Algérie
Il y a eu un scrutin le 12/12 mais pas
d’élection
Lahouari Addi
Vendredi 13 décembre 2019
Les chiffres officiels du scrutin
du 12/12 sont tombés : 41% de
participation à l’intérieur et 8%
parmi l’émigration. Ce dernier
chiffre est exact parce que les
autorités n’ont pas le monopole des
images des bureaux de vote qui
permet de justifier le gonflement
des chiffres. La trop grande
différence entre les deux chiffres
discrédite celui de 41%. Le corps
électoral à l’étranger constitue un
échantillon grandeur nature qui
donne des indications sur les
intentions de vote à l’intérieur du
pays. Qu’il y ait une différence de
2 ou 3% entre les deux, c’est
possible ; mais qu’elle soit aussi
grande discrédite le chiffre avancé
à l’échelle nationale. Mais ce n’est
pas étonnant qu’un régime
autoritaire manipule les résultats
électoraux. La justice n’est pas
autonome pour sanctionner le
bourrage des urnes et la
falsification des procès-verbaux.
J’avais écrit pendant plusieurs
semaines que l’élection n’aura pas
lieu, pensant que les généraux la
reporteraient pour permettre à
l’opposition modérée d’y participer,
ce qui aurait divisé le hirak. Ils
ne l’ont pas fait, perpétuant la
crise du fait qu’ils n’ont pas la
culture du compromis et de la
négociation, et c’est regrettable.
Les manifestants seront désormais
confortés dans leur slogan fétiche «
ya hna, ya ntouma » (ou c’est vous,
ou c’est nous).
Avant de dégager les leçons que nous
apprend le 12/12, il faudrait dire
quelques mots pour distinguer entre
scrutin et élection. Un scrutin est
une opération administrative
appelant à voter pour un
responsable. Une élection est une
opération de vote où l’électorat
choisit ses représentants parmi des
candidats appartenant à des courants
d’opinion différents. Pour qu’un
scrutin devienne une élection, il
faut des offres politiques en
compétition pour attirer le choix
des électeurs. A cette fin, il est
nécessaire que les médias publics et
privés soient ouverts à tous les
candidats, y compris ceux de
l’opposition, et que la justice soit
autonome pour invalider
éventuellement les cas de fraudes.
Au vu de ces conditions, le 12/12
n’est pas une élection, et donc
l’élection n’a pas eu lieu. Il y a
eu un scrutin par lequel le général
Gaid Salah a désigné Abdelmadjid
Tebboune comme président formel de
l’administration gouvernementale. Le
dessinateur Nime a été arrêté pour
l’avoir prévu par un dessin
désormais mondialement célèbre : le
prince charmant Gaid Salah chaussant
Tebboune dans le rôle de Cendrillon.
Quelles leçons tirer de ce scrutin ?
1. La première est que
l’administration de l’Etat continue
d’être bicéphale : il y a un pouvoir
réel légitimant et un pouvoir formel
légitimé par le premier. Le
commandement militaire dit
clairement que la désignation du
président relève de ses attributions
et non du corps électoral. Il
continue à se poser comme source de
pouvoir comme en 1962. Il reste
enfermé dans le modèle de la
primauté du militaire sur le
politique, s’opposant à la
démilitarisation du politique.
2. Le commandement militaire
signifie qu’il est le seul acteur
politique dans la nation. Toute
personne voulant exprimer une
velléité d’autonomie est poursuivie
par la justice pour insubordination.
Exprimer une opinion politique
différente de celle du commandement
militaire est un délit sanctionné
par les tribunaux.
3. L’Etat-Major maintient l’Algérie
dans le pré-politique, celui de la
violence. Il instrumentalise à cette
fin la police et la justice pour
réprimer toute demande de relier
l’autorité publique à la légitimité
électorale réelle. La violence
d’Etat (police, justice) est
utilisée pour réprimer la demande
d’Etat de droit de la population.
4. Le commandement militaire a
construit une légalité déconnectée
de la légitimité. Après le 12/12,
l’Algérie aura un président légal
pour le droit international et les
pays étrangers mais illégitime pour
son peuple. Il aura été élu à
l’issue d’un scrutin où seuls 8% des
électeurs ont pris part au vote. Si
son score réel est de 58%, cela
signifie que seulement 3% des
Algériens ont élu Tebboune. Il
n’aura pas l’autorité nécessaire
pour exiger de ses concitoyens le
respect des institutions de l’Etat.
5. La position radicale du
commandement militaire constitue un
blocage à une sortie de crise car le
hirak va continuer et demandera la
démission du président désigné au
lendemain du 12/12. La première
étape de la révolution du 22 février
s’est terminée ; la seconde a
commencé le vendredi 13 et il n’y a
aucune raison de penser que Tebboune
finira son mandat.
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