Algérie
« Aujourd’hui, nous sommes 40 millions
de Abbane Ramdane »
Lahouari Addi
Mercredi 22 mai 2019
Gaid Salah
insiste sur deux mots qui reviennent
dans ses discours : respecter la
constitution et combattre la corruption.
Or ce que les Algériens attendent d’un
général, de corps d’armée de surcroît,
c’est la stratégie de sortie de crise et
non de la tactique pour la contourner. À
Cherchell, les élèves-officiers
apprennent la différence entre la
tactique et la stratégie. Mais revenons
à ces deux mots, constitution et
corruption.
La population veut
que l’Etat soit régi par une
constitution, à condition que la
constitution ait la même signification
pour tout le monde. Selon les
constitutionnalistes, la constitution
est un texte fondamental qui garantit la
séparation des pouvoirs exécutif,
législatif et judiciaire, et qui régule
leurs rapports. La séparation des trois
pouvoirs est l’expression
institutionnelle de la souveraineté
populaire. Or celle-ci est accaparée par
la hiérarchie militaire depuis
l’indépendance en 1962.
La hiérarchie
militaire donne mandat à des civils, à
travers des élections truquées, pour
diriger les institutions de l’Etat. Cela
veut dire que le pouvoir exécutif tire
sa légitimité de sa branche militaire
qui écrase les pouvoirs législatif et
judiciaire. C’est ce qui permet à ce
même pouvoir exécutif de désigner des
représentants du peuple comme Baha
Eddine Tliba et Moad Bouchareb qui se
déplacent avec des garde-corps. Où
a-t-on vu des représentants du peuple
ayant besoin de se protéger contre le
peuple qui est supposé les avoir élus ?
Si la constitution
dont parle Gaid Salah était effective et
respectée, il n’y aurait pas eu autant
de corruption, car il y a une relation
de cause à effet entre l’appropriation
de la souveraineté nationale par la
hiérarchie militaire et la corruption
généralisée. Le droit divin qu’ont les
généraux de désigner le président et
autres responsables de l’Etat, à travers
des élections truquées, les place
automatiquement au-dessus de la loi et
de la justice. Etant les Grands
Electeurs qui désignent le chef de
l’Etat, ils sont par conséquent
au-dessus des lois de l’Etat. Les
généraux algériens ne sont pas forcément
tous des corrompus, mais ils ont un tel
pouvoir dans ce système politique qu’ils
sont happés par la corruption. Cela veut
dire que la corruption est le résultat
d’un mécanisme institutionnel au centre
duquel se trouve la hiérarchie
militaire.
Ce n’est pas un
problème de personnes ; c’est un
problème de système générateur de
corruption et de gabegies. La structure
du système fait que les généraux sont
sollicités pour protéger un clan contre
un autre, que ce soit dans
l’administration publique ou dans les
affaires privées. Les civils du système
n’ont aucun pouvoir s’ils ne bénéficient
pas de la protection d’un général. Gaid
Salah lui-même a protégé Said
Bouteflika, et donc indirectement Ali
Haddad et Kouninef, c’est-à-dire la ‘issaba.
.
Gaid Salah ne se rend pas compte qu’il
fait partie d’un système générateur de
corruption. Et ce n’est pas en envoyant
en prison quelques hommes d’affaires,
dont l’un est accusé d’avoir deux permis
de conduire et deux passeports, que le
système sera sauvé. Ce que Gaid Salah ne
perçoit pas ou feint de ne pas
percevoir, c’est que le système qu’il
incarne ne peut pas lutter contre la
corruption. Lorsqu’il a été démis de ses
fonctions, le général Hamel a lancé en
direction de Gaid Salah que pour
combattre la corruption, il faut être
au-dessus de tout soupçon. Il faut
rappeler ce qu’avait affirmé le colonel
Houari Boumédiène lors du congrès du FLN
en 1964 au sujet de l’épuration au sein
de l’armée : qui épure qui ? chkoune li
chad yed echchakour ? Le peuple a
répondu à cette question : ce sera la
deuxième république qui naîtra de la
transition pacifique. Elle se dotera
d’institutions qui imposeront le respect
de la loi à tout le monde. La lutte
contre la corruption sera menée par des
institutions qui reposent sur le
principe de la séparation des pouvoirs
et l’alternance électorale.
En invoquant le
respect de la constitution et la lutte
contre la corruption, sur lesquels le
peuple est d’accord, Gaid Salah cherche
à desserrer le blocus politique et
pacifique qu’exerce la population sur l’Etat-Major.
La rue veut imposer le principe de la
primauté du politique sur militaire,
principe pour lequel Abbane Ramdane a
été assassiné. Aujourd’hui, nous sommes
40 millions de Abbane Ramdane.
Par
Lahouari Addi, professeur de
sociologie à l’Institut d’Études
Politiques de Lyon et chercheur à
Triangle, laboratoire du CNRS. Ce texte
a été préalablement sur la page Facebook
de cet auteur.
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