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Décodage anthropologique de l'histoire contemporaine

Une histoire raisonnée de la chute de
l'empire américain, 1945 - 2015

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Vendredi 9 mai 2014

1 - La civilisation des auréoles verbales
2 - Chronologie et feuille de route
3 - De 1945 à la chute du mur de Berlin

4 - De 1989 à 2001
5 - Le mythe de la souffrance rémunérée
6 - Du 11 septembre 2001 au 21 octobre 2013
7 - Le retour de la Sainte Ampoule sur la scène internationale
8 - D'octobre 2013 à l'effondrement
9 - La descente aux enfers

10 - La contre offensive
11 - Une mutation des sciences humaines
12 - Le 2 mai 2014
13 - La mécréance de la géopolitique
14 - La nouvelle postérité du Siècle des Lumières
15 - L'avenir de la politologie

La civilisation des auréoles verbales

La chute de l'empire romain ne s'était pas révélée congénitalement parallèle à l'effondrement du paganisme, le polythéisme n'était pas mort de s'être trouvé réfuté par la fatigue des légions, la puissance politique dominante n'était pas celle des croisés d'une foi vibrante. Rien de tel avec l'effondrement de l'utopie marxiste, puis, avec la rouille de l'utopie démocratique, qui ont trépassé conjointement dans les décombres de leurs ambitions nationales. Mais si seul l'échec et militaire de leurs délires respectifs les a fait tomber en poussière, qu'en était-il de l'édifice langagier sur lequel ces constructions cérébrales s'étaient bâties?

Le débarquement dans l'arène de la géopolitique contemporaine des messianismes religieux disciplinés d'autrefois et des sotériologies idéologiques plus flottantes conduit au décryptage anthropologique des rêves sacrés et à l'analyse critique du mythe plus récent de la rédemption par la démocratie. Mais une comparaison préalable des méthodes de décodage des eschatologies terrestres, d'un côté avec celles qui président au déchiffrage des cosmologies mythiques, donc censées transtemporelles, de l'autre, s'impose d'emblée à une anthropologie générale du fantastique religieux et politique confondus, parce que le naufrage, en 1989, du songe marxiste renvoie à celui du fabuleux de la délivrance démocratique du monde, tellement les deux bannières flottent sur le royaume d'un langage miraculé par les prodiges et les prestiges de quelques concepts subrepticement totémisés. Ce langage dédoublé par le merveilleux verbifique qui le mythifie envahit la planète depuis 1945. Qu'en est-il d'une Liberté auto-sanctifiée par l'atlantisme.

L'analyse de la logique interne pilotera la chute de l'empire para-théologique américain nous éclairera pas à pas sur la portée des prolégomènes méthodologiques évoqués ci-dessus.

2 - Chronologie et feuille de route

Tout effondrement a une histoire. Celui-ci aura connu quatre étapes. La première course vers la poussière s'est étendue de 1945 à la chute du mur de Berlin en 1989, la seconde ruée dans l'abîme nous conduit de cet évènement hautement symbolique à l'attentat, non moins symbolique, du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center de New York, la troisième débandade nous prend par la main à partir de cet électrochoc idéologique jusqu'à la Révolution de Kiev, la quatrième décomposition prend la relève de la narration depuis la conquête de la Crimée par la Russie en mars 2014 jusqu'aux évènements qui se déroulent jour après jour sous nos yeux. Car, pour la première fois depuis 1945, une puissance mondiale, la Russie, défie le temple et le tabernacle de la délivrance américaine qu'illustraient côte à côte le mythe et la doctrine démocratique, et cela par la démonstration planétaire de l'impuissance politique de cet évangélisme du vocabulaire et de l'exténuation de ses auréoles.

