L'art de la guerre
USA - Corée du Nord
Manlio Dinucci
Mardi 5 janvier 2016
Deux articles de
Manlio Dinucci sur la "crise" dénoncée
par Washington en Corée du Nord.
La lecture en perspective de ces deux
articles (le premier du 5 février
2003 et le second d'aujourd'hui, 8
janvier 2016) permet de localiser la
provenance persistante du véritable
danger de guerre nucléaire.
m-a
Documents
USA/Corée du Nord
Manlio
Dinucci
5 février 2003
« Donald H.
Rumsfeld se méfie de
la Corée
du Nord », indique la légende de la
photo publiée hier (5 février 2003) par
The New York Times avec l’article
dans lequel on annonce que « le
secrétaire à la défense a mis en état
d’alerte 24 bombardiers à longue portée
pour un possible déploiement à distance
de tir de
la Corée
du Nord ». Ceci dans le but d’empêcher
que la Corée du Nord ne profite du
« moment où Washington est concentré sur
l’Irak », pour accélérer son programme
nucléaire : Pyongyang -informe la Cia- a essayé de construire des armes nucléaires
en se procurant des technologies et des
installations à utiliser en apparence à
des fins civiles, en réalité à des fins
militaires. En même temps, l’ordre de
Rumsfeld d’activer les bombardiers
stratégiques sert à « donner au
Président des options militaires si la
diplomatie n’arrive pas à bloquer
l’effort de la Corée du Nord de produire des
armes nucléaires ». Ils avaient donc
raison les fonctionnaires du Pentagone
quand, le 1er février, ils ont déclaré
au Los Angeles Times que « le
secrétaire à la défense Donald Rumsfeld,
même s’il est en train de préparer une
possible guerre contre l’Irak, est
plongé dans la crise nord-coréenne ». En
effet, Donald Rumsfeld y est plongé plus
qu’on ne le croit.
L’histoire commence quand -après avoir été secrétaire à la défense
dans l’administration Ford en 1975-77
et, en 1983-84, conseiller du président
Reagan pour les systèmes stratégiques
nucléaires et envoyé pour le
Moyen-Orient— Donald Rumsfeld entre en
1996 au conseil d’administration de la
firme ABB (Asea Brown Boveri) Ltd.,
groupe leader dans les technologies pour
la production énergétique et
l’automatisation, avec quartier général
en Suisse et filiales dans plus de 100
pays en Europe, Asie, Moyen-Orient,
Afrique et Amériques. L’appartenance de
Rumsfeld au conseil d’administration
d’ABB résulte de la biographie
officielle publiée par l’Otan et du
communiqué officiel d’ABB (Election
of ABB Board members and Chairman of the
Board, Zurich, 28 février 1996), où
l’on annonce que Rumsfeld a assumé la
charge prestigieuse de secrétaire
étasunien à la défense.
Moins de trois mois après que l’ex secrétaire à la défense est entré au
conseil d’administration d’ABB, le
département étasunien à l’énergie (Doe)
annonce, le 16 mai 1996, avoir
« autorisé ABB Combustion Engineering
Nuclear Systems (C-E), une associée
entièrement contrôlée par ABB Inc. basée
dans le Connecticut, à fournir une vaste
gamme de technologies, équipements et
services pour la projection,
construction, gestion opérationnelle et
entretien de deux réacteurs qui doivent
être construits en Corée du Nord » (DOE
Approves U.S. Involvement in the
Construction of Reactors in North Korea,
16 mai 1996).
Même s’il s’agit de deux réacteurs civils à « eau légère » (light
water) le département étasunien de
l’énergie -responsable non seulement du
nucléaire civil, mais aussi de la
production d’armes nucléaires- sait que
ces réacteurs peuvent être utilisés
aussi à des fins militaires : des
réacteurs thermiques de cette catégorie,
qui fonctionnent à uranium enrichi à
4-5%, produisent du plutonium utilisable
pour la construction d’armes nucléaires.
En outre les connaissances et
technologies fournies peuvent elles
aussi être utiles pour le développement
d’un programme nucléaire militaire.
Tout cela Donald Rumsfeld aussi le sait, ayant été secrétaire à la
défense et conseiller du président pour
les systèmes stratégiques nucléaires.
Malgré cela, il exerce certainement son
influence pour faire avoir à ABB
l’autorisation officielle étasunienne de
fournir des technologies nucléaires à la Corée du Nord, bien que
celle-ci soit soupçonnée de posséder un
programme nucléaire militaire.
