Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Oraison funèbre de l'Europe
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 3 mars 2017
Dernière minute …
En
1923, le chef du gouvernement allemand
s'appelait Cuno. Cet économiste candide
portait les œillères de sa spécialité et
en véhiculait les niaiseries. Il
ignorait que la Ruhr occupée par la
France, était un butin. Aussi
s'imaginait-il que le Président Poincaré
déguerpirait sitôt que entreprise ne
serait plus bénéficiaire. Il suffisait
donc, pensait-il de la rendre
improductive et pour cela de susciter
des grèves.
Aujourd'hui, un homme d'affaires aveugle
ou faussement naïf dirige les
Etats-Unis. Il s'appelle Donald Trump.
Sait-il, ou feint-il d'ignorer que
l'occupation américaine de l'Europe est
un trophée, donc un emblème de la
victoire américaine de 1945? Pour la
première fois, un Président des
Etats-Unis avertit ses vassaux européens
que la patience du peuple américain ne
sera pas éternelle à leur égard et qu'il
leur en cuira s'ils refusent de rentrer
dans le rang, c'est-à-dire d'augmenter
leur participation financière à leur
propre mise sous tutelle.
Dans
le même temps, le premier empire
militaire mondial augmente son budget de
guerre de quatre-vingt cinq milliards de
dollars.
Tel
est le contexte dans lequel je demande
aux lecteurs de mon site d'interpréter
mes analyses anthropologiques
bi-mensuelles : l'anthropologie
historique que je tente d'élaborer
depuis seize ans sur ce site voudrait
inaugurer en amont un recul nouveau de
la raison, donc une distanciation
inédite à l'égard de la politique et de
l'histoire, tellement toute objectivité
ne recueille en aval que les
conséquences logiques des prémisses
énoncées en avant-garde.
*
Le
souverain du monde s'appelle le temps.
C'est pourquoi, dès les origines, la
métaphysique a tenté de lui tenir la
dragée haute. Le temps, disait-elle,
n'est jamais qu'un trompe-l'œil. Le
temps n'est qu'un subterfuge du
temporel, seules comptent nos victoires
sur la durée qui nous étrangle. Mais il
se trouve que le dernier coup de gong de
ce tyran sonne notre glas. Et c'est
parce que nous refusons de trépasser que
nous tentons de le prendre de haut avec
le temps.
Mais
quand l'étrangleur qui s'appelle la mort
prend une civilisation dans ses griffes,
quand l'Europe cesse de défier la mort,
nous découvrons les arcanes de notre
renoncement au combat. Quel paradoxe que
les civilisations se rendent éternelles
à engager un combat sans issue!
C'est
que le butin de ce combat s'appelle la
gloire. Un continent qui aura accepté de
périr, une civilisation qui aura renoncé
à se rendre glorieuse nous enseigne les
chemins du trépas du Vieux Continent.
Ces chemins sont clairement tracés:
c'est par son retrait de l'arène que
l'Europe se construit son sépulcre.
Voyons, la loupe à l'œil, comment le
Vieux Monde s'asservit sous le joug
d'une puissance étrangère.
Quand
les constitutions européennes
sacralisent leur propre servitude, quand
des nations désormais abusivement
qualifiées de souveraines proclament
éternelle leur propre occupation sous le
joug de cinq cents bases militaires
américaines sur leur territoire, un
secret encore mieux caché de la mort des
civilisations rappelle soudainement à
notre attention que nous avons déjà
quitté l'arène du temps non seulement
sur la pointe des pieds, mais dans un
aveuglement conscient et volontaire. Si
La Boétie revenait parmi nous, il
confirmerait son essai sur la servitude
volontaire, tellement nous effaçons
volontairement les traces de notre
mémoire.
L'examen du chemin d'une Europe en
marche vers son trépas, démontre que
notre servitude se cache au plus secret
de nos cerveaux. On l'a bien vu quand le
Front national, par exemple, a rappelé
que la souveraineté du continent et de
ses nations ne renaîtra jamais sous la
chasuble des vassaux du Pentagone.
