Algérie
Des funérailles, fussent-elles
officielles et nationales,
ne sont pas
des élections
Lahouari Addi
Jeudi 26 décembre 2019
Les Algériens ont
hérité du combat anticolonial une
illusion qui perdure : ils sont ou
doivent être unis politiquement,
c’est-à-dire qu’ils devraient avoir la
même position en matière de gestion de
l’Etat. Les funérailles de Gaid Salah
organisées par le régime entretiennent
cette illusion en voulant montrer que
les Algériens sont unis derrière leurs
dirigeants. Le message est que la
mobilisation populaire des mardis et
vendredis est une protestation
minoritaire dans laquelle certains
citoyens sont consciemment ou
inconsciemment manipulés. La réalité est
que, comme toute société humaine, la
société algérienne est divisée
politiquement. Si l’on met de côté le
clivage riches-pauvres ou gauche-droite,
il y a dans l’opinion un clivage sur le
rôle de l’armée. Les uns estiment que
l’armée ne doit pas s’impliquer dans la
politique, et les autres estiment
qu’elle doit contrôler d’une manière ou
d’une autre le champ politique. Pour ces
derniers, l’armée est la garante de
l’intégrité du territoire national, mais
aussi de l’intégrité de l’Etat menacée
par les relais locaux de puissances
étrangères. Cette vision sert de
référence idéologique implicite au
régime ; elle est probablement une
croyance sincère chez certains citoyens,
mais elle a attiré à elle tous ceux qui,
d’une manière ou d’une autre, ont
intérêt à ce que le régime ne change pas
parce qu’ils en tirent des privilèges.
Surtout que l’Algérie est un Etat
rentier distributeur de richesses sur
des bases de clans et de clientèles. La
redistribution n’est certainement pas
égalitaire, et certains ne ramassent que
des miettes. C’est suffisant pour qu’ils
se sentent solidaires d’un régime dont
ils constituent la base sociale. Mais
attention : la population algérienne
dans son ensemble bénéficie, d’une
manière ou d’une autre, de la rente
pétrolière ; cependant, la majorité veut
mettre fin à ce système et une minorité,
ayant peur du changement, et aussi par
intérêts, s’y refuse. Les sondages
d’opinion sont interdits en Algérie, et
pour cause. Ils montreraient que la base
sociale du régime ne dépasserait pas les
20% de la population. Lors des
funérailles de Gaid Salah, le régime a
mobilisé à Alger une proportion de cette
minorité pour donner l’image d’un peuple
uni soutenant le régime. Cependant, les
funérailles, fussent-elles nationales et
officielles, ne sont pas des élections,
ni les manifestations des mardis et des
vendredis. En démocratie, la concorde
nationale repose sur le respect de la
volonté de la majorité victorieuse qui
laisse à la minorité l’espoir de devenir
une majorité par l’alternance
électorale. Le scrutin du 12/12 a montré
que le régime a donné la majorité
électorale à la minorité, ce qui a
poussé le régime à transformer des
funérailles en second scrutin pour
cacher le vice politico-juridique qui
prive le président formel de la
légitimité populaire. Gaid Salah a
désigné deux fois Tebboune comme
président : une fois avant sa mort, et
une seconde fois après sa mort.
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