Algérie
Pour en finir avec
la diversion sur l'islamisme
Lahouari Addi
Dimanche 15 mars 2020
Au moment où le
pays exprime un profond désir pour la
démocratie, certaines personnes agitent
le bourourou islamiste alors que les
jeunes chantent "matkhaoufounach bil 'achriate".
Jamais le pays n'a exprimé un
attachement aussi fort pour la
démocratie qu'aujourd'hui. Car c'est
quoi la démocratie? C'est le fait que le
public - et le public c'est le hirak -
accule les dirigeants et leur demandent
des comptes sur la gestion de l'autorité
publique. Les dirigeants, les vrais,
c'est-à-dire les généraux, ont peur et
essaient de trouver la parade pour
échapper à cette situation. Ils
utilisent des diversions, et la question
islamiste en est une. L'islamisme est un
courant d'opinion qui existe et qui
existera dans le futur, et il est
possible qu'il évolue vers une forme de
parti conservateur "social ou
démocrate-musulman" comme l'Europe a
connu les chrétiens-démocrates. Pour des
raisons historiques et culturelles,
l'Algérie restera musulmane comme
l'Europe est encore chrétienne. Cela n'a
l pas empêché l'Occident de se
séculariser. La sécularisation en terre
d'islam est inéluctable car la
séparation du politique et du religieux
est une nécessité historique auquel les
islamistes ne pourront jamais s'opposer.
Et même eux commencent à parler de
distinction du religieux et du
politique. Car ils ont compris qu'on
n'élit pas quelqu'un parce qu'il fait la
prière; on l'élit parce qu'il sert
l'Etat et les intérêts du public. Ne pas
voir que le discours islamiste a évolué
comme ont évolué toutes les composantes
de la société par rapport aux années
1990, c'est rester bloqué en regardant
le rétroviseur. Bien sûr, Ali Belhaj
avait déclaré en 1989 que la démocratie
est kofr, mais aujourd'hui il dit que le
seul régime qui correspond à l'islam
c'est la démocratie. Cela n'empêche pas
que l'islamisme reste un courant
populiste attaché plus à l'identité
religieuse de la communauté nationale
qu'aux libertés de l'individu. Mais
l'islamisme est-il le seul courant
populiste en Algérie? Est-ce une raison
suffisante pour refuser qu'il participe
aux élections? A-t-on les moyens de
l'exclure du champ institutionnel
autrement qu'en faisant appel à l'armée?
Les démocraties occidentales n'ont-elles
pas fonctionné avec des partis non
démocratiques? La démocratie intègre
aussi des courants non démocratiques à
qui elle impose le jeu démocratique en
dehors de leurs structures.
Le défi politique en Algérie, c'est
d'intégrer les islamistes dans le jeu
institutionnel afin que la confrontation
soit idéologique et non physique, sur la
base de principes garantis par la
constitution, dont la liberté de
conscience. Ce débat est malheureusement
mené avec une conception statique du jeu
politique et une conception atemporelle
de la démocratie. La démocratie n'est
pas un modèle atemporel, c'est une
expérience en cours obéissant à des
rapports de force qui prennent leur
origine dans la société. La démocratie
est un processus et le plus important
est de sauvegarder la liberté
d'expression et l'alternance électorale.
Ces deux principes lui permettent de se
renouveler au-delà de la volonté des
acteurs. On dira que la démocratie c'est
c'est aussi des valeurs. C'est vrai,
mais les valeurs se consolident dans le
débat contradictoire et dans les luttes
idéologiques. On avancera aussi que
l'islam est incompatible avec la
démocratie. En tant que religion,
l'islam est compatible avec un régime
fasciste comme avec un régime
démocratique. Il n'y a aucun verset
"politique" dans le Coran, à l'exception
de celui qui demande à obéir à celui qui
a l'autorité. Oublie-t-on que l'un des
versets du Coran dit explicitement "pas
de contrainte en religion", ce qui
permet de justifier et de défendre des
lois qui garantissent la liberté de
conscience? Ce n'est pas parce que la
théologie médiévale musulmane est contre
la démocratie (comme la théologie
médiévale chrétienne du reste) que
l'islam est contre la démocratie.
L'Algérie est un jeune Etat-nation et il
est condamné à être démocratique pour
sortir de la culture de l'émeute et de
l'autoritarisme. Nous avons besoin
d'apprendre la culture civique de
tolérance. Le début sera difficile et le
pays a déjà souffert. Est-ce qu'on
empêche un enfant de marcher sous
prétexte qu'il va tomber? Le hirak
pacifique a montré que cet enfant a
grandi et qu'il peut marcher tout seul
sans l'aide de tuteurs.
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