Dans
un texte antérieur, je citais une phrase
de Montherlant: "Le vainqueur
roucoulait sur les bancs publics avec
les femelles du vaincu". (Voir:
Naissance, croissance et agonie de
l'Europe américaine , 20 janvier
2017) Aujourd'hui, la femelle du vaincu
est en tenue de gala, la femelle du
vaincu n'est autre que toute la presse
écrite, ainsi que les médias de l'Europe
et de l'empire américain. Quel
repoussoir que l'Europe d'aujourd'hui
aux yeux des historiens de demain.
Mais,
comme il est dit plus haut, l'Europe
meurt sous une épée de Damoclès qu'elle
feint tellement de ne pas voir qu'en fin
de compte, elle cesse réellement de
l'apercevoir. Qui ose proclamer
ouvertement que l'empire américain doit
purement et simplement plier bagage, qui
ose rappeler que sa présence sur nos
terres ne deviendra jamais naturelle et
qu'elle devra prendre fin, qui ose
rappeler aux peuples souverains qu'en
1919, déjà, il avait été difficile de
faire quitter les lieux aux troupes
américaines: Henry Ford était arrivé
avec un personnel bien décidé à prendre
en mains les commandes de l'Europe, mais
les chancelleries de l'époque lui
avaient fermé leurs portes. En 1949,
l'occupant est revenu en force à la
suite de l'échec des accords de Yalta et
de la création du Pacte de Varsovie à
l'Est.
Peut-être la vraie postérité de Freud
est-elle dans la psychanalyse de la mort
de l'Europe, peut-être la vraie science
de l'inconscient a-t-elle débarqué dans
la géopolitique avec la postérité trans-familiale
et trans-névrotique de l'empire de
l'inconscient. Car si l'inconscient
individuel scelle alliance avec
l'inconscient des nations, nous nous
retrouvons dans un univers dont nous
connaissons les repères depuis la plus
haute antiquité.
La
mort politique de l'Europe s'accompagne
de surcroît d'une tragique déconvenue
des peuples qu'on avait proclamés
souverains et qui se montrent éberlués
par la découverte qu'il n'en est rien.
Car le pouvoir notabiliaire qui
florissait dans les villages et dans les
petites villes de province s'est lové au
cœur de la République où il a sécrété un
patriciat du pouvoir exécutif. Un chef
de gouvernement ou un responsable
régional se trouve en position de
favoriser les membres de sa famille au
détriment du bien commun. Le népotisme
était un cancer de la monarchie; le
voici devenu un cancer de la démocratie.
Du
coup, la catéchisation de la population
échoue à former les bataillons d'une
élite politique crédible. Autrefois, les
régiments du clergé façonnaient
l'encéphale de la classe politique. Et
maintenant, les bataillons des
pastorales de la démocratie échouent à
forger un clergé de la Liberté, de
l'Egalité, de la Fraternité et de la
souveraineté du peuple. Il n'existe pas
d'Etat qui puisse se passer d'un
sacerdoce. Or les idéalités bafouées
jour après jour dans un monde contingent
échouent à remplacer un sacerdoce de
l'intemporel et de l'invérifiable.
Une
espèce piégée par ses rêves est un
singulier animal. Celui-ci se montre
désireux de s'évader de la zoologie et
ambitieux et de vaincre sa propre mort.
Il entretient avec le temps des
relations " extra-ordinaires ".
Ou bien cette espèce se donne le butin
de la gloire et persévère à se vouloir
partie prenante dans le combat contre la
mort, ou bien elle renonce à ce trophée
et elle se replie dans une
absentification frileuse. C'est cela,
notre mort, c'est cela notre refuge dans
notre soumission aux volontés de
l'empire américain.
L'histoire de notre mort nous contraint
enfin, non seulement à ouvrir les yeux,
mais à les écarquiller. Alors nous
découvrons que nous nous rendons les
otages de nos propres songes.
3 mars
2017
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