Monde
Brève histoire de l'OTAN de 1991 à nos
jours (3)
Manlio Dinucci
Lundi 16 octobre 2017
LE CONTOURNEMENT DE L’ARTICLE 5 ET LA
CONFIRMATION DU LEADERSHIP USA
Alors qu’est en cours la guerre
contre la Yougoslavie, est convoqué à
Washington, les 23-25 avril 1999, le
sommet qui officialise la transformation
de l’Otan en « une nouvelle Alliance
plus grande, plus flexible, capable
d’entreprendre de nouvelles missions, y
compris les opérations de réponse aux
crises ».
D’une alliance qui, sur la base de l’article 5 du Traité du 4 avril
1949, engage les pays membres à assister
même avec la force armée le pays membre
qui serait attaqué dans l’aire
nord-atlantique, elle est transformée en
alliance qui, sur la base du « nouveau
concept stratégique », engage
aussi les pays membres à « conduire des
opérations de riposte aux crises non
prévues par l’article 5, en dehors du
territoire de l’Alliance ».
Pour éviter tout équivoque, le président démocrate Clinton explique dans
une conférence de presse que les alliés
nord-atlantiques « réaffirment qu’ils
sont prêts à affronter des conflits
régionaux au-delà du territoire de
l’Otan ». A la question de savoir quelle
est l’aire géographique dans laquelle
l’Otan est prête à intervenir, « le
Président se refuse à spécifier à quelle
distance l’Otan entend projeter sa
propre force, en disant que ce n’est pas
une question de géographie ». En
d’autres termes, l’Otan entend projeter
sa propre force militaire en-dehors de
ses frontières non seulement en Europe,
mais aussi dans d’autres régions.
Ce qui ne change pas, dans la mutation de l’Otan, est la hiérarchie
à l’intérieur de l’Alliance. La Maison
Blanche dit en toutes lettres que « nous
maintiendrons en Europe environ 100
mille militaires pour contribuer à la
stabilité régionale, soutenir nos liens
transatlantiques vitaux et conserver le
leadership des Etats-Unis dans l’Otan ».
Et c’est toujours le Président des Etats-Unis qui nomme le Commandant
Suprême Allié en Europe, qui est
toujours un général ou amiral étasunien,
et non pas les alliés, qui se bornent à
ratifier le choix. Même chose pour les
autres commandements clé de l’Alliance.
LA SUBORDINATION DE L’UNION EUROPÉENNE À
L’OTAN
Le document qui engage les pays
membres à opérer en-dehors du territoire
de l’Alliance, souscrit par les leaders
européens le 24 avril 1999 à Washington,
rappelle que l’Otan « soutient
pleinement le développement de
l’identité européenne de la défense à
l’intérieur de l’Alliance ». L’idée est
claire : l’Europe occidentale peut avoir
son « identité de la défense », mais
elle doit rester à l’intérieur de
l’Alliance, c’est-à-dire sous
commandement USA.
Ainsi est confirmée et consolidée la subordination de l’Union
européenne à l’Otan. Le Traité de
Maastricht de 1992 établit, à l’article
42, que « l’Union respecte les
obligations de certains Etats membres,
lesquels estiment que leur défense
commune se réalise par l’intermédiaire
de l’Otan, dans le cadre du Traité de
l’Atlantique Nord ». Celui-ci stipule, à
l’article 8, que chaque Etat membre
« assume l'obligation de ne souscrire
aucun engagement international en
contradiction avec le Traité ».
Et dans une confirmation ultérieure de ce qu’est le rapport Otan-Ue,
le protocole n° 10 sur la coopération
instituée par l’article 42 souligne que
l’Otan « reste le fondement de la
défense » de l’Union européenne.
L’ADOPTION PAR L’ITALIE D’UN « NOUVEAU
MODÈLE DE DÉFENSE » QUI VIOLE L’ARTICLE
11 DE SA CONSTITUTION
En participant avec ses bases et
ses forces armées à la guerre contre la
Yougoslavie, pays qui n’avait accompli
aucune action agressive ni contre
l’Italie ni contre d’autres membres de
l’Otan, et en s’engageant à conduire des
opérations non prévues par l’article 5
en-dehors du territoire de l’Alliance,
l’Italie confirme avoir adopté une
nouvelle politique militaire et,
simultanément, une nouvelle politique
étrangère. Celle-ci, en utilisant comme
instrument la force militaire, viole le
principe constitutionnel, affirmé par
l’Article 11, que «l’Italie répudie la
guerre en tant qu’instrument d’atteinte
à la liberté des autres
peuples et comme mode de solution des
conflits internationaux ».
C’est le « nouveau modèle de défense » adopté par l’Italie, dans le
sillage de la réorientation stratégique
étasunienne, quand, avec le sixième
gouvernement Andreotti, elle participe à
la guerre du Golfe : les Tornado de
l’aéronautique italienne effectuent 226
sorties pour un total de 589 heures de
vol, bombardant les objectifs indiqués
par le commandement étasunien. C’est la
première guerre à laquelle participe la
République italienne, en violant
l’Article 11, un des principaux
fondements de sa propre Constitution.
Immédiatement après la guerre du Golfe, pendant le septième
gouvernement Andreotti, le Ministère de
la défense publie, en octobre 1991, le
rapport Modèle de défense / Lignes de
développement des Forces Armées dans les
années 90. Le document re-configure
le positionnement géostratégique de
l’Italie, en la définissant comme
« élément central de l’aire
géostratégique qui s’étend de façon
unitaire du Détroit de Gibraltar jusqu’à
la Mer Noire, en se reliant, à travers
Suez, avec la Mer Rouge, la Corne
d’Afrique et le Golfe Persique ». Etant
donné la « significative vulnérabilité
stratégique de l’Italie » surtout pour
l’approvisionnement pétrolifère, « les
objectifs permanents de la politique de
sécurité italienne se configurent dans
la protection des intérêts nationaux,
dans la plus vaste acception de ces
termes, partout où c’est nécessaire »,
en particulier de ces intérêts qui «ont
une incidence directe sur le système
économique et sur le développement du
système productif, en tant que condition
indispensable pour la conservation et le
progrès de l’actuelle organisation
politique et sociale de la nation ».
En 1993 -pendant que l’Italie est en train de participer à
l’opération militaire lancée par les USA
en Somalie, et qu’au gouvernement Amato
succède celui de Ciampi- l’Etat-major de
la défense déclare qu’« il faut être
prêts à se projeter à longue distance »
pour défendre partout les « intérêts
vitaux », afin de « garantir le progrès
et le bien-être national en conservant
la disponibilité des sources et voies
d’approvisionnement des produits
énergétiques et stratégiques ».
En 1995, pendant le gouvernement Dini, l’état-major de la défense
fait un nouveau pas en avant, en
affirmant que « la fonction des forces
armées transcende le strict cadre
militaire pour se hausser aussi à la
mesure du statut et du rôle du
pays dans le contexte international ».
En 1996, pendant le gouvernement Prodi, ce concept va être développé dans
la 47ème session du Centre
des hautes études de la défense. « La
politique de la défense -affirme le
général Angioni- devient un instrument
de la politique de la sécurité et, donc,
de la politique extérieure ».
Cette politique anti-constitutionnelle, introduite par des
décisions apparemment techniques, se
trouve de fait institutionnalisée en
passant au-dessus d’un parlement qui,
dans sa très grande majorité, s’en
désintéresse ou ne sait même pas
précisément ce qui est en train
d’advenir.
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2
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