à petit feu.
2 - Comment
départager trois dieux uniques
Puis les incarcérés
dans un cosmos dont la béance les
assassine recourent, tout tremblants, à
un substitut de la banqueroute de leur
chair et de leur ossature. Ce substitut
éternel affiche une stature colossale.
Son gigantisme leur permettra,
pensent-ils, de se décharger de leur
solitude sur les épaules d'un tiers
payant. Mais il n'est pas facile de se
décorporer du fardeau de la claustration
volontaire de tout le monde dans la
geôle de l'immensité. Il est inévitable
que des animalcules oscillants entre
l'astuce et l'effroi que leur inspire un
destin éphémère finiront par découvrir
qu'ils ne sont rien de plus que des
portefaix miniaturisés du même silence
des ténèbres et de la même éternité des
galaxies que les idoles sanglantes
qu'ils ne cessent de larguer dans le
néant.
Si ces embrumés aux
paupières mi-closes ouvrent un instant
les yeux sur la meule de la mort qui les
lamine, les broie et les terrifie, ils
se disent que le meurtrier herculéen
qu'ils ont domicilié dans sa longévité
avait le devoir moral de rendre son
monopole de propriétaire du gouffre plus
audible à leur cécité et à leur surdité;
et ils découvrent avec stupeur que leur
dieu auto-proclamé volubile dans
l'immensité n'a pas tardé à se
multiplier par trois; et que les
messages d'un ciel triphasé n'ont pas
manqué de se révéler fallacieux.
C'est que leur trio
langagier est aussitôt tombé dans le
piège de se diversifier en tronçons
incompatibles entre eux. Un ciel
maladroitement scindé entre deux
célibataires et le père d'une
progéniture masculine ordonne à la
métazoologie, de s'interroger plus avant
sur les causes secrètes de l'ascension
théologique continue d'un fils
extraordinaire, puisque la promotion
théologique de son ossature d'héritier
périssable et indestructible tout
ensemble ne s'est achevée qu'en 1950, à
l'occasion du transport tardif, mais
instantané de sa mère auprès de son
démiurge de mari.
3 - L'incarnation
démocratique
Comment cette
procréation théologique continue
va-t-elle se concrétiser au profit de la
vassalisation politique du Vieux Monde?
Car, à l'instar du mythe chrétien et
d'une Eglise démocratique qui ne cesse
d'accoucher de son verbe, le continent
européen a enfanté un empire du sacré
situé au-delà des mers et qui n'a cessé
de grandir en puissance et en gloire. Et
voici que cet empire de retardataires
frappe comme un sourd et à coups
redoublés à la porte de son géniteur, et
voici que le Fils prometteur de là-bas
est devenu tellement abusif qu'il
demande sans relâche à son Père
vieillissant rien moins que de quitter
la scène du monde le plus discrètement
possible et de lui laisser sur la pointe
des pieds la gestion de son immense
succession.
L'anthropologie du
sacré simiohumain lit l'histoire du
monde avec les lunettes du symbolique,
du signe, du figuré. Elle constate que,
de siècle en siècle, la parabole a gravé
des effigies durables dans l'histoire
anthropologique des théologies. Les
historiens d'une histoire métazoologique
à décrypter à la lumière de l'évolution
de l'encéphale de la bête observent que
Jahvé et Allah, n'ayant pas de Fils
trépignant d'impatience de leur
succéder, c'est-à-dire de leur arracher
des mains le sceptre du cosmos, ne
courent aucun risque de se trouver
dépossédés de leurs apanages par un
rival sans cesse grossissant, tandis que
le Dieu des chrétiens, lui, a beau
combattre depuis vingt siècles les
ambitions illimitées de sa propre
descendance, ses forces déclinent de
siècle en siècle et son grand âge le
laissent de plus en plus sans ressort
devant un candidat pourtant issu de son
sperme, disait-on au Moyen-Age et qui
s'attaque inlassablement aux apanages
exorbitants de son vieux géniteur.
A la veille de la
Renaissance le Fils tentaculaire s'était
déjà arrogé les prérogatives principales
de son Père. Voyez quelle persévérance
il a mise à s'emparer pied à pied de
l'échiquier central de toute théologie,
celui de l'omnipotence et de
l'omniscience de leur ciel - et cela,
dès le XIe siècle avec saint Anselme,
qui a unifié le souffle divin de l'un et
de l'autre et leur a donné le même poids
sur la balance des cieux. Voyez comment
ce fils modeste et maigrichon à
l'origine n'a jamais cédé d'un pouce sur
l'étendue croissante de ses
prérogatives. Du coup, le mythe de
l'incarnation lui-même s'est réduit à un
appendice de l'essence et quintessence
surréelles d'un Fils rendu peu à peu
consubstantiel à son Père sur tous les
fronts du monothéisme.
4 -
L'anthropologie des théologies: scanner
théologique du capitalisme
Un vieillissement
inexorable frappera-t-il également la
théologie du Fils castrateur de son
propre père? N'y comptez pas: la
charpente juvénile, puis despotique de
l' Adonis du monothéisme est devenue
impérissable. De plus en plus oublieuse
de sa filiation maladroite avec une
mortelle virginale, cette figure gère
désormais un avenir inépuisable,
tellement sa migration vers son éternité
a commencé dans sa trentième année.
De plus, le
protestantisme américain n'est pas
réfléchi par une potence; il n'a pas
tardé à métamorphoser le volet pénal du
mythe en une incarnation de l'innocence
native d'Adam. Le Nouveau Monde n'a pas
de cosmologie mythique des châtiments:
punir n'est qu'une aile de
l'administration des Etats
démocratiques. On ne théologise pas le
carcéral, on ne l'élève pas à une
métaphysique, on se contente de le
rentabiliser. Du coup, la gestion du
péché originel se trouve lessivée et
rincée dans l'eau pure d'une
constitution délivrante; et,
l'anthropologie de l'incarnation n'a
conduit qu'à d'étranges conciles - on
assiste à des séminaires dans lesquels
les Etats et les chefs d'entreprise
lancent ensemble les biens de
consommation courante du salut et de la
rédemption démocratiques sur le marché
du rachat et de la grâce.
Aussi le mythe de
l'innocence d'un monde délivré du mal
par l'incarnation d'un Dieu racheteur
fait-il, du capitalisme, le
porte-étendard de tous les Etats
démocratiques - et donc, le garant de
leur substantification dans le pain
bénit du profit.
On voit que la
radiographie méta-zoologique du mythe de
la Liberté politique porte le drapeau de
l'interprétation théologique de
l'histoire cérébrale du simianthrope,
donc de l'empire que le protestantisme
mondial est devenu à lui-même. Car cet
empire est l'incarnation démocratique de
son rêve, la substance de sa doctrine
économique, la chair de son messianisme
économique. La Liberté américaine fait
corps avec son apostolat boursier.
Si vous n'avez ni
catéchèse du dollar, ni métazoologie du
sacré appelé à propulser cette
sotériologie sur la scène
internationale, vous raconterez
l'histoire du monde avec, sur le nez,
les lunettes d'une démocratie mondiale
de la délivrance. Seule une métazoologie
méditante vous enseignera que la bête
onirique est la chair et le sang de ses
propres songes sacrés.
Le 13 février 2015
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