ABB peut ainsi stipuler en 2000 avec la Corée du Nord deux gros contrats, d’une valeur de
200 millions de dollars, pour la
«projection, construction et fourniture
de composants pour deux réacteurs
nucléaires de 1000 mégawatts» (ABB to
deliver systems, equipment to North
Korean nuclear plants, Zurich, 20
janvier 2000). Au moment de ce contrat,
Rumsfeld est encore au conseil
d’administration d’ABB, dont il
démissionne quand il prend la charge de
secrétaire à la défense dans
l’administration Bush, qui prend
fonction le 20 janvier 2001. Sa
démission est communiqué par ABB environ
un mois plus tard (ABB announces
proposed Board, share split, Zurich,
19 février 2001).
Maintenant ce même Rumsfeld met en alerte les bombardiers contre la Corée du Nord, accusée
d’utiliser les réacteurs et le matériel
fissile pour construire des armes
nucléaires. L’état d’alerte, a déclaré
le Pentagone, a été décidé à la veille
de la session d’urgence de l’Agence
internationale pour l’énergie atomique,
qui le 12 février (2003) mettra en
accusation la Corée du Nord pour violation du Traité de
non-prolifération nucléaire. S’ouvre
ainsi, tandis qu’on est en train de
préparer la guerre en Irak, la crise
d’où pourrait dériver la guerre
suivante. En attendant, le déploiement
possible de 12 B-52 et 12 B-51,
bombardiers stratégiques à double
capacité nucléaire et conventionnelle,
sur l’île de Diego Garcia dans l’Océan
Indien où sont en train de se transférer
les bombardiers B-2 Spirit pour
l’attaque contre l’Irak, permet au
Pentagone non seulement de menacer la Corée du Nord, mais
d’accroître la force aérienne à utiliser
contre l’Irak. Ce même Irak que le même
Donald Rumsfeld aida efficacement dans
la guerre contre l’Iran, quand en
1983-84 il assumait la charge d’envoyé
spécial du président Reagan au
Moyen-Orient (il manifesto, 20
août 2002).
C’est une de ses spécialisations, celle de d’abord aider les «Etats
voyous » pour les attaquer
ensuite.
Edition du 5
février 2003 de il manifesto
Traduit de l’italien par
Marie-Ange Patrizio
Technologie USA dans la bombe
nord-coréenne
Manlio Dinucci
8 janvier 2016
Après l’annonce par Pyongyang
d’avoir effectué le test souterrain
d’une bombe nucléaire à l’hydrogène, le
président Obama, tout en mettant en
doute qu’il s’agisse vraiment d’une
bombe à l’hydrogène, demande « une
réponse internationale forte et unitaire
au comportement inconscient de la Corée
du Nord ». Il oublie cependant que ce
sont justement les USA qui ont fourni à
la Corée du Nord les plus importantes
technologies pour la production d’armes
nucléaires. Nous le documentâmes sur
il manifesto il y a 13 ans (5
février 2003).
L’histoire commence quand -après avoir été secrétaire à la défense
dans l’administration Ford dans les
années 70 et, dans les années 80,
conseiller du président Reagan pour les
systèmes stratégiques nucléaires- Donald
Rumsfeld entre en 1996 au conseil
d’administration de la firme ABB (Asea
Brown Boveri), groupe leader dans les
technologies pour la production
énergétique. Rumsfeld exerce
immédiatement son influence pour faire
avoir à ABB l’autorisation par
Washington de fournir des technologies
nucléaires à la Corée du Nord, bien que
celle-ci ait déjà un programme nucléaire
militaire. Moins de trois mois plus
tard, le 16 mai 1996, le département
étasunien de l’énergie annonce avoir
« autorisé ABB Combustion Engineering
Nuclear Systems, une associée
entièrement contrôlée par ABB, à fournir
une vaste gamme de technologies,
équipements et services pour la
projection, construction, gestion
opérationnelle et entretien de deux
réacteurs en Corée du Nord ». Le
Département étasunien de l’énergie
-responsable non seulement du nucléaire
civil, mais aussi de la production
d’armes nucléaires- sait que ces
réacteurs peuvent être utilisés aussi à
des fins militaires, et que les
connaissances et technologies fournies
peuvent elles aussi être utilisées pour
un programme nucléaire militaire. ABB
peut ainsi stipuler en 2000 avec la
Corée du Nord deux gros contrats pour la
« fourniture de composants nucléaires ».
