Algérie
Texte en français de l'interview parue
aujourd'hui
dans le journal électronique
Akhbaraldjazair
de langue arabe ci-dessous
Lahouari Addi
Mardi 6 août 2019
1- Le Hirak entame son sixième
mois et une phrase revient souvent dans
vos commentaire : « le hirak à réussi ».
En quoi a-t-il réussi ?
Réponse :
A son 6è mois, le hirak a obtenu des
résultats importants, même s’il n’a pas
réalisé encore son objectif final qui
est l’Etat de droit. Il a mis en échec
deux élections présidentielles
programmées avec trucage, il a obligé le
commandement militaire à mettre en
prison des premiers ministres et
ministres pour corruption, il a montré
que les partis qui avaient la majorité à
l’Assemblée Nationale n’avaient aucun
ancrage populaire ou électoral, il a
obligé le commandement militaire à
montrer qu’il est la source du pouvoir
et en même temps il l’empêche de
désigner un vrai faux président. C’est
énorme. Les généraux sont en train de
vivre un cauchemar. Ils croyaient qu’ils
dirigeaient un pays de moutons et ils
réalisent que ces moutons sont des
citoyens qui veulent exercer leurs
droits civiques et politiques. Le hirak
a mis le système politique hérité de
l’indépendance dans une dynamique de
rupture et de ce point de vue il a
réussi.
2- Vous
avez écrit un texte sur votre page
Facebook contre l’idée de désobéissance
civile. Pourquoi ?
Réponse :
Il est étonnant que ce slogan de
désobéissance civile ait été brandi
après le dernier discours du général
Gaid Salah qui refuse toute idée de
transition vers un régime démocratique.
A-t-il fait exprès pour pousser à la
radicalisation et à la violence ? En
tout cas, des jeunes manifestants
exaspérés et impatients veulent passer à
d’autres formes d’action, notamment la
désobéissance civile sans savoir ce que
cela aura comme conséquences sur le
mouvement. Je n’exclus pas que des
éléments du régime tablent sur la
radicalisation pour justifier une
répression massive pour faire basculer
le pays dans la violence généralisée. Le
régime algérien a 57 ans et il a
accumulé des expériences pour survivre.
Il a survécu aux émeutes de 1988 et à la
crise sanglante des années 1990. Il ne
changera que par des moyens pacifiques.
Si la protestation vire à la violence,
il sera sauvé une troisième fois. Mais
si la protestation se poursuit
pacifiquement, il y aura des changements
dans la hiérarchie militaire, ce qui
ouvrira des perspectives de transition
démocratique.
3.-
Plusieurs hauts responsables et des
hommes d’affaires sont en prison pour
des faits liés à la corruption. La lutte
contre la corruption ne semble pas
suffisante pour arrêter le hirak.
Pourquoi ?
Réponse :
Il n’y a eu que des arrestations de
civils pour corruption. Or les civils ne
pouvaient pas détourner l’argent public
sans la protection des généraux. A
l’heure actuelle, à l’exception de
Hamel, aucun général n’a été arrêté pour
faits de corruption. C’est pourquoi
beaucoup de manifestants pensent que si
la contestation s’arrête, les
prisonniers d’El Harrach seront libérés.
Les Algériens n’ont pas confiance dans
la justice qu’ils accusent de
fonctionner au téléphone. .
4- Un panel
a été composé sous la direction de Karim
Younes pour engager le dialogue avec la
société civile et les partis politiques
en vue de s’entendre sur les aspects
relatifs à l’organisation de l’élection
présidentielle. Le pouvoir est-il, selon
vous, en mesure d’exercer un forcing
pour imposer sa feuille de route ?
Réponse :
Les conditions politiques pour une
élection présidentielle ne sont pas
réunies. Si une élection présidentielle
est organisée, la population occupera
les bureaux de vote et cassera les
urnes. Le commandement militaire n’a pas
le personnel suffisant en nombre pour
protéger les bureaux de vote. Pour
qu’une élection soit organisée, il faut
l’adhésion de ceux qui sont appelés à
voter. Or cette adhésion n’existe pas
aujourd’hui. Quant au panel, personne ne
sait quelle est sa mission, y compris
ses membres dont Karim Younes. Il est
supposé entamer un dialogue ; soit, mais
entre qui et qui et pour quel objectif ?
Il y a un conflit politique entre l’EM
et le hirak. Est-ce que les membres de
ce panel ont l’autorité et la légitimité
d’arbitrer ce conflit et d’imposer les
conditions du dialogue à l’EM et au
hirak ? Je ne le pense pas.
5- Comment
jugez- vous le rôle de l’institution
militaire dans cette crise ?
Réponse
: L’institution militaire n’est
pas insensible aux revendications du
hirak. Selon de nombreux officiers à la
retraite, les militaires sont
traumatisés par le conflit sanglant des
années 1990 et ils ne veulent pas que
cela se reproduise. Je pense que
l’ancienne génération d’officiers
supérieurs et la nouvelle ne partagent
pas la même conception des rapports à
l’Etat. L’ancienne génération tient à
désigner le président et j’ai le
sentiment que la nouvelle génération
veut laisser les électeurs choisir leurs
représentants. Le hirak aide la nouvelle
génération à s’imposer, et si e hirak
continue pacifiquement, il ne serait pas
étonnant que dans quelques mois, l’EM
sera renouvelé pour permettre une sortie
de crise.
6. Est-ce
réaliste d’espérer un changement dans la
hiérarchie militaire ?
Réponse :
Ce sera réaliste si les
manifestants exigent l’application de la
règlementation qui régit le personnel du
ministère de la défense nationale. Un
collègue juriste m’a fait remarquer
qu’il y a un texte officiel qui pose des
limites d’âge dans l’exercice de
fonctions d’officiers. Les limites d’âge
applicables aux militaires de carrière
sont arrêtées à 64 ans pour le général
de corps d’armée, 60 ans pour le général
major et 56 ans pour le général (Art. 20
de l’ordonnance n° 06-02 du 28 février
2006 portant statut général des
personnels militaires, complétée par loi
n° 16-06 du 3 août 2016). Si ce décret
est appliqué, l’EM sera renouvelé et la
possibilité d’une négociation pour une
transition démocratique sera du domaine
du possible.
7. En quoi
de jeunes généraux sont susceptibles
d’accepter les revendications du hirak ?
Réponse :
Parce qu’ils sont moins impliqués que
l’ancienne génération dans le conflit
sanglant des années 1990 et ils
craignent moins que leurs aînés un
président élu par la population. Même
s’ils ont fait partie de la chaîne de
commandement, ils n’étaient que des
exécutants. Ce qui bloque la transition,
c’est l’héritage des années 1990.
Lien vers l'interview en arabe :
https://www.akhbareldjazair.com/...
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