Les défis de
l'Europe
Blanche Neige et les vingt-sept
nains
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 2 décembre 2016
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1 - Les
cultures et leurs
capitales
2 - Paris est-il
menacé ?
3 - La maison de
poupée européenne
4 - Faire sortir
l'Europe des
chapelles de l'OTAN
5 - Les
journalistes,
porte-paroles de
l'OTAN
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1 - Les
cultures et leurs capitales
Le
premier théoricien de l'alliance des
grands Etats - et d'abord de leurs
capitales - avec la création culturelle
et universelle de leur temps, n'est
autre que Périclès, qui disait que
l'Attique et d'abord Athènes, était la
pédagogue de toute l'Hellade,
c'est-à-dire de toutes les cités
grecques. Puis Rome a suivi l'exemple de
la Grèce : même sous Néron ou Tibère,
les écrivains, les poètes, les peseurs
et les penseurs de la politique et de
l'histoire du monde, accouraient à Rome
de toutes les provinces de l'empire.
La
première expression du génie de la
Révolution de 1789 fut de comprendre que
l'alliance de la politique avec la
culture avait quitté Versailles et la
cour pour placer Paris au cœur de la
nouvelle alliance de la France avec
l'universel. Mais comment se fait-il que
Berlin ne sera jamais plus la capitale
de la civilisation allemande; comment se
fait-il que Berlin ne retrouvera jamais
le rôle centralisateur et unificateur
qu'il jouait depuis Hegel? Comment se
fait-il que Berlin se trouvera à jamais
réduit à la même impuissance que
Washington de jamais incarner une
capitale de l'esprit dont tout le monde
voit clairement qu'elle ne sera jamais
le chef et le guide reconnu d'une
"civilisation américaine" unifiée et qui
parlerait d'une seule voix?
Pour
le comprendre, il faut observer à la
loupe comment Heidegger a réduit
l'Allemagne à des ilots culturels
ambitieux d'affirmer leur autonomie
provinciale à l'égard de Berlin. Car la
parution en 1927 de Sein und Zeit
- L'Etre et le temps -
avait donné au philosophe allemand un
éclat mondial qui s'était aussitôt
répercuté sur la petite université de
province qu'était Fribourg- en - Brisgau.
Mais en refusant l'offre de Berlin
d'enseigner dans son université,
Heidegger rendait impossible de
perpétuer une Allemagne
intellectuellement et politiquement
centralisée. Le philosophe de Sein und
Zeit a contraint l'Allemagne à cultiver
des identités culturelles locales et
ardentes à défendre une autorité
provinciale illusoire. Aujourd'hui,
Francfort, Cologne, Munich, Leipzig
revendiquent avec acharnement leur
principauté culturelle locale, afin
d'interdire à Berlin de jamais
reconquérir les apanages et les
prérogatives d'une capitale du génie
national allemand.
2 - Paris est-il
menacé ?
Quel
est, de nos jours, l'avenir politique et
culturel de Paris? Cette place forte de
l'universalité de la France
continuera-t-elle de jouer dans le monde
le rôle que Périclès attribuait à
Athènes et à l'Hellade? Aujourd'hui,
tout auteur qui se ferait éditer à
Bordeaux, à Lyon ou à Marseille, se
réduirait lui-même à un silence sans
remède, faute que son ouvrage puisse
rencontrer un écho national, parce
qu'une capitale capable de trouver un
écho politique et culturel confondus a
besoin du noyau et du soutien d'un
public transmunicipal et initié aux
exigences de lecteurs informés des
conditions d'épanouissement d'une vie de
l'esprit.
Mais
que se passerait-il si des prix Nobel -
Le Clézio ou Modiano - se faisaient
éditer à Marseille, à Lyon ou à
Toulouse? Dans ce cas, la France se
morcellerait-elle à la manière de
l'Allemagne ou des Etats-Unis et se
compartimenterait-elle en féodalités
culturelles attachées à protéger leur
autonomie? Autrement dit, Paris
serait-il menacé de perdre son hégémonie
éditoriale à l'exemple de Berlin, pour
ne rien dire d'une "civilisation
américaine" dont Washington illustre
l'impuissance de faire parler la
politique et la culture d'une seule
voix?
3 - La maison de
poupée européenne
L'examen de cette situation s'impose à
mon anthropologie critique dont la
vocation demeure la pesée de la manière
dont le genre humain construit ses
signifiants et conjugue le verbe
comprendre. Car ce que nous appelons
l'intelligible obéit à des finalités
dont l'anthropomorphisme ne saurait
échapper plus longtemps à nos balances
du vrai et du faux. Or, le but évident
de l'empire américain est de pervertir
le langage de l'Occident et de changer
le sens des mots.
Certes, il faut saluer l'accession
progressive des femmes aux
responsabilités politiques au sein des
Etats. Mais quand on voit une kyrielle
de femmes promues au rang de ministre de
la défense européenne proclamer que
l'OTAN serait une paroisse de la vertu
politique et un gage de sainteté au sein
d'un Eden de la démocratie, il faut
rappeler que la mentalité du scoutisme
est au rendez-vous d'une démocratie
contrefaite. Le culte d'un OTAN
évangélique n'a pas tout subitement
changé toutes les femmes politiques en
des Isabelle de Castille, des Catherine
de Russie, des Cléopâtre ou des
Sémiramis. L'alliance de l'ignorance
avec la sottise n'est autre que le plat
de résistance des délitements de la
pensée rationnelle.