3 - De 1945 à la chute du mur de Berlin

Les troupes américaines avaient quasiment achevé de se retirer des champs de bataille d'une Europe ensanglantée lorsque, en 1949, une nouvelle promesse de guerre apostolique, celle du salut par la médiation de la sotériologie marxiste - cette annonciation de la délivrance purifiante reposait sur l'abolition de la propriété privée, donc pécheresse - avait ramené dans l'arène le taureau de l'évangélisme opposé, celui de l'hérésie capitaliste. On croyait que l'Eden soviétique était un Tamerlan de taille à conquérir sans coup férir la planète des glaives et de l'argent-roi associés, alors qu'il s'agissait seulement de l'extension, par la violence révolutionnaire, du culte chrétien de la pauvreté. L'athéisme marxiste paraissait profaner les dogmes, les cuirasses et les idéalités forgés sur l'enclume des bénédictions chrétiennes, alors que sa dialectique mettait le mythe en pratique. Non seulement les masses populaires, mais toute l'intelligentsia semi-rationaliste de la civilisation occidentale avaient fait du Gengis Khan russe, un certain Joseph Staline, l'idole dont la sainteté moustachue appelait l'humanité à une prosternation universelle. Face à la nouvelle apologétique, les procès en pestifération à l'encontre des damnés reproduisaient fidèlement le modèle inquisitorial inauguré par Saint Louis.

La chasse nouvelle à la mécréance avait permis aux Etats-Unis d'évangéliser l'Europe entière sous l'emblème de la vassalisation démocratique, celle de Wall Street, dont le sénateur McCarthy avait mis en place l'appareillage pénal. En 1958 le Général de Gaulle était revenu aux affaires. Il avait contraint les garnisons américaines et leurs encensoirs à se retirer du territoire français au nom même de la liberté démocratique et de ses idéaux, mais, pour cela, il lui avait fallu attendre la fin de la guerre d'Algérie, ce qui avait prolongé l'occupation étrangère et sa catéchèse jusqu'en 1962. La Maison Blanche avait aussitôt éternisé son quadrillage militaire du Vieux Continent par le biais de traités d'assujettissement bilatéraux, perpétuels et dûment consentis par les classes dirigeantes de l'époque, dont la sujétion s'était durcie et consolidée depuis 1945. Il avait suffi au Président Kennedy de faire la tournée des parlements nationaux du continent de Copernic, les ciboires du mythe de la Liberté à la main, pour vider de tout son contenu le traité franco-allemand conclu entre l'homme du 18 juin et le chancelier Konrad Adenauer le 22 janvier 1963.

Mais la remise des rênes de l'Allemagne démocratique à un simple économiste, M. Erhard, auteur du "miracle immobilier" d'une nation désormais tronçonnée entre l'est et l'ouest, s'était révélée tellement catastrophique qu'on se souvenait, ici ou là, du discours d'adieu au Bundestag de Konrad Adenauer, qui avait suggéré aux députés de leur propres candeurs que les grands financiers se trouvent rarement à l'aise dans l'arène aux fauves où n'évoluent que les grands carnassiers qu'on appelle les Etats. Puis une Ve République orpheline de son pendant berlinois avait vainement tenté de redonner une impulsion politique et stratégique à une Europe efflanqué, hétéroclite et sapée de l'intérieur par l'isolationnisme de l'Angleterre, qui paralysait le continent au nom des idéaux d'une démocratie soigneusement régionalisée.

4 - De 1989 à 2001

A la suite de la chute du mur de Berlin, la politique eschatologique des messies de la Liberté nous a légué un exploit diplomatique tellement incroyable qu'il demeurera unique dans les annales de l'humanité, parce que la mémoire écrite du monde n'en connaissait aucun précédent - l'exploit immortel non seulement d'avoir conservé la totalité des garnisons d'un empire en armes sur toute la terre, et cela nonobstant la chute du mur de Berlin, donc de la défaite de l'ennemi redoutable qu'on était censé combattre depuis quarante ans, mais d'en avoir renforcé le nombre et l'armement. Encore de nos jours, leur masse s'élève à deux cents sur le seul territoire allemand et à cent trente sept sur le sol de l'Italie de Cavour et de Garibaldi.

Le quartier général de cette armée immense bivouaque au cœur du Vieux Continent. Dans le même temps, la Méditerranée est devenue une "mare americanum". La vassalisation des civilisations se mesure à l'absence de stupéfaction de leurs élites politiques devant le spectacle hallucinant de leur réduction au servage. Depuis près de sept décennies, la classe dirigeante européenne garde un silence indifférent ou joyeux. Et pourtant, il a fallu doter le mythe du salut par l'espérance démocratique d'une théologie de la Liberté moins tranquillisante que la précédente. Quelles sont les armes mentales les plus profondes, celles qui se sont inscrites dans l'inconscient religieux du genre humain depuis des millénaires?

