Il Manifesto
Libye, la nouvelle « cause sacro-sainte
»
de Gentiloni
Manlio Dinucci & Tommaso Di Francesco
Jeudi 27 novembre 2014
« L’Italie est-elle en train de
s’équiper pour affronter la guerre qui
se présente à ses portes ? » : Gad
Lerner[1] est allé le demander au
nouveau ministre (italien) des Affaires
étrangères, Paolo Gentiloni[2], « qui
s’est formé dans la culture du pacifisme
et du désarmement, aujourd’hui
dramatiquement remise en question par
l’incendie qui fait rage le long de
toute la rive sud de notre mer, en
commençant par la très proche Libye ».
Dans l’interview (La
Repubblica, 26
novembre), que le ministre des Affaires
étrangères reporte sur son site en lui
donnant un caractère officiel, Gentiloni
rappelle que, face à la crise libyenne
actuelle, « nous ne regrettons certes
pas la chute de Khadafi : l’abattre
était une cause sacro-sainte ». Il
explique ainsi que, comme « la
Libye
représente pour nous un intérêt vital du
fait de sa proximité, du drame des
réfugiés, de l’approvisionnement
énergétique », le gouvernement est en
train de travailler à « une intervention
de peacekeeping, qui verrait
l’Italie engagée en première ligne ». Et
à la question de Lerner « Faut-il revoir
la stratégie du désengagement occidental
dans la lutte contre Isis », il répond :
« C’est un engagement qui retombe
naturellement aussi sur l’Italie, avec
ses huit mille kilomètres de côtes, mais
toute l’Europe est appelée à se charger
d’affronter cette menace ». Il ajoute
ensuite que « nous avons cultivé
l’illusion d’un monde futur tranquille
et pacifié, mais nous savons maintenant
que nous ne pouvons plus déléguer nos
responsabilités aux Américains (Etasuniens,
Ndt), stratégiquement moins
intéressés que nous au destin du
Moyen-Orient ».
Voici en synthèse l’interview
qui, si ce n’était la dramaticité de
l’argument, pourrait apparaître comme un
numéro de comiques. Paolo Gentiloni
(Pd), qui s’est formé selon Lerner dans
la « culture du pacifisme et du
désarmement » - comme on le sait,
en Italie, beaucoup de gens dans leur
jeunesse étaient contre la guerre (même
Benito Mussolini)- est cependant
maintenant un représentant de ce
dispositif politique bipartisan qui,
ayant déchiré l’Article 11 de notre
Constitution (et le traité d’amitié
italo-libyen), a mis à disposition les
bases et les forces aériennes et navales
de l’Italie pour la guerre USA/Otan
contre la Libye en 2011. En sept mois
les chasseurs-bombardiers, décollant en
majorité d’Italie, effectuèrent 30mille
missions, dont 10mille d’attaque, en
utilisant plus de 40mille bombes et
missiles. En même temps étaient
infiltrées en Libye des forces
spéciales : des milliers de commandos
occidentaux et qataris. Et étaient
financés et armés les secteurs tribaux
hostiles au gouvernement de Tripoli
ainsi que des groupes islamistes définis
quelques mois auparavant comme
terroristes. Parmi eux, les premiers
noyaux du futur Isis (Emirat islamique)
–fruit direct de la « sacro-sainte »,
pour Gentiloni, chasse à Khadafi- qui,
après avoir contribué à renverser le
Colonel libyen, sont passés en Syrie
pour renverser Assad. En Syrie où, en
2013, est né l’Isis qui a reçu des
financements, armes et voies de transit,
des plus proches alliés des Etats-Unis
(Arabie Saoudite, Qatar, Koweït, Turquie
et Jordanie) dans un plan coordonné par
Washington (à la barbe du
« désengagement occidental » dont parle
Lerner), en lançant ensuite l’offensive
en Irak. Mais il semble que pour
l’Italie tout se passe comme si ce
désastre n’était jamais arrivé. Cette
Italie même qui a contribué à allumer
« l’incendie » dont parle Lerner, jailli
de la démolition de l’Etat libyen et de
la tentative, non réussie, de démolir
celui de la Syrie : tout cela sur la base
des intérêts économiques et stratégiques
des USA et des plus grandes puissances
européennes, en provoquant des centaines
de milliers de victimes (pour la plupart
civiles) et des millions de réfugiés.
La réplique tragi-comique de
Gentiloni, que les Etats-Unis soient
« stratégiquement moins intéressés que
nous au destin du Moyen-Orient »,
constitue une tentative laborieuse de
cacher la réalité. Le lancement en Libye
d’une opération de peacekeeping
(c’est-à-dire de guerre), avec l’Italie
au premier rang, entre dans les plans de
Washington qui, ne voulant pas engager
de troupes étasuniennes dans une
opération terrestre en Afrique du Nord
(considérée dans la stratégie USA comme
un tout avec le Moyen-Orient), cherche
des alliés disponibles pour le faire et
en payer le prix et les risques. En juin
2013 déjà, dans sa rencontre avec le
Premier ministre Letta pendant le G8, le
président Obama demanda « à l’Italie un
coup de main pour résoudre les tensions
en Libye ». Et Letta, en élève modèle,
sortit du cartable le devoir déjà fait :
« un plan italien pour la Libye ». Celui que le premier
(ministre) Renzi a copié et repropose
maintenant par la bouche de Gentiloni,
promu ministre des Affaires étrangères
grâce aussi aux mérites acquis en tant
que président de la section
Italie/Etats-Unis de l’Union
Interparlementaire[3].
Edition de jeudi 27 novembre 2014 de
il manifesto
http://ilmanifesto.info/sacrosanto-ministro-gentiloni/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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