Opinion
Réarmer les cerveaux
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 11 décembre 2015
Quinze jours à
peine après la diffusion de ma lettre
philosophique aux hommes du scalpel et
du bistouri, l'histoire a adressé à
Paris un coup de semonce, afin de nous
rappeler que, depuis vingt-cinq siècles,
la philosophie est une chirurgie de
l'encéphale du genre humain et que cet
organe souffre de délires collectifs
dont la pathologie se perpétue à titre
quasiment héréditaire, d'une génération
à la suivante.
En 1905 la loi de
séparation de l'Etat avait cru réduire
les religions à un tissu de sottises et
de balivernes à se raconter en privé.
Cent dix ans plus tard, une civilisation
européenne, qui aura cru pouvoir se
décérébrer au point d'avoir renoncé à
observer de l'extérieur les divinités
qu'elle sécrète, découvre que les dieux
uniques veulent voir couler le sang réel
d'une bête égorgée et que le genre
humain n'est pas près d'offrir à son
maître un mouton symbolique, angélique
et séraphique.
Il est temps de
reprendre la question à l'endroit où le
XVIIIe siècle l'avait laissée en
souffrance. Depuis Voltaire, la question
de la véritable nature du sacré n'a pas
progressé d'un pouce. Freud n'avait pas
la tête politique pour un sou et la
découverte de l'évolutionnisme, qui ne
remonte qu'à 1859, n'a pas conduit la
laïcité à s'interroger sur l'animalité
spécifique d'une espèce dont les dieux
sont nécessairement construits à son
image.
2015 aura fait
redécouvrir que les religions ne se
réduisent pas à des processions et à des
prières et que la laïcité de 1905 s'est
mis une taie sur les yeux.
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1- Une laïcité sans
tête
2 - Le pseudo doute cartésien
3 - Un nouveau "connais-toi"
nous attend
4 - La décérébration de l'Europe
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1 - Une laïcité
sans tête
Le 13 novembre
2015, l'anthropologie originelle a
définitivement débarqué sur la scène
internationale. En réalité, au siècle de
Périclès déjà, la démocratie se trouvait
engagée sur le chemin d'un progrès
continu des sciences exactes et de la
pensée face à l'emprise tragique des
cosmologies mythiques. L'anthropologie
originelle a pris rendez-vous avec la
tragique dichotomie cérébrale d'une
espèce schizoïde, qui ne s'est
partiellement évadée de la zoologie que
pour tomber dans des mondes imaginaires
et délirants.
Mais pour la
première fois, la rencontre de la pensée
rationnelle avec la démocratie est
appelé à dépasser la guerre politique
entre les peuples et les nations pour
porter un regard de l'extérieur sur la
divinité elle-même et en temps que
telle. Pour la première fois, il devient
impossible de se dérober à la question
de la signification psychologique et
politique de la complexion d'une
divinité fondée sur le règne d'un
tortionnaire et d'un bourreau de
l'univers, lequel est censé régner sur
un gigantesque jardin des supplices
souterrain. Pourquoi un Dieu dit de
justice, armé de l'épouvante et de la
terreur prolongées dans l'éternité se
voit-il salué comme "le miséricordieux"?
Le secret politique
et psychobiologique de cette double
construction est évident et aussi peu
mystérieux que possible: le simianthrope
n'est disciplinable que si l'autorité
qui s'exerce sur lui, lui inspire un
respect éperdu et ce respect ne
s'obtient que par l'effroi. Mais d'un
autre côté si le tortionnaire et le
bourreau ne se présentent pas sous les
traits de la miséricorde et de la
justice, il ne se fera pas aimer. Or
l'adoration est le second épicentre de
la divinité.
2 - Le pseudo
doute cartésien
Mais les dirigeants
de la démocratie planétaire de demain ne
tireront aucun profit d'une
anthropologie originelle aussi
élémentaire que celle-là. Il leur
faudra, en outre, prendre pleinement
conscience d'une seconde découverte
fondamentale : à savoir que le kamikaze
qui se fera exploser est beaucoup plus
convaincu de l'existence d'Allah et de
son paradis où l'attendent de belles
mousmées qu'il n'est convaincu de ce que
deux et deux font quatre et de
l'existence d'un arbre qu'il voit de ses
yeux planté à quelques pas devant lui.
Si les dirigeants
de la démocratie mondiale ne tirent pas
les conséquences d'un phénomène
psychogénétique aussi hallucinant,
jamais ils n'acquerront le degré de
connaissance du simianthrope
indispensable au pilotage du genre
humain parmi les récifs du tragique. Et
pourtant, la prééminence absolue du
fabuleux et du fantastique sur le réel
dans l'encéphale schizoïde des évadés de
la zoologie n'est nullement propre à
l'islam d'aujourd'hui : les chrétiens du
Moyen-Age n'étaient pas moins convaincus
de l'existence de l'enfer et du paradis
que le Daech d'aujourd'hui. De même, les
Athéniens du siècle de Périclès
croyaient fermement en l'existence de
Zeus, tandis que les Pyrroniens de
l'époque doutaient seulement de
l'existence du monde environnant et de
leur propre carcasse.