5 - Le mythe de la souffrance rémunérée

En vérité, toute la science diplomatique des siècles chrétiens était tombée dans l'accoutumance au machiavélisme naturel qui caractérise la légende du salut par la médiation cruelle, mais censée délivrante, d'un innocent livré à la torture; et maintenant, le mythe de la potence rédemptrice retrouvait sa férocité originelle - la démocratie tentait d'intégrer à la politologie des gibets les sanglants paramètres que charrie l'ère post-chrétienne des supplices salutaires. Depuis l'avènement des nombreux monothéismes rémunérateurs issus du modèle égyptien, le psychisme simiohumain s'alimente principalement d'un culte de la souffrance payante.

En 1989, il était devenu évident depuis fort longtemps que le besoin de s'auto- vassaliser sous le sceptre mi édénique mi infernal d'un souverain mythique du cosmos avait transporté ses prestiges et ses épouvantes sur toute la terre. Mais, pour dissimuler une plaie cérébrale aussi profonde, il fallait le contre-feu d'une terreur encore mal identifiée et pourtant connue depuis le manichéisme de la Perse, celle d'un danger de mort non seulement imminent, mais aussi vaporeux et fantasmatique que celui du démon du Moyen-âge. Bien que le marxisme soviétique eut trépassé, il se laissait métamorphoser dans les esprits en un satanisme aussi immanent à l'histoire du monde et omniprésent que le précédent. Les effluves originels de l'effroi avaient été retrouvés : on donnerait au Mal - plus armé que jamais de sa majuscule théologale - les attraits d'un épouvantail universel. Le 11 septembre 2001, cette construction terrorisante s'est trouvée percutée dans sa foi en l'immortalité de son règne - car l'épouvante a perdu de son aura apocalyptique avec la démonstration de la vulnérabilité immobilière du géant de la damnation et de la grâce américaines. Comment requinquer une foudre amortie sur le béton d'un building?

6 - Du 11 septembre 2001 au 21 octobre 2013

La religion d'un salut de l'humanité à conquérir sous la bannière d'une Liberté politique à la fois mythifiée et armée jusqu'aux dents - si vis democratiam, para bellum - n'a subi qu'une modification psychique partielle aux yeux des anciens connaisseurs du langage sotériologique dont use la Démocratie universelle; mais, aux yeux des anthropologues d'avant-garde et de leurs analyses du sacré simiohumain, il s'agissait d'une révolution cérébrale fatalement appelée à se produire à telle étape précise et non à telle autre de l'évolution cérébrale du mythe; et la nouveauté de cette révolution ne sera décryptée qu'à la lumière d'une histoire de l'évolution de la boîte osseuse du simianthrope.

Car, d'un côté, le rêve d'une Liberté sotériologisée se trouvait maintenant attaqué physiquement; mais, de l'autre, la vulnérabilité d'une rédemption ridiculement illustrée par l'effondrement d'un building donnait au songe démocratique fragilisé des moyens eschatologiques nouveaux et tout corporels d'allonger ses antennes sur la terre. On sait que toute religion contrainte à la défensive renforce son système immunitaire endormi. C'est ainsi que la foi en un langage mythifié a pu mettre sur pied une police de son ubiquité dont l'œil de lynx surveillerait à la loupe la masse immense des habitants de la planète et souderait beaucoup plus étroitement que précédemment l'expansion catéchétique de son récit fondateur d'un côté, à son expansion armée de l'autre.

La préparation des esprits à cette collusion entre les deux sotériologies était déjà tellement avancée qu'aucun Etat n'a jugé peu conforme au droit international qu'une nation puissamment cuirassée se ruât sur quelques arpents à seule fin de capturer un assassin. Au contraire, le grotesque de cette disproportion stratégique a déclenché des applaudissements universels. Du reste, le fuyard satanique sera assassiné à son tour le 2 mai 2011, soit dix ans plus tard et sous l'œil attentif d'un Président des Etats-Unis démocratiquement entouré de tout son gouvernement, puisque la contemplation télévisuelle de l'histoire de la Liberté jouit désormais de l'ubiquité du regard autrefois réservé à l'omniscience des divinités.

