Les défis de
l'Europe
Qui attachera un grelot à la queue du
chat ?
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 8 janvier 2016
Et vous êtes
toujours là !
Il y a vingt-six
ans qu'une mythologie économique née en
1917 s'est écroulée avec le mur de
Berlin, et vous êtes toujours là!
Il y a vingt-six
ans qu'un messianisme politique
évangélisé par l'utopie est tombé en
poussière, et vous êtes toujours là!
Il y a vingt-six
ans qu'un évangélisme cuirassé porté par
le rêve de la délivrance s'est
volatilisé, et vous êtes toujours là!
Cinq cents de vos
camps militaires équipés de l'arme
nucléaire quadrillent une Europe du nord
au sud et de l'est à l'ouest, dont deux
cents lovés sur le territoire de
l'Allemagne et cent quarante incrustés
en Italie. Pourquoi votre main de fer se
cache-t-elle sous le gant de velours de
l'OTAN? Pourquoi vos vassaux se sont-ils
dotés d'une Constitution
anti-démocratique par définition puisque
la loi fondamentale qui structure leurs
Etats les condamne à demeurer occupés à
perpétuité ? Pourquoi laissez-vous la
fureur et la haine grandir contre vous
puisqu'il est bien évident que votre
empire est construit sur l'éphémère du
seul fait que les peuples du Vieux Monde
vont inévitablement se réveiller et
contraindre, même leurs classes
dirigeantes asservies, à vous demander
tôt ou tard et de plus en plus
impérieusement de lever le camp?
Pourquoi ne
suivez-vous pas l'exemple des Romains
qui, après leur victoire sur le monde
hellénique, ont donné la liberté aux
cités grecques pourtant conquises par la
force des armes? Souvenez-vous de la
stupéfaction, de l'allégresse et
quasiment de l'extase dans lesquelles
ces villes sont tombées au spectacle
fabuleux du premier empire du monde qui
ne tentait pas de conquérir la puissance
et la gloire aux dépens des vaincus et
qui ne remportait des victoires à la
guerre que pour apporter au monde la
Justice et la Liberté.
Et quel ne fut pas
l'étonnement des cités grecques
héritières de Marathon et de Salamine de
découvrir que la puissance romaine
reposait désormais tout entière sur son
absence apparente et sur son revêtement
trompeur de libérateur du monde. Quel ne
fut pas l'étonnement et le dépit des
cités grecques de découvrir que leur
propre population se prosternait
désormais devant leur nouveau maître, à
l'instar de toute la classe dirigeant de
l'Europe depuis 1945 et de la masse des
notables actuels depuis soixante dix
ans. Le plus fort n'a pas à ferrer sa
proie. Celle-ci s'offre d'elle-même,
tellement la vassalité est un aimant
dont la puissance d'attraction se révèle
irrésistible.
Tout le monde avait
trouvé un nouveau chef à vénérer. C'est
que tout pouvoir se nourrit de son ombre
portée. Les cités grecques, n'ayant plus
à combattre pour la Liberté ne pouvaient
prendre les armes et combattre leur
bienfaiteur. Une décennie à peine après
leur renoncement apparent aux fruits de
leur récolte, les Romains étaient
devenus les maîtres d'un monde
hellénique qu'ils étaient censés avoir
libéré.
M. le Président des
Etats-Unis, nous ne sommes pas des cités
grecques. Du moins celles-ci ont-elles
envoyé jusqu'aux confins de l'empire
romain leurs sophistes encyclopédistes
et maîtres en éloquence, qui ont conduit
toute l'élite romaine à parler et à
écrire le grec, tandis que vous nous
imposez votre langue avec le torrent de
vos marchandises.
Mais le monde grec
ne voyait aucun soleil nouveau se lever
à l'horizon, tandis qu'une aurore nous
attend: déjà une Europe qui s'étendra de
l'Atlantique à l'Oural nous entraîne
vers un monde dans lequel la Russie,
l'Inde et la Chine trouveront en Afrique
et en Amérique du Sud les moyens
d'opposer à votre empire un nouvel
épicentre de la civilisation mondiale.
Dans votre sillage, nous n'avons plus de
destin propre et l'Europe ne sera jamais
qu'un instrument de votre puissance.
Déjà vous nous
traitez en pions sur l'échiquier de
votre rivalité avec la Russie et la
Chine. Déjà vous contraignez vos vassaux
à prendre des sanctions contre Moscou au
détriment des intérêts de leur industrie
et de leur commerce. Mais déjà, vos
ambitions d'empire se retournent contre
vous. Vous vous imaginez que les masses
européennes assistent en silence aux
batailles de leur temps, puis se ruent,
tête baissée du côté du vainqueur. Mais
cette loi de l'histoire, les Etats
émergents la bousculent. Les cités
grecques n'avaient pas de destin de
rechange, tandis que le monde entier
nous donne un nouvel avenir.
Mais il y a plus,
M. le Président du Nouveau Monde.
Savez-vous qu'un fabuliste du XVII est
devenu célèbre dans toute l'Europe, un
certain Jean de la Fontaine. Une de ses
fables raconte que les souris,
soucieuses de se protéger des chats,
avaient décidé de leur accrocher un
grelot à la queue afin de se trouver
averties de leur arrivée.
Hélas, raconte le
fabuliste, les souris n'ont trouvé
personne pour accrocher le grelot à la
queue des chats. .
Le 8 janvier 2016
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