La puissance de
l'implantation d'un monde imaginaire
dans le capital psychobiologique du
simianthrope s'est poursuivie jusqu'au
cogito de Descartes, qui n'a jamais mis
en doute l'existence du Dieu des
chrétiens, alors tout le Discours
de la méthode revenait à
raffermir la croyance en l'existence
physique d'un Renatus Cartesius menacé
de douter de son existence corporelle
sur cette terre.
3 - Un nouveau
"connais-toi" nous attend
Tel est le tragique
qui attend les hommes d'Etat de demain.
D'un côté, ils seront condamnés à
observer l'humanité dans le miroir de
ses témoins les plus parlants, tellement
les dieux sont les illustrations les
plus abyssales de la psychobiologie de
leurs inventeurs. De l'autre, ils se
trouveront bien empêchés de dispenser un
enseignement qui inculquerait aux
enfants l'évidence que l'univers n'est
dirigé par personne, n'a pas de boussole
et ne se rend nulle part, tellement le
simianthrope propulsé dans le silence et
le vide de l'éternité serait plus
épouvanté par la découverte de son
isolement qu'il ne l'est par la
terrifiante chambre des tortures dans
laquelle il est menacé de tomber.
Il y a quelques
jours, la rumeur a couru que le pape
François ne croirait pas à l'existence
de l'enfer ; mais cette rumeur a été
aussitôt officiellement démentie par la
Curie, tellement une rôtissoire
titanesque est plus rassurante aux yeux
des simianthropes que le vide de
l'infini.
Comment les
dirigeants d'un animal schizoïde et bien
davantage prisonnier de ses songes que
de l'univers de la matière
dirigeront-ils une humanité dont ils
connaîtront les secrets les plus
abyssaux et qu'ils seront condamnés à
maintenir dans l'ignorance de sa
véritable identité ? Telle est l'aporie
hallucinante, grande ouverte par le 13
novembre 2015. Certes, tout le monde
voit le sceptre de la parole du Vrai, du
Bien et du Juste glisser des mains du
Dieu américain. Tout le monde voit la
Russie prendre la relève du signifiant à
l'échelle de la planète. Mais derrière
le théâtre de la politique et de
l'histoire que la démocratie mondiale
met en scène s'ouvre la béance d'une
anthropologie originelle qui condamnera
les dirigeants de demain à en savoir
davantage sur le genre humain d'une
Eglise des XVIe et XVIIe siècles, que
les Copernic et les Galilée avaient mise
sur la touche.
4 - La
décérébration de l'Europe
La vraie politique
sera philosophique et médicinale, la
véritable politique fera de la pesée des
encéphales l'épicentre de la politique
internationale. Mais seul un
approfondissement anthropologique et
philosophique de la laïcité,
c'est-à-dire du savoir rationnel peut
réarmer intellectuellement l'Occident
face au bourreau et tortionnaire du
cosmos dont l'appareillage principal
n'est autre qu'une immense chambre des
tortures et d'un paradis auréolé d'une
immortelle fainéantise. Comment les
dirigeants actuels de la démocratie
universelle recourraient-ils encore à la
méthode platonicienne qui, depuis
vingt-cinq siècles, était censée
dégrossir et désensauvager les dieux?
On sait que Platon
proclamait d'autant plus réelle une
République qu'elle avait été plus
drastiquement réduite à son idéalité
pure et déposée à ce titre dans le
royaume des idées. A ce titre, le
philosophe athénien avait rudement
reproché à Homère d'avoir raconté que
Zeus, saisi d'un désir aussi subit
qu'impérieux, avait cloué sa femme Héra
au sol. Zeus était plus réel d'avoir
passé par le filtre purificateur de
Platon que par le chant homérique.
Cette méthode a
traversé deux millénaires du
christianisme. Au cours des premiers
siècles de cette religion, tout
nourrisson mort avant qu'on eût trouvé
le temps de le précipiter dans l'eau
salvifique et rédemptrice du baptême, se
trouvait inexorablement jeté en enfer où
la sainte justice du bourreau suprême du
cosmos le soumettait à l'épreuve des
rôtissoires de sa sainteté. Or, en 1518
Erasme relevait dans sa Ratio
verae theologiae, que plus aucun
docteur du ciel chrétien ne soutenait
une théologie aussi sauvage.
Mais puisque le
Dieu du Déluge s'est repenti de sa
cruauté, nous raconte la Genèse et de sa
sottise pour enfanter un millénaire plus
tard le shéol souterrain évoqué
ci-dessus, comment expliquer cette
rechute, sinon, pour l'Europe
d'aujourd'hui de mettre tous les
monothéismes face à leurs propres
sources et de répondre à l'islam
primitif retrouvé par une renaissance de
la pensée critique et de la civilisation
de la raison ? .
Le 11 décembre 2015
Le sommaire de Manuel de Diéguez
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