Mais la scission entre les motivations d'un mythe appelé à faire figure de justicier à l'échelle du globe terrestre, d'un côté, et ses visées transtemporelles de l'autre se trouvaient désormais filmées et exposées à tous les regards. On savait que la cause réelle de la chasse au Ben Laden microscopique d'ici bas résultait exclusivement de ce qu'un l'Afghanistan profanateur avait refusé tout net le passage d'un oléoduc américain sur son sol. Du reste, moins de deux ans plus tard, en 2003, le surnaturel de type démocratique transportait avec armes et bagages son langage rédempteur en l'Irak. Les sacrilèges et les blasphèmes d'un démon de passage, un certain Saddam Hussein, y faisait de grands ravages. On sait que la France, qui avait applaudi à tout rompre l'offensive précédente du mythe du Beau, du Bien et du Juste en Afghanistan et s'était voulue en croisade aux côtés de la Démocratie mondiale indignée, s'était, cette fois-ci, tout soudainement assagie et l'on a vu l'évangélisme américain se passer tout subitement de la bénédiction de la conscience universelle qu'illustrait jusqu'alors l'autorité morale insurgée de l'Assemblée des Nations Unies.

7 - Le retour de la Sainte Ampoule sur la scène internationale

Dans le même temps, le culte de la Sainte Ampoule - celle d'une Liberté souveraine, égalisatrice et justicière - s'est trouvée illustrée par une caricature de tous les missels et bréviaires de la démocratie mondiale de l'abstrait: une fiole remplie d'un liquide irakien mystérieux était censée exploser et anéantir le globe terrestre en quelques instants. Certes, ce ne fut pas à un dignitaire chamarré de l'Eglise de la Liberté que fut confiée la charge de brandir cette miniature d'apocalypse, mais à un général américain habilement choisi dans la négritude galonnée. Quelques années plus tard, ce prestidigitateur allait confesser sa honte et sa repentance en public, mais la preuve avait été définitivement apportée à la nouvelle science anthropologique du sacré et du sanglant concoctés en laboratoire que les carnages sanctifiés traversent les siècles et viennent envahir les civilisations trop superficiellement construites sur des ressorts pseudo iréniques.

Et pourtant, à partir de 2001 jusqu'aux évènements de Kiev de 2013, la démocratie apostolique et carnassière a donné des signes de fatigue tellement évidents et même d'épuisement de sa catéchèse qu'il convient de commenter une accélération subite de l'évolution du cerveau onirique de la bête évolutive. Car elle se scinde de moins en moins entre les salissures du réel et des concepts immaculés. Mais ces développements du rationnel et de l'irrationnel s'inscrivent tellement dans le récit au jour le jour des événements que je préfère les exposer à l'école de la simple narration.

8 - D'octobre 2013 à l'effondrement

On sait que l'intervention conjointe du pape François et de M. Vladimir Poutine en Syrie a marqué un tournant dans l'histoire infernale et angélique du cerveau de la planète des séraphins en armes; pour la première fois, le Vatican mettait un Poverello pensant au timon des affaires sanglantes du monde, ce qui ressourçait vingt siècles de la théologie de la guerre dans une optique d'anthropologue de l'évolution de la bête scindée entre ses glaives et ses ciboires.

J'ai relaté à plusieurs reprises les premiers pas de la distanciation nouvelle du regard de leur raison que les simiohumains sont appelés à porter sur l'encéphale des évadés d'hier et d'aujourd'hui de la zoologie. Mais aujourd'hui, la question des poignards et des croix est devenue tout autre: c'est une spectrographie documentée de la chute du mythe de la Liberté dans les revanches à venir du temporel qu'il s'agit d'esquisser.

