Opinion
Missiles USA en Roumanie :
l’Europe sur le front nucléaire
Manlio Dinucci
Dimanche 15 mai 2016
Dans la rencontre avec les
gouvernants de Suède, Danemark,
Finlande, Islande et Norvège, le 13 mai
à Washington, le président Obama a
dénoncé «la présence croissante et la
posture militaire agressive de la Russie
dans la région baltique/nordique », en
réaffirmant l’engagement des Etats-Unis
pour la « défense collective de
l’Europe ». Engagement démontré par les
faits la veille exactement, quand à la
base aérienne de Deveselu en Roumanie a
été inaugurée la « Aegis Ashore »,
installation terrestre du système de
missiles Aegis des Etats-Unis.
Le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg -présent à la
cérémonie avec le vice-secrétaire
étasunien à la Défense Robert Work et le
premier ministre roumain Dacian Ciolos-
a remercié les Etats-Unis parce qu’avec
une telle installation, « la première de
son genre avec une base à terre », ils
accroissent notablement la capacité de
« défendre les alliés européens contre
des missiles balistiques de l’extérieur
de l’aire euro-atlantique ». Il a
ensuite annoncé le début des travaux
pour réaliser en Pologne une autre « Aegis
Ashore », analogue à celle qui vient
d’entrer en fonction en Roumanie. Les
deux installations terrestres s’ajoutent
à quatre navires lance-missiles du
système Aegis qui, déployés par l’US
Navy dans la base espagnole de Rota,
croisent en Méditerranée, Mer Noire et
Mer Baltique ; ainsi qu’à un puissant
radar Aegis installé enTurquie et à un
centre de commandement en Allemagne.
Affirmant que « notre programme de défense de missiles représente un
investissement à long terme contre une
menace à long terme », le secrétaire
général de l’Otan assure que « ce site
en Roumanie, comme celui en Pologne,
n’est pas dirigé contre la Russie ». Il
fournit ensuite une explication
technique : la base en Roumanie, qui
« utilise une technologie presque
identique à celle utilisée sur les
navires Aegis de l’US Navy », est située
« trop près de la Russie pour pouvoir
intercepter les missiles balistiques
intercontinentaux russes ».
Quelle est la technologie à laquelle se réfère Stoltenberg ? Aussi bien
les navires que les installations
terrestres Aegis sont dotés de lanceurs
verticaux Mk41 de Lockheed Martin,
c’est-à-dire des tubes verticaux (dans
le corps du navire ou dans un bunker
souterrain) d’où sont lancés les
missiles intercepteurs SM-3. C’est ce
qui est appelé « bouclier », dont la
fonction est en réalité offensive. Si
les USA réussissaient à réaliser un
système fiable capable d’intercepter les
missiles balistiques, ils pourraient
tenir la Russie sous la menace d’une
first strike nucléaire, en se fiant
à la capacité du « bouclier » de
neutraliser les effets de représailles.
En réalité cela est impossible au stade
actuel, parce que la Russie et même la
Chine sont en train d’adopter une série
de contre-mesures, qui rendent
impossibles d’intercepter toutes les
têtes nucléaires d’une attaque de
missiles. A quoi sert alors le système
Aegis basé en Europe, que les USA sont
en train de potentialiser ?
C’est la firme Lockheed Martin elle-même qui nous l’explique. En
illustrant les caractéristiques
techniques du système de lancement
vertical Mk 41 -celui qui est installé
sur les navires lance-missiles Aegis et
maintenant aussi dans la base de
Deveselu- elle souligne qu’il est en
mesure de lancer « des missiles pour
toutes les missions : anti-aériennes,
anti-navire, anti-sous-marin et
d’attaque contre des objectifs
terrestres ». Chaque tube de lancement
est adaptable à n’importe quel missile,
y compris « ceux plus grands pour la
défense contre les missiles balistiques
et ceux pour l’attaque à longue
portée ». On spécifie aussi les types :
« le Standard Missile 3 (SM-3) et le
missile de croisière Tomahawk ».
A la lumière de cette explication technique, la précision apportée par
Stoltenberg, à savoir que l’installation
de missiles de Deveselu est déployée
« trop près de la Russie pour pouvoir
intercepter les missiles balistiques
intercontinentaux russes », est tout
sauf rassurante. Personne ne peut en
effet savoir quels missiles il y a
réellement dans les lanceurs verticaux
de la base de Deveselu et dans ceux qui
sont à bord des navires qui croisent à
la limite des eaux territoriales russes.
Ne pouvant pas contrôler, Moscou tient
pour sûr qu’il y ait aussi des missiles
d’attaque nucléaire.
L’inauguration de l’installation missilistique étasunienne à Deveselu
peut signer la fin du Traité sur les
forces nucléaires intermédiaires qui,
signé par les USA et l’URSS en 1987,
permit d’éliminer les missiles de bases
à terre et de portée comprise entre 500
et 5500 km : les SS-20 basés en URSS,
les Pershing 2 et les Tomahawk
étasuniens déployés en Allemagne et
Italie.
L’Europe revient ainsi à un climat de guerre froide, tout à l’avantage
des Etats-Unis qui peuvent ainsi
accroître leur influence sur les alliés
européens. Ce n’est pas un hasard si
dans la rencontre à Washington, Obama a
mis en évidence le consensus européen
pour le maintien des sanctions contre la
Russie, en faisant les louanges
notamment de « Danemark, Finlande et
Suède qui, comme membres de l’Ue,
soutiennent fortement le Ttip, traité
que je réaffirme vouloir conclure avant
la fin de l’année ».
Dans les lanceurs verticaux de Lokheed il y a aussi le missile Ttip.
Edition de dimanche 15 mai 2016 de
il manifesto
http://ilmanifesto.info/scudo-e-missili-usa-in-romania-e-polonia/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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