L'art de la guerre
Les prédateurs de la Libye
Manlio Dinucci
Mardi 5 avril 2016
« La Libye doit redevenir un pays
stable et solide », twitte depuis
Washington le premier ministre Renzi, en
assurant son plus grand soutien au
« premier ministre Sarraj, enfin à
Tripoli ».
Ceux qui y pensent à Washington, Paris, Londres et Rome sont les mêmes
qui, après avoir déstabilisé et mis en
pièces par la guerre l’Etat libyen, vont
recueillir les débris avec la « mission
d’assistance internationale à la
Libye ».
L’idée qu’ils ont transparaît à travers des voix autorisées. Paolo
Scaroni[1],
qui à la tête de l’ENI a manoeuvré en
Libye entre factions et mercenaires et
se trouve aujourd’hui à la
vice-présidence de la Banque Rotschild,
déclare au Corriere della Sera
qu’ « il faut en finir avec la fiction
de la Libye », « pays inventé » par le
colonialisme italien. Il faut
« favoriser la naissance d’un
gouvernement en Tripolitaine, qui fasse
appel à des forces étrangères qui
l’aident à rester debout », en poussant
la Cyrénaïque et le Fezzan à créer leurs
propres gouvernements régionaux,
éventuellement avec l’objectif de se
fédérer à long terme. En attendant,
« chacun gèrerait ses sources
énergétiques », présentes en
Tripolitaine et Cyrénaïque. Analogue
l’idée exposée sur Avvenire par
Ernesto Preziosi, député Pd de mouvance
catholique : « Former une Union libyenne
de trois Etats -Cyrénaïque, Tripolitaine
et Fezzan- qui ont en commun la
Communauté du pétrole et du gaz »,
soutenue par « une force militaire
européenne ad hoc ».
C’est la vieille politique du colonialisme du 19ème siècle, remise à jour
en fonction néo-coloniale par la
stratégie USA/Otan, qui a démoli
d’entiers Etats nationaux (Yougoslavie,
Libye) et fractionné (ou tenté de
fractionner) certains autres (Irak,
Syrie), pour contrôler leurs territoires
et leurs ressources.
La Libye possède quasiment 40% du pétrole africain, précieux pour sa
haute qualité et son faible coût
d’extraction, et de grosses réserves de
gaz naturel, dont l’exploitation peut
rapporter aujourd’hui aux
multinationales étasuniennes et
européennes des profits bien plus élevés
que ceux qu’elles obtenaient de l’Etat
libyen. De plus, en éliminant l’Etat
national et en traitant séparément avec
des groupes au pouvoir en Tripolitaine
et Cyrénaïque, elles peuvent obtenir la
privatisation des réserves énergétiques
publiques et donc leur contrôle direct.
En plus de l’or noir, les multinationales étasuniennes et européennes
veulent s’approprier l’or blanc :
l’immense réserve d’eau fossile de la
nappe phréatique nubienne, qui s’étend
sous la Libye, l’Egypte, le Soudan et le
Tchad. Les possibilités qu’offre
celle-ci avaient été démontrées par
l’Etat libyen, en construisant des
aqueducs qui transportaient de l’eau
potable et pour l’irrigation, millions
de mètres cubes par jour extraits de
1300 puits dans le désert, sur 1600 Km
jusqu’aux villes côtières, rendant
fertiles des terres désertiques.
En débarquant en Libye sous le prétexte officiel de l’assister et de la
libérer de la présence de l’Isis (Daech),
les USA et les plus grandes puissances
européennes peuvent aussi ré-ouvrir
leurs bases militaires, fermées par
Kadhafi en 1970, dans une position
géostratégique importante à
l’intersection entre Méditerranée,
Afrique et Moyen-Orient.
Enfin, avec la « mission d’assistance à la Libye », les USA et les
plus grandes puissances européennes se
partagent le butin de la plus grande
rapine du siècle : 150 milliards de
dollars des fonds souverains libyens
confisqués en 2011, qui pourraient se
quadrupler si l’export énergétique
libyen revenait aux niveaux précédents.
Les fonds souverains, investis à
l’époque de Kadhafi pour créer une
monnaie et des organismes financiers
autonomes pour l’Union Africaine (raison
pour laquelle il fut décider d’abattre
Kadhafi, comme il résulte des emails de
la Clinton), seront utilisés pour
démanteler ce qui reste de l’Etat
libyen. Etat qui n’a « jamais existé »
parce qu’en Libye il n’y avait qu’une
« multitude de tribus », déclare Giorgio
Napolitano, persuadé d’être au Sénat du
Royaume d’Italie.
Edition de mardi 5 avril 2016 de
il manifesto
http://ilmanifesto.info/i-predatori-della-libia/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
[1]
Paolo Scaroni est un des plus
grands aficionados
italiens du Groupe Bilderberg.
Artisan au cours de ses deux
mandats à la tête de l’ENI de sa
privatisation (partielle pour le
moment), il est en 2011 au
troisième rang des managers de
sociétés italiennes cotées en
bourse avec un salaire annuel de
6,4 millions d’euros. Voir Le
Groupe Bilderberg, de
Domenico Moro, Editions Delga,
2014, p. 180, 201, 203 et 205.
NdT.
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