Dans cet esprit il convient de souligner en tout premier lieu la pauvreté intellectuelle, la maladresse politique et la faiblesse méthodologique des théologiens et des théoriciens actuellement en apprentissage du messianisme démocratique américain. Premièrement, s'il s'agissait de mettre le mythe de la Liberté à l'épreuve de l'expérience du monde réel, il ne fallait pas choisir un échiquier politique aussi minable et inapproprié à la démonstration que celui de l'Ukraine de l'Ouest, tellement cette partie du pays est condamnée à sombrer dans un endettement vertigineux et dans une corruption incurable. Secondement, une diplomate américaine plus ignorante de la nature anthropologique des rêves religieux qu'un pasteur de village, Mme Nuland, a révélé - à son corps défendant et seulement pour avoir été mise sur écoutes par les services secrets de la Russie - que l'Amérique avait déboursé cinq milliards de dollars aux fins de déclencher la course des Uniates de l'endroit vers une Europe mythologisée sur la meule des idéalités de la démocratie mondiale. Puis la mise sur écoutes téléphoniques de Mme Ashton - une Anglaise censée piloter la diplomatie d'un continent fantomatique - a permis de découvrir que des mercenaires stipendiés par les Etats-Unis avaient fait feu conjointement sur la foule et sur la police afin de provoquer le mouvement de foule indispensable au déclic idyllique des Révolutions.

Mais comment des magiciens et des techniciens des rouages et des ressorts verbaux du mythe de la Liberté ont-ils pu allumer la mèche du sacré abstrait à deux pas du Kremlin? Les historiens des vapeurs cérébrales qui montent des autels de la Démocratie planétaire découvriront, dans les archives de la Maison Blanche, que l'ex-président de la Commission des affaires étrangères du Sénat, M. Biden - devenu le vice-Président actuel des Etats-Unis - avait paru initier un M. Barack Obama néophyte aux secrets les mieux gardés de la diplomatie du concept de Démocratie. Selon le même M. Biden, la Russie était à genoux et il était temps d'en profiter.

Mais la défense des avant-postes du mythe allait bientôt condamner la Maison Blanche à confesser à ses vassaux tout apeurés: "Mes enfants, je ne puis, à moi seul et de si loin, ni étrangler l'économie de la Russie, ni la châtier d'avoir reconquis la Crimée. L'heure a sonné au clocher de la démocratie d'édicter des sanctions vigoureuses contre ce mécréant. Le ciel de la Liberté vous demande de prendre la charge du salut du monde sur vos seules épaules et de promulguer, toutes affaires cessantes, l'extension des droits de l'homme à toute la terre habitée."

9 - La descente aux enfers

La chute accélérée de l'empire américain n'est pas résultée d'un ultime sursaut de fierté des Européens - ils étaient asservis de l'intérieur depuis près de soixante-dix ans - mais de l'instinct de conservation des industriels et des commerçants allemands, qui ne voulaient ni mettre un terme brutal aux relations économiques privilégiées de l'Europe tout entière avec le Kremlin, qui s'élevaient à quatre cent cinquante milliards de dollars annuels, ni hospitaliser à leurs frais un infirme criblé de dettes et tombé entre les mains pourrissantes de puissants oligarques. Bientôt, et pour la première fois depuis 1949, une politique économique ambitieuse interdisait aux classes dirigeantes d'un Continent pourtant domestiqué jusqu'à l'os de ruiner l'économie de leurs propres nations.

La preuve que, sitôt devenus planétaires, les mythes ont également besoin du soutien empressé d'un armement mondial, avait été confirmée de 1945 à 2014 l'Amérique apostolique avait conclu une alliance universelle du commerce avec un évangile intercontinental de la liberté des affaires. Et maintenant, la première puissance dont la flotte de guerre régnait sur tous les Océans dévoilait, sans le savoir, le revers de la médaille: une voie d'eau béante dans la coque de l'empire s'étendait soudainement à l'Asie, où M. Barack Obama s'était précipité en toute hâte, mais en vain. Déjà, de la Malaisie aux Philippines et de la Corée du Sud au Japon, le torrent s'engouffrait dans la brèche: tous les Etats de la région refusaient d'accéder à la supplique d'un Barack Obama pathétique, qui leur enjoignait de s'associer à des sanctions économiques solitaires, dérisoires et impuissantes à asphyxier la Russie.