A ce moment-là Rumsfeld est encore au
conseil d’administration d’ABB, dont il
démissionne en janvier 2001, quand il
prend la charge de secrétaire à la
défense dans l’administration Bush.
En 2003, la Corée du Nord annonce son retrait du Traité de
non-prolifération (Tnp), auquel il avait
adhéré en 1985. Les « «entretiens à
six » (USA, Russie, Chine, Japon, Corée
du Nord, Corée du Sud) pour son retour
dans le Tnp, immédiatement lancés,
s’interrompent en 2006 quand la Corée du
Nord effectue le premier de ses quatre
tests nucléaires. Ils reprennent
ensuite, mais s’interrompent de nouveau
en 2009. La responsabilité n’en incombe
pas seulement à Pyongyang. Comme le
Traité de non-prolifération continue à
être violé avant tout par les
Etats-Unis, premiers signataires, à
Pyongyang on en est arrivé à la
conclusion nue et crue qu’il vaut mieux
avoir des armes nucléaires que ne pas en
avoir.
Le Tnp oblige les Etats dotés d’armes nucléaires à ne pas les
transférer à d’autres (Article 1),
et les Etats ne possédant pas d’armes
nucléaires à ne pas en recevoir (Article
2). Il oblige, en même temps, tous les
Etats signataires, à commencer par ceux
qui ont des armes nucléaires, à adopter
« des mesures efficientes pour le
cessation de la course aux armements
nucléaires et le désarmement nucléaire »
jusqu’à « un Traité qui établisse le
désarmement général et complet »
(Article 6). Il oblige en outre tous les
Etats signataires à « renoncer, dans
leurs relations internationales, à
l’usage de la force contre l’intégrité
territoriale ou l’indépendance politique
de tout Etat » (préambule).
L’exemple de la façon dont on doit opérer pour le désarmement nucléaire
est donné surtout par les Etats-Unis.
Ils ont lancé un plan, d’un coût de 1000
milliards de dollars, pour potentialiser
leurs forces nucléaires avec 12
sous-marins d’attaque supplémentaires,
chacun armé de 200 têtes nucléaires, et
100 bombardiers stratégiques
supplémentaires, chacun armé de plus de
20 têtes nucléaires. Simultanément,
violant le Tnp, ils sont sur le point de
stocker dans cinq pays Otan -quatre
européens plus la Turquie, qui violent
eux aussi le Tnp- environ 200 nouvelles
bombes nucléaires B61-12, dont environ
70 en Italie avec une puissance
équivalente à celle de 300 bombes
d’Hiroshima. Les forces nucléaires
USA/Otan, y compris françaises et
britanniques, disposent d’environ 8000
têtes nucléaires, dont 2370 prêtes au
lancement, face à autant de russes, dont
1600 prêtes au lancement. En
ajoutant celles chinoises,
pakistanaises, indiennes, israéliennes
et nord-coréennes, le nombre total des
têtes nucléaires se trouve estimé à
16300, dont 4350 prêtes au lancement. Et
la course aux armements nucléaires
continue surtout avec la modernisation
des arsenaux.
La façon dont on doit « renoncer à l’usage de la force contre
l’intégrité territoriale ou
l’indépendance politique de tout Etat »
nous est démontrée encore par les
Etats-Unis et l’Otan. Avec la première
guerre contre l’Irak en 1991, la
Yougoslavie en 1999, l’Afghanistan en
2001, l’Irak en 2003, la Libye en 2011,
la Syrie depuis 2013. Et en 2014 avec le
coup d’état en Ukraine, fonctionnel à la
nouvelle guerre froide et à la relance
de la course aux armements nucléaires.
De ce fait l’aiguille de l’ « Horloge de l’apocalypse », le pointeur
symbolique qui sur le « Bulletin of the
Atomics Scientists » indique à combien
de minutes nous sommes de la minuit de
la guerre nucléaire, a été déplacé de
minuit moins 5 en 2012 à minuit moins 3
en 2015.
Ceci non pas tant à cause du
« comportement inconscient » de
Pyongyang, que du « comportement
conscient » de Washington.
Edition de vendredi 8 janvier 2016
de il manifesto
http://ilmanifesto.info/tecnologia-usa-nella-bomba-di-kim/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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