Il Manifesto
Iran dénucléarisé, Italie nucléarisée
Manlio Dinucci
Jeudi 16 juillet 2015
« Aujourd’hui est une journée historique
et c’est un grand honneur pour nous
d’annoncer que nous avons atteint un
accord sur la solution nucléaire
iranienne, pour rendre le monde plus
sûr » : c’est ce qu’a déclaré à Vienne
Federica Mogherini, Haute représentante
de l’Union européenne pour les affaires
étrangères et la politique de sécurité.
Presque au même moment arrivait des
Etats-Unis une autre annonce : « La US
Air Force et la Nnsa (National Nuclear
Security Administration) ont terminé,
dans le polygone de Tonopah au Nevada,
le premier test en vol de la bombe
nucléaire B61-12 ». Celle qui sous peu
remplacera la B61, la bombe nucléaire
étasunienne stockée à Aviano et à Ghedi
Torre dans un nombre estimé à 70-90,
partie d’un arsenal d’au moins 200
stockées aussi en Allemagne, Belgique,
Hollande et Turquie.
La réussite du test « prouve l’engagement continu des Etats-Unis à
garder la B61 » communique la Nnsa. Elle
spécifie ainsi que « la B6-12, dotée
d’une section de queue, remplacera les
bombes B61–3, -4, -7 et -10 dans
l’arsenal nucléaire actuel USA ». Se
trouve ainsi confirmé officiellement que
la B 61 sera transformée de bombe à
chute libre en bombe « intelligente »,
qui pourra être larguée à grande
distance de l’objectif. La B61-12 à
guidage de précision, dont le coût est
prévu dans les 8-12 milliards de dollars
pour 400-500 bombes, se configure comme
une arme polyvalente, avec une puissance
moyenne de 50 kilotonnes (à peu près
quatre fois la bombe de Hiroshima). Elle
remplira la fonction de plusieurs
bombes, y compris celles projetées pour
« décapiter » le pays ennemi, en
détruisant les bunkers des centres de
commandement et autres structures
souterraines dans un first strike nucléaire ».
Le remplacement de la B61 par la B61-12, annonce la Nnsa, « fournit
une sécurité à nos alliés ». Comme le
démontre le fait qu’à Aviano et Ghedi
les bombes nucléaires sont gardées dans
des hangars spéciaux avec les chasseurs
prêts à l’attaque nucléaire : F-15 et
F-16 étasuniens, et Tornado italiens,
dont les pilotes sont entraînés à
l’attaque nucléaire. En Italie, en 2013
et 2014, s’est déroulée la Steadfast
Noon (Midi résolu), l’exercice Otan de
guerre nucléaire, auquel l’an dernier
ont participé aussi des F-16 polonais.
De cette façon l’Italie viole le Traité
de non-prolifération qui, à l’article 2,
stipule : « Chacun des Etats
militairement non-nucléaires, s’engage à
ne pas recevoir de qui que ce soit des
armes nucléaires ou autres engins
nucléaires explosifs, ni le contrôle sur
de telles armes et engins explosifs,
directement ou indirectement ».
La modernisation des armes nucléaires étasuniennes déployées en Europe
entre dans la croissante course aux
armements nucléaires. Selon la
Fédération des scientifiques américains,
les USA gardent 1.920 têtes nucléaires
stratégiques prêtes au lancement (sur un
total 7.300), face aux 1.600 russes (sur
8.000). Avec celles françaises et
britanniques, les forces nucléaires de
l’Otan disposent d’environ 8.000 têtes
nucléaires, dont 2.370 prêtes au
lancement. En ajoutant les chinoises,
pakistanaises, indiennes, israéliennes
et nord-coréennes, le nombre total des
têtes nucléaires est estimé à 16 300,
dont 4.350 prêtes au lancement. Et la
course aux armements nucléaires se
poursuit avec la modernisation continue
des arsenaux. De ce fait l’aiguille de
l’« Horloge de l’apocalypse », le
pointeur symbolique qui sur le Bulletin
of the Atomic Scientists indique à
combien de minutes nous sommes du minuit
de la guerre nucléaire, a été déplacé de
moins 5 en 2012 à moins 3 en 2015, au
même niveau qu’en 1984 en plein guerre
froide.
Le risque est particulièrement haut qu’un jour puissent être utilisées
des armes nucléaires au Moyen-Orient, où
le seul pays qui les possède est Israël
qui, à la différence de l’Iran, n’adhère
pas au Traité de non-prolifération.
Selon les estimations, les forces armées
israéliennes possèdent 100-400 têtes
nucléaires, y compris bombes H, avec une
puissance équivalente à presque 4mille
bombes d’Hiroshima. Les vecteurs
comprennent plus de 300 chasseurs
étasuniens F-16 et F-15, armés aussi de
missiles israélo-étasuniens Popeye à
tête nucléaire, et environ 50 missiles
balistiques Jericho II sur rampes de
lancement mobiles. Israël possède en
outre 4 sous-marins Dolphin, modifiés
pour l’attaque nucléaire, fournis par
l’Allemagne, qui en septembre dernier a
remis le quatrième des six prévus. En
outre les Etats-Unis ont signé des
accords pour la fourniture à l’Arabie
Saoudite, Bahreïn et Emirats arabes de
technologies nucléaires et matériau
fissile avec lesquels ils peuvent se
doter d’armes nucléaires. L’Arabie
Saoudite a officiellement déclaré (The
Independent, 30 mars 2015) qu’elle
n’exclut pas de construire ou acheter
des armes nucléaires, avec l’aide du
Pakistan dont elle finance 60% du
programme nucléaire militaire.
Sur ce fond ce qui a eu lieu à Vienne apparaît comme une tragique
comédie napolitaine. Tandis qu’on braque
les projecteurs sur l’Iran, qui ne
possède pas d’armes nucléaires et dont
le programme nucléaire civil est
vérifiable, on laisse dans l’ombre la
dramatique réalité de la course aux
armements nucléaires pour convaincre
l’opinion publique que, avec l’accord
iranien, « notre monde est plus sûr ».
Edition de jeudi 16 juillet 2015 de
il manifesto
http://ilmanifesto.info/o-k-per-logiva-nucleare-b61-12-andra-ad-aviano/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
La deuxième partie
de cet article a en partie été publiée
le 4 avril dans la rubrique Le monde
"plus sûr" assis sur la bombe
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