10 - La contre offensive

On sait que le commerce américain avec le Kremlin ne s'élevait qu'à vingt-sept milliards de dollars par an. Une escarcelle aussi pleine de toiles d'araignées rendait absurde tout évangélisme fondé sur le pain bénit du profit. Comment l'Amérique aurait-elle conservé les dorures de son ancienne puissance commerciale, alors que, dans le même temps, la France, l'Allemagne et l'Angleterre enterraient en catimini un embargo sur les armes à destination de la Chine qui remontait aux évènements de la place Tian'anmen le 4 juin 1989?

Au retour de son voyage désastreux en Asie, le Président des Etats-Unis téléphonait désespérément à M. Cameron, à Mme Merkel, à M. Hollande et même à M. Rienzi, chef du gouvernement italien. Cette ultime tentative de les rassembler en un quarteron d'agresseurs de la Russie a rappelé à tout le monde que, trois semaines auparavant, c'était déjà en douce, semblait-il, que le Président des Etats-Unis s'était glissé au Vatican, tellement sa dernière visite en Europe avait été éclipsée dans l'ordre protocolaire par celle du Président chinois, lequel avait proposé un axe Berlin-Pékin à l'Allemagne et signé des contrats pour un montant de dix-huit milliards de dollars avec la France. De son côté, la Russie préparait avec l'Iran un troc de gaz et de pétrole contre des produits manufacturés, tandis que la marche de la Chine en direction de l'Europe se renforçait par le projet de creuser un port en eau profonde à Sébastopol et un pont géant entre le détroit de Kerch et la Russie.

11 - Une mutation des sciences humaines

La chute inexorable de l'empire américain allait entraîner des conséquences à plus longue portée encore. D'abord et pour la première fois depuis 1989, l'histoire de l'effondrement d'un empire fondé sur une mythologie du langage se donnait à observer au sein même du capitalisme mondial. Les quatre étapes explicitées ci-dessus étaient aisées à distinguer. Toutes les quatre illustraient les grippages d'un songe para-religieux, toutes les quatre se laissaient spectrographier à la lumière de la logique interne qui avait présidé à leur construction langagière. La bête au cerveau schizoïde scannait désormais le fonctionnement onirique de sa boîte osseuse.

Qu'est-ce à dire? Jusqu'alors, la science des religions était demeurée tellement titubante qu'il était impossible de les décoder à la lumière d'une anthropologie générale de leur flottement entre le ciel et la terre; et maintenant, la politologie et la science psychologique observaient ensemble la dichotomie humaine; tellement ces deux disciplines s'articulaient côte à côte avec le destin biphasé du mythe de la Liberté. Bientôt les sciences humaines allaient rendre compte de la bipolarité cervicale des évadés de la zoologie. La conjonction de ces deux sciences date de 2014 seulement, parce que l'observation de la cervelle du genre simiohumain avait enfin trouvé le recul à la fois corporel et mental indispensable aux descriptions heuristiques qu'appelle la pensée scientifique. Nous savons maintenant que ce n'est jamais le récit sacré qui se révèle le moteur des mythes religieux, mais le fonctionnement de l'encéphale bifide d'un animal suspendu de naissance entre le monde et le rêve. Du coup, la distanciation anthropologique a trouvé une autre assiette, un autre échiquier et une autre problématique.

C'est ce qu'a confirmé la rencontre du 2 mai 2014 de Mme Merkel avec M. Barack Obama à la Maison Blanche.

12 - Le 2 mai 2014

On raconte qu'au lever de rideau, la Chancelière d'Allemagne et le Président des Etats-Unis avaient plaisanté et ri aux éclats. Deux heures plus tard, leur mine était grave; et c'est en affairistes soucieux et en esprits platement pragmatiques qu'ils étaient allés se livrer à l'exercice traditionnel de la conférence de presse commune. Grande fut la stupeur des assistants à ce spectacle: M. Barack Obama n'avait tenu aucun compte de l'existence - pourtant annoncée à grand tapage par la presse du monde entier - de l'hôte d'honneur de la Maison Blanche; et il s'était adressé au seul public américain. Après avoir longuement entretenu la nation du monde du travail sur tout le territoire américain, qui semblait s'améliorer, disait-il, à condition que les députés voulussent bien s'y intéresser davantage, il avait enfin salué la Chancelière et l'avait parée du titre d'"amie", à la manière de Rome, dont l'esprit pratique élevait traditionnellement au rang d'"amis du peuple romain" les peuples vaincus, mais devenus méritants aux yeux de leur maître.

