Algérie
Dynamique révolutionnaire et
changement de légitimité en Algérie
Lahouari Addi
Samedi 16 mars 2019
Depuis le 22 février, l’Algérie est
entrée dans une période révolutionnaire
qui fondera un nouveau régime. La
période révolutionnaire est une phase
durant laquelle s’exprime un changement
de légitimité demandé par l’ensemble de
la société que la violence d’Etat ne
pourra pas neutraliser.
Pour des raisons
historiques, l’Etat algérien et ses
institutions tirent leur autorité de
l’armée qui a toujours coopté les élites
civiles soit dans le cadre du système du
parti unique avant 1988, soit dans le
cadre d’élections truquées après 1992.
C’est ainsi que la hiérarchie militaire
choisit le président, tandis que son
instrument politique, le DRS, façonne le
champ politique en noyautant les partis
d’opposition, les syndicats, la presse,
etc. pour les soumettre à la règle non
écrite du système : l’armée est seule
source du pouvoir et seule instance de
légitimation.
Dans un tel schéma,
l’autorité du président ne provient pas
de la légitimité électorale mais plutôt
du soutien de l’armée qui l’aura désigné
pour faire fonction de chef d’Etat. Même
si la constitution lui donne des
prérogatives de chef d’Etat, dans les
faits le président ne fait qu’entériner
les orientations décidées par la
hiérarchie militaire. La présidence est
l’institution par laquelle transitent
les décisions prises au ministère de la
défense, appliquées par les ministères
et justifiées par les partis de
l’administration, FLN et RND. Pour la
hiérarchie militaire, il est crucial de
choisir un président docile et
obséquieux qui accepte ce schéma car sa
hantise est de se retrouver face à un
Erdogan qui lui enlève le pouvoir de
légitimation.
L’histoire montre
que sur les quatre présidents après la
mort de Boumédiène, deux ont été poussés
à la démission brutale après menace
physique (Chadli Bendjedid et Liamine
Zéroual) et un a été assassiné (Mohamed
Boudiaf). Si Bouteflika est depuis 20
ans en fonction, c’est parce qu’il a
accepté la suprématie du militaire sur
les institutions, tout en manœuvrant
pour essayer d’opposer des généraux les
uns contre les autres. En 2003, le DRS
lui avait interdit de s’adresser
directement aux Algériens, suite à un
discours où il avait dit que « 14
généraux contrôlaient le commerce
extérieur ». C’était indigne d’un
président qui parlait comme un citoyen
ordinaire qui se plaignait dans un café
à Alger.
La propagande selon
laquelle Bouteflika s’était imposé aux
généraux provient du DRS dont la tâche
est de montrer que les généraux sont
sous les ordres d’un président devenu
autoritaire. Il s’agissait de cacher le
mécanisme d’appropriation de la
légitimité par la hiérarchie militaire
qui n’a jamais été aussi puissante que
sous Bouteflika. Que la famille de
Bouteflika et ses amis se soient
enrichis, ce n’est pas étonnant dans un
pays où la justice n’est pas autonome.
Mais le pouvoir, ce n’est pas la
capacité de voler l’argent de l’Etat. Il
faut savoir qu’en Algérie, le président
(et c’est encore plus vrai pour
Bouteflika) n’a pas le droit de
promouvoir des officiers supérieurs et
de s’immiscer dans l’équilibre de la
hiérarchie militaire, de chercher à
résoudre la question du Sahara
occidental, de définir les relations
avec la France. Ce n’est pas lui qui
désigne le premier ministre, ni les
ministres des affaires étrangères, de
l’intérieur et de la justice. La
répartition de la rente pétrolière dans
le budget de l’Etat entre les différents
ministères ne relève pas de sa
responsabilité.
La lourde maladie
de Bouteflika depuis 2013 est une preuve
supplémentaire que le président algérien
n’a qu’un rôle symbolique. Il est une
poupée, rendue pathétique par la
maladie, entre les mains de décideurs
qui se réunissent régulièrement pour
évaluer la situation politique du pays
et qui prennent des décisions envoyées à
la présidence pour application. Les
dernières mesures annoncées lundi 11
mars ne pouvaient être prises par une
personne à peine consciente de son état.
Cette structure
politique de l’Etat a atteint ses
limites avec une société plus exigeante
et plus cultivée. Les jeunes générations
n’acceptent plus que leur Etat soit
dirigé par des structures clandestines
dépendant du ministère de la défense.
Elles mettent en avant le projet de
Abbane Ramdane, et pour lequel il a été
tué, et celui du Congrès de la Soummam,
en exigeant la primauté du civil sur le
militaire. A cette demande, les généraux
leur répondent par la ruse : extension
du 4èm mandat et transition menée par
des civils porte-parole des généraux.
Si la politique,
dans tous les pays, est 80% de
compromis, 10% de ruse et 10% de
violence, pour les généraux algériens,
la politique c’est 48% de ruse, 48% de
violence et 4% de compromis. Mais cette
fois-ci, les jeunes manifestants ne
rentreront chez eux que lorsque le
changement de légitimité s’opèrera. Ils
ont avec eux l’histoire, la société et
même une partie de l’armée qui ne se
reconnaît pas dans les choix politiques
des généraux. Ils veulent un changement
de légitimité de l’autorité publique et
rien ne les arrêtera jusqu’à la
satisfaction de cette demande. Ils
obligeront les généraux à ne plus
choisir le président et les députés à
leur place.
Les jeunes
manifestants ne sont pas contre l’armée,
et ils voudraient être fiers d’elle.
C’est le sens du slogan « djeich chaab
khawa khawa ». Ils veulent une armée
moderne, républicaine, épurée de
généraux faiseurs de rois. Ils
veulent une armée qui obéisse à
l’autorité civile exercée par des élus
du peuple. Les jeunes manifestants ont
montré plus de maturité que les généraux
lorsqu’ils crient que l’armée appartient
au peuple et non à une hiérarchie
militaire qui a donné naissance à un
régime corrompu.
L’Algérie est
entrée dans une phase révolutionnaire
qui rappelle les révolutions française,
russe et iranienne. C’est une révolution
de changement de légitimité et l’ancien
régime ne peut s’y opposer ou la
détourner. Si des généraux font l’erreur
d’utiliser la force pour réprimer des
manifestants, l’unité de l’ANP serait en
péril parce que de nombreux officiers
sont au diapason avec la jeunesse. Il
vaut mieux que le régime ne s’oppose pas
la demande de changement de légitimité
des institutions de l’Etat.
A cette fin, les
décideurs doivent accepter le caractère
public de l’autorité de l’Etat. Ils
doivent demander à celui qui fait
fonction de président aujourd’hui de
démissionner et de nommer une instance
de transition qui exerce les fonctions
de chef d’Etat. Mustapha Bouchachi,
Zoubida Assoul et Karim Tabbou devraient
être sollicités pour exercer les
prérogatives d’une présidence collégiale
qui nommera un gouvernement provisoire
qui gérera les affaires courantes et
préparera les élections présidentielle
et législative dans un délai de 6 à 12
mois. Les généraux doivent aider à a
réalisation de ce scénario et se dire
une fois pour toute que l’armée
appartient au peuple et non l’inverse.
*Lahouari Addi est
Professeur émérite de sociologie
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