Algérie
Légalité et légitimité à la lumière du
Hirak en Algérie
Lahouari Addi
Samedi 21 décembre 2019
Ecoutons cette mère de famille qui a
manifesté vendredi 20 décembre 2019 à
Alger au milieu de dizaines de milliers
d’autres manifestants. Avec ses propres
mots, elle explique une problématique de
science politique : la différence entre
légalité et légitimité. Elle explique
que la légalité a besoin de la
légitimité pour être acceptée. Cette
citoyenne ordinaire est représentative
du hirak qui, depuis le 22 février 2019,
remet en cause la légalité d’un régime
qui a rompu avec la légitimité. Dès lors
que les masses investissent la rue et le
champ politique, c’est-à-dire enlèvent
le monopole de la politique des mains
d’une minorité, l’histoire a basculé
dans la modernité. C’est la thèse de la
philosophe allemande Hanna Arendt qui
explique que l’histoire moderne a
commencé avec l’irruption des masses
dans le champ politique (Essai sur les
révolutions). Certains slogans brandis
par les manifestants en Algérie comme «
seul le peuple est souverain » font écho
à des théories politiques modernes De ce
point de vue, en voulant enlever le
monopole de la politique des mains d’une
vingtaine de généraux qui désignent le
président, choisissent les ministres et
les députés, le hirak fait basculer le
pays dans la modernité. Il y a eu le
précédent 1954-62 au cours duquel les
masses se sont organisées dans le FLN
pour détruire l’ordre colonial et
construire l’Etat national. Mais en
1962, l’histoire a bégayé et l’Etat
indépendant a refoulé les masses du
champ politique. Le hirak vise à
rectifier la déviation historique de
1962.
Dans cette crise, deux camps s’opposent
: l’Etat-Major qui demande le respect de
la légalité et le citoyen ordinaire qui
exige le retour à la légitimité. Quelle
est la définition de ces deux notions et
quel est leur rapport dans le champ
constitutionnel ? La légalité est le
cadre politico-juridique imposé par
celui qui détient le monopole de la
violence ; elle est liée à un pouvoir de
fait. Un pouvoir oppresseur peut-être
légal du fait qu’il s’impose par la
force. Un système politico-juridique
légal peut ne pas être légitime. Avant
1962, l’Algérie était soumise à la
légalité du pouvoir colonial.
L’apartheid était légal en Afrique du
Sud et l’autorité d’Israël dans les
territoires occupés de la Palestine est
légale, mais dans les trois cas, il y
illégitimité de la loi. Le mot légalité
est lié au mot loi qui est en général
décrétée par un pouvoir d’Etat quel
qu’il soit. Pour la science politique,
toute loi, décrétée par un pouvoir
d’Etat, est légale même si elle est
injuste aux yeux de nombreux citoyens.
Tant que le pouvoir détient le monopole
de la violence et a une administration
et des services de sécurité pour
s’imposer sa loi est considérée comme
légale. Elle n’est pas pour autant
légitime car la légitimité est
l’idéologie par laquelle un régime se
fait accepter sans recourir à la
coercition physique contre un grand
nombre. Un citoyen obéit volontairement
à un responsable s’il considère qu’il
est légitime pour exercer l’autorité
publique et à donner des ordres au nom
de l’Etat. De ce point de vue, toute
légalité a besoin de légitimité. En
régime démocratique, la légalité a pour
base la légitimité électorale. La crise
en Algérie s’explique principalement de
ce que la majorité de la population
considère que le régime n’est pas
légitime. A. Tebboune est le président
légal mais il n’est pas légitime aux
yeux de la majorité de la population
qui, à 92%, n’a pas voté.
En régime démocratique, la légalité se
soumet à la légitimité électorale. En
régime autoritaire, la légalité ignore
la légitimité et la combat par la
violence d’Etat (police et justice) et
par le trucage des élections. En un mot,
ce que l’Algérie apprend aux étudiants
de science politique, c’est que Tebboune
est un président légal illégitime. La
question à poser est jusqu’à quand ?
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