Pendant tout ce temps, Mme Merkel, nullement décontenancée par cette désinvolture, observait le grossier personnage du coin de l'œil et avec un brin d'ironie Mais le verbe allemand gucken, qui signifie lorgner et dont la presse allemande avait abondamment usé afin de rendre compte de l'atmosphère surréelle de cette conférence, ne renvoie ni à la lorgnette, ni au lorgnon des ancêtres, comme le français, mais au trou de serrure, au judas ou au vasistas - le Guckfenster. Le vocabulaire d'une langue est un révélateur sans égal des enjeux cachés de la politique sur l'agora télévisuelle des modernes.

La Chancelière ne pouvait ignorer que l'opinion publique allemande est russophile à plus de cinquante pour cent et que des centaines d'intellectuels de son pays l'avaient charitablement mise en garde, notamment par le rappel insistant des pièges de l'atlantisme. Et puis, il y avait les trois cents écoutes humiliantes de son portable, dont elle avait été la victime de la part d'un Président des Etats-Unis qui se moquait de ses récriminations comme de sa première chemise. Mais ce qui se cachait sous les décors convenus de la conférence du 2 mai, c'était le recul nouveau de la raison politique dont bénéficiait une pensée politique européenne désormais plus distanciée et qui inaugurait enfin un décloisonnement décisif de toute la géopolitique pseudo scientifique de l'époque.

13 - La mécréance de la géopolitique

Ici encore, la cause la plus profonde, mais demeurée inconsciente de cette mutation cérébrale de toute la classe politique européenne était d'origine théologique: de même que les confessions doctrinales des religions ne traitent jamais de la faiblesse des preuves de l'existence de leur divinité, mais seulement de sa nature ineffable et de la souveraineté de sa législation, la gouvernance transcendantale qu'exerçait l'empire américain de la Liberté était un a priori para-théologique et soustrait à tout examen rationnel. Les casuistes de Jupiter traitaient seulement de la gérance de Jupiter.

Aussi, le 2 mai 2014, Mme Merkel avait-elle rappelé, mais du bout des lèvres, l'inévitable nécessité doctrinale et confessionnelle des "punitions" qu'encourait une Russie censée légitimement appelée à comparaître en pénitente devant le tribunal d'une "Démocratie" validée dans son rôle d'accusatrice universelle. Mais tout le monde savait que le "machin stupide" des sanctions était inapplicable au rebelle, parce qu'elles deviendraient un redoutable boomerang entre ses mains. Les trois anciens Chanceliers, MM. Helmut Kohl, Gerhardt Schröder et Helmut Schmidt avaient pris la plume pour dénoncer l'impéritie du langage pénalisant et moralisant d'une démocratie composée d'élus du Seigneur. "Honnêtement, ils commencent à nous taper sur les nerfs avec leurs sanctions. Ils ne comprennent même pas qu'elles vont leur revenir en boomerang. (...) Les Américains n'auront qu'à envoyer leurs astronautes sur la station spatiale internationale (ISS) avec un trampoline" déclarait le vice-premier ministre russe Dmitri Rogozine aux calvinistes de la grâce démocratique.

