# LE
SCANDALE DU JOUR/
L'ex-garde des sceaux Urvoas condamné
par la Cour de justice de la République
pour ʽviolation de secretʼ
Luc Michel
Vendredi 4 octobre 2019
Revue de Presse/ 2019 09 30/
Avec AFP – Le Point/
Il est le premier ministre français de
la Justice condamné par la Cour de
justice de la République: Jean-Jacques
Urvoas a été condamné lundi à un mois de
prison avec sursis et 5.000 euros
d'amende pour "violation du secret
professionnel".
L'accusation avait requis un an de
prison avec sursis contre M. Urvoas, 60
ans, pour avoir transmis au député
Thierry Solère des éléments de l'enquête
qui le visait. L'ancien ministre et
parlementaire, unanimement apprécié mais
dont l'image de rigueur a été abîmée par
cette affaire, a écouté sans ciller les
motivations de la Cour, qui a suivi en
tout point le raisonnement du procureur
général François Molins. "Si le ministre
de la Justice n'est plus tenu au secret
de l'enquête et de l'instruction", en ce
qu'il n'y concourt pas, "il n'en n'est
pas moins tenu au respect du secret
qu'impose la nature des informations qui
lui sont transmises, en raison de sa
fonction", affirme la CJR dans ses
motivations, lues à l'audience.
L'ANCIEN MINISTRE SOCIALISTE ÉTAIT JUGÉ
POUR AVOIR TRANSMIS LES 4 ET 5 MAI 2017
AU DÉPUTÉ LR (DEVENU LREM) THIERRY
SOLÈRE DES ÉLÉMENTS DE L'ENQUÊTE QUI LE
VISAIT POUR FRAUDE FISCALE ET TRAFIC
D'INFLUENCE, VIA LA MESSAGERIE CRYPTÉE
TELEGRAM.
Jean-Jacques Urvoas n'a jamais nié la
matérialité des faits, mais contestait
que les documents transmis soient
couverts par un quelconque secret. Au
contraire, la CJR estime que les
éléments d'enquête ne perdent pas leur
caractère secret "du seul fait que ces
informations ont été reformulées" par
les services du ministère. Elle relève
par ailleurs que les fiches transmises
au ministre concernant Thierry Solère
étaient précises, "tant sur les faits
... que sur les qualifications pénales
susceptibles d'être retenues".
Jean-Jacques Urvoas était le huitième
ministre à comparaître devant la CJR,
une juridiction controversée, seule
habilitée à juger des actes commis par
des membres du gouvernement dans
l'exercice de leurs fonctions. Les
décisions de la CJR, juridiction
mi-politique mi judiciaire, composée de
douze parlementaires et trois
magistrats, ne sont pas susceptibles
d'appel. Toutefois, M. Urvoas a cinq
jours pour former un éventuel pourvoi en
cassation.
LOIN DE L'"INTÉRÊT GÉNÉRAL"
Avant Jean-Jacques Urvoas, sur les sept
personnes jugées par la CJR depuis 1999,
trois ont été relaxées, deux condamnées
à des peines de sursis et deux ont été
déclarées coupables mais dispensées de
peine, dont la dernière en date est
l'ancienne patronne du FMI Christine
Lagarde.
Le procureur général avait mis en garde
contre une relaxe qui "signerait la fin
du ministère public à la française", car
"s'il n'y a plus de secret partagé, il
n'y plus de confiance", condition
indispensable à toute "remontée
d'informations" entre les parquets et le
garde des Sceaux, au sommet de la chaîne
hiérarchique. Le débat, âpre, avait dû
s'accommoder d'une série de paradoxes:
de l'étrangeté pour un ex-ministre
d'être jugé par une cour qu'il avait
voulu supprimer, du confort d'être
interrogé par ses pairs parlementaires -
ici juges -, de la blessure d'être
accusé de "trahison" par des magistrats
qu'il a défendus avec constance pendant
son mandat. A l'audience, l'ex-ministre
avait constamment mis en avant son
bilan, affirmant qu'aucun texte ne
venait entraver sa liberté de parole
politique, au "service de l'intérêt
général". Un argument balayé par la CJR:
"Un tel motif d'intérêt général
justifiant la gravité de l'atteinte
portée au secret n'est pas établi",
affirme-t-elle, relevant que M. Urvoas,
en "juriste expérimenté", "ne pouvait
ignorer" qu'il violait "le secret auquel
il était tenu en raison de sa fonction".
En revanche, la CJR a justifié sa
clémence, relativement aux réquisitions,
par deux points: d'une part le fait que
la divulgation des éléments d'enquête
n'avait "pas eu d'effet sur le
déroulement des investigations". Et
d'autre part, le fait que les débats
n'avaient "pas permis de connaître
l'objectif réellement poursuivi par M.
Urvoas en communiquant ces informations"
à Thierry Solère, un adversaire
politique, entre les deux tours d'une
présidentielle qui allait bouleverser le
paysage politique français. L'accusation
estimait que le ministre, en difficulté
pour sa réélection dans sa
circonscription, avait voulu "ménager un
autre homme politique", tandis que
Jean-Jacques Urvoas s'était cramponné à
sa version de "l'intérêt général", sans
convaincre.
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