Si la
France fondée sur l'alliance de la
République laïque avec la pensée
critique devait faire naufrage sous les
coups de boutoir d'un OTAN à l'usage
d'Alice au pays des merveilles, c'en
serait fait du rôle de pédagogue que
Périclès donnait à l'Attique et à
Athènes. Quand on voit le Président
Obama, encore en exercice jusqu'au 20
janvier 2017, programmer une dernière
visite à l'Europe asservie afin faire
jour à la Chancelière allemande le rôle
d'une Blanche Neige au pays des
vingt-sept nains et, dans le même temps,
objurguer les vassaux rassemblés sous le
sceptre pseudo apostolique de l'OTAN, à
refuser aux navires russes l'accès aux
ports du Vieux Monde, on comprend que
l'alliance des candeurs paroissiales
avec les naufrages de la raison
politique est devenu une actualité dont
l'examen exige toute la vigilance d'une
anthropologie de la politique mondiale
d'aujourd'hui.
4 - Faire sortir
l'Europe des chapelles de l'OTAN
Jamais
la question posée par Périclès ne s'est
révélée plus présente qu'aujourd'hui.
Longtemps le pouvoir s'est trouvé livré
à un clergé seul appelé à jouer le rôle
d'une classe dirigeante avertie. Et
maintenant, l'humanité se trouve scindée
entre un public ayant accès à internet
et une masse demeurée absente de
l'information géopolitique réelle. Il
s'agit de détecter les endroits
stratégiques qui permettent tout
simplement de savoir ou d'ignorer ce qui
se passe réellement sur le globe
terrestre, il s'agit tout simplement de
savoir si vous avez accès ou non aux
dépêches qui vous informent de ce qui se
passe réellement sur notre astéroïde.
Si
vous n'avez pas accès aux sites russes,
vous vous trouvez bien davantage coupés
de la réalité que les chrétiens du
Moyen-Age et si la Russie ne prenait pas
la relève de la connaissance réelle de
l'histoire du monde, il est évident que
le naufrage de l'Europe dans la
servitude serait sans remède, tellement
la cécité politique des masses est
devenue hallucinante. Personne ne
demande simplement à un Alain Juppé,
ancien Young Leader, donc
pré-sélectionné par Washington si, oui
ou non, il aurait eu l'intention de
maintenir la France dans l'OTAN et donc
de perpétuer la présence
inconstitutionnelle par nature, de cinq
cents bases militaires américaines en
Europe.
Voltaire ou Rousseau imaginaient que
l'univers serait une horloge parfaite et
que la divinité des chrétiens en serait
l'horloger. Non, le cosmos n'est pas une
horloge bien réglée, oui, le chaos règne
à l'échelle de la géopolitique
contemporaine, oui, la candeur n'est pas
à l'échelle de la géopolitique
d'aujourd'hui, non, la lucidité de
demain n'est pas à la portée de nos
petits évangélisateurs, oui,
l'apprentissage de la pensée et de la
réflexion politique est encore à venir.
En
attendant, le rêve d'une Europe
subrepticement théologisée par l'OTAN
demeure le roi de la "servitude
volontaire" de l'Europe
d'aujourd'hui.
5 - Les
journalistes, porte-paroles de l'OTAN
Par
quelle usurpation d'identité la classe
des journalistes est-elle parvenue à se
substituer à l'ancienne intelligentsia
au sein des démocraties modernes? Pour
le comprendre, il faut remonter au génie
d'Anatole France, à une époque où la
presse était déjà devenue un tremplin
social, mais où il lui manquait encore
la caution d'un grand écrivain.
Or,
l'auteur de Thais et du
Lys rouge n'a pas été élu à
l'Académie française pour avoir publié
une œuvre littéraire remarquable, mais
pour avoir accepté d'assumer la fonction
de critique littéraire du journal
Le Temps. Il n'y a pas seulement
apporté son immense documentation
d'historien de la littérature, mais le
talent d'une écriture dont la
délicatesse confinait au raffinement.
C'est Anatole France qui a porté le
génie critique à la température d'un
genre littéraire nouveau.
Puis
sa maîtresse, Mme Arman de Caillavet,
avait tenu, à la Villa Saïd, un salon
qui a joué, dans le vie littéraire de
son temps, un rôle équivalent à celui du
salon de Mme de Rambouillet au XVIIe
siècle et des grands médias de la presse
écrite, des radios et de la télévision
d'aujourd'hui. C'est l'illustre caution
d'Anatole France qui, près d'un siècle
plus tard, conduira de simples
journalistes et des chroniqueurs de
médias audiovisuels - Michel Droit,
Pierre-Henri Simon, Jean-Marie ROUART,
Joseph Kessel, Bertrand Poirot Delpech,
André Frossart, Alain Decaux, Angelo
Rinaldi, Jean-François Revel ou Alain
Finkielkraut - à siéger quai Conti.
A
l'origine, le journaliste était un
citadin et, à ce titre, il s'inscrivait
dans la tradition de Voltaire, face aux
défenseurs du monde champêtre
qu'illustrera Rousseau. Puis, peu à peu,
les journalistes sont devenus des
défenseurs camouflés de l'orthodoxie
politique des maîtres du moment.
De nos
jours, les hommes politiques interviewés
par un journaliste sont les otages du
questionneur pointilleux et souvent
agressif, chargé de vérifier leur
conformité à la doxa officielle. Les
journalistes de ce type ne savent ni sur
quel axe notre astéroïde pivote, ni dans
quelle direction il court.
C'est
à ce type de satrapisme d'un journalisme
dégénéré que M. François Fillon a
commencé de s'attaquer de front.
Le 2
décembre 2016
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