14 - La nouvelle postérité du Siècle des Lumières

Le 2 mai 2014, Mme Merkel avait fait admettre à M. Obama que les intérêts politiques et économiques des diverses nations dont l'Europe est composée étaient fort différents. Mais l'hégémonie américaine ne pouvait admettre une légitimation du péché d'hérésie le plus grave, celui selon lequel les Etats-Unis ne seraient pas au service d'un Bien aussi universel et inaltérable que celui de Dieu lui-même, mais seulement de leurs propres intérêts nationaux, comme tous les autres Etats de la terre. M. Netanyahou avait refusé les sanctions à l'égard de la Russie, parce que les intérêts supérieurs d'Israël, disait-il, n'étaient pas toujours et partout ceux de la sainteté démocratique américaine. C'était dire que la légitimation des droits particuliers aux nations dévalorisait le principe universel selon lequel un Etat hyper sacralisé détenait le monopole de la vérité politique sur notre astéroïde.

Mais alors, comment Dieu légitimait-il sa position hégémonique, donc ses prérogatives exclusives d'imposer à ses créatures une confusion intéressée entre les droits attachés à sa puissance politique sur la terre et à sa sainteté incontaminable? Comment M. Obama dicterait-il sa politique étrangère soi-disant transcendantale et intouchable à une Allemagne de quatre-vingts millions d'habitants subordonnés et tout gesticulants à l'étage d'en-dessous, celui du temporel. Et si Dieu lui-même se révélait l'artisan d'un ciel profitable à ses divins intérêts et si ceux de ses sujets faisaient reconnaître leur validité et passaient maintenant avant les siens?

Depuis 1945, les commentateurs sacralisaient les questions pratiques et rapetissaient pieusement le champ de l'interprétation de la nouvelle histoire sainte du monde sur le modèle de la dévotion américaine qui rendait intouchable la géopolitique du souverain. On évoquait seulement le tempérament, jugé contrariant, d'un joueur d'échecs nommé Vladimir Poutine et l'on se moquait de son arrière-monde de moraliste de la nation russe; et maintenant on découvrait non seulement que, depuis soixante-dix ans, la politologie officielle répondait aux exigences d'une dévotion, celle d'une pseudo science de la Liberté, puisqu'elle avait perdu son autonomie cérébrale et son esprit critique au profit du fonctionnement doctrinal d'un mythe démocratique vassalisé de l'intérieur. Le XVIIIe siècle était de retour: on allait radiographier la dogmatique commune à Dieu et à la Maison Blanche à la lumière d'une anthropologie transcendantale. Un examen critique de leur planétarisation partagée de la politique mondiale démontrerait à la postérité de Voltaire que "Dieu" travaille à sa propre puissance propre et à sa propre gloire sur le modèle de la démocratie américaine.

15 - L'avenir de la politologie

La rencontre de M. Barack Obama avec Mme Merkel du 2 mai 2014 à la Maison Blanche rendra irréversible le scannage du champ épistémologique de la politologie mondiale, tellement M. Obama s'est trouvé contesté dans ses prérogatives mythologiques de mobiliser la planète du Beau, du Juste et du Bien au profit de son propre pays. On se demandait subitement comment l'empire américain s'était auto-légitimé sur le modèle du récit de la Genèse, comment il avait réussi à valider son ubiquité "spirituelle", alors que sa théologie faisait eau de toutes parts en Ukraine. Pour la première fois, l'empire américain se heurtait aux réalités de ce bas monde, pour la première fois, la panne qui paralysait son extension idéologique à la planète réfutait l'universalité biblique du dollar, pour la première fois, les chancelleries vassalisées par le mythe de la Liberté retrouvaient le génie romain de la politique.

Par conséquent, tout débat politique qui négligerait le réalisme de la géopolitique s'égarera dans des rêves idéologiques abstraits ou dans le vaporeux des songes théologiques. La fécondité politique et anthropologique de la crise ukrainienne sera copernicienne. Il sera à nouveau rappelé que tout empire est éphémère par nature et par définition. Celui de l'Amérique n'aura duré que soixante-dix ans.

Mais si vous descendez dans les ultimes profondeurs des alliances de la politique avec le sacré, les paramètres anthropologiques des rêves religieux éclaireront tout le champ des sciences humaines: et la crise d'Ukraine portera un humanisme occidental devenu superficiel et pieux dans la postérité décérébrée de la Renaissance à la spéléologie du messianisme pathologique du genre humain. Mais alors, une nouvelle spiritualité fait ses premiers pas, celle de l'élévation de la conscience à la grandeur de la solitude pensante.

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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