Le blog de
Marianne France
Affaire Tariq Ramadan
Khaled Abou El Fadl

Vendredi 27 juillet 2018
« Comme la célèbre
affaire Dreyfus, chaque jour qui passe,
cela ressemble de plus en plus à un
assassinat politique et non à un
jugement équitable. »
L’affaire
Tariq Ramadan en France est honteuse et
ignominieuse. Je ne peux plus garder mon
silence devant cette grotesque parodie
de justice. Depuis que des accusations
de viol ont été portées contre lui en
France, l'affaire Tariq Ramadan a été
entachée d'irrégularités de procédure,
de déni de procédure équitable et de
preuves de discrimination insidieuse. Le
mauvais traitement réservé à Ramadan par
la justice française et le lynchage des
médias français ont été si
scandaleusement injustes qu'ils ont
atteint le stade de la persécution pure
et simple.
Alain Gabon ainsi que d'autres
personnes ont déjà détaillé les
persécutions et les abus commis par les
autorités françaises dans cette affaire.
Egalement, plus d’une centaine
d’éminents universitaires et savants ont
signé une déclaration exigeant un
traitement juste et une procédure
équitable pour Tariq Ramadan.
Alors
pourquoi j’écris ? Tout d’abord parce
qu’en tant que musulman, je suis indigné
par le silence embarrassant des
organisations et des dirigeants
musulmans devant le lynchage indéniable
d'un éminent savant musulman. Les mêmes
organisations qui avaient bénéficié
auparavant de la renommée et de la
célébrité de Tariq Ramadan, et qui se
félicitaient de l’avoir dans la liste
des intervenants dans leurs conférences
et symposiums, l'ont maintenant
abandonné, lui et sa famille à leur
sort.
La deuxième
raison pour laquelle j'écris est qu'en
tant qu’étudiant d'Histoire et de Droit,
le cas de Ramadan me rappelle l'affaire
scandaleuse de Dreyfus dans laquelle le
système judiciaire français éclairé a
injustement jugé et condamné un
innocent, simplement parce qu'il était
juif. J'écris parce que je suis
convaincu que la manière dont l’affaire
Ramadan est traitée témoigne de préjugés
politiques et religieux évidents. Ces
préjugés expliquent les nombreuses
irrégularités qui affligent les
procédures judiciaires en France.
J'écris aussi parce que je suis
profondément troublé par le non respect
de la présomption d'innocence, d’autant
plus qu'il existe des preuves
substantielles que Tariq Ramadan n'est
pas traité comme un accusé faisant face
à des accusations de viol, mais qu'il
est en réalité un prisonnier politique
persécuté par ses ennemis idéologiques
jurés. Après avoir étudié toute une
série d'affaires pénales déposées contre
des violeurs présumés en France, il
parait évident que le traitement réservé
à Tariq Ramadan n'est pas justifié par
les accusations, les allégations ou les
procédures d'enquête de l'affaire.
Voici un
compte rendu partiel des irrégularités
et des problèmes dans cette affaire
1. Tariq
Ramadan croupit en détention provisoire
depuis le mois de février de cette
année. Aucune date pour le procès n'a
été fixée, et il n'est même pas certain
qu'il y aura un procès.
2. L'affaire
a été fondée sur les accusations
présumées de trois femmes : Henda Ayari,
Mounia Rabbouj (Marie) et Paule-Emma
(Christelle). Cependant, Ramadan n'a pas
été traité comme un accusé ordinaire.
Sans justification aucune, l’affaire a
été transférée à la juridiction du
procureur général de Paris, François
Molins étant une personne plutôt
habituée à gérer les affaires de
terrorisme dans lesquelles les suspects
étaient invariablement musulmans.
3. Le
traitement infligé par Molins à Tariq
Ramadan ne diffère aucunement de celui
réservé habituellement aux suspects
terroristes. Ramadan a été placé en
isolement ; ses contacts avec sa famille
et ses avocats, ainsi que l’accès à ses
propres dossiers ont été sévèrement
restreints ; et il a été privé de son
courrier et de tout droit à la vie
privée.
4. De manière
choquante, Ramadan a été détenu pendant
des mois avant d'être autorisé à parler
ou à présenter des preuves à décharge
pour sa défense. Ce n'est que le 5 juin
dernier qu'il a finalement été autorisé
à témoigner et à témoigner en
réfutation. Sur le plan juridique, pour
sa détention, Ramadan a été placé dans
des conditions pénibles, où sa capacité
à se défendre contre les accusations est
sévèrement restreinte. Le problème avec
les restrictions imposées n'est pas
seulement d’ordre psychologique. Ces
restrictions limitent la capacité de
l’accusé à mener des recherches, à se
concerter avec son avocat et à se
défendre sereinement contre les
accusations portées. Imaginez que vous
essayez de vous défendre contre des
accusations graves tout en étant placés
à l'isolement vingt-trois heures par
jour, et que vous n’êtes autorisés à
sortir de votre cellule que pour très
peu de temps, que l'accès à une
bibliothèque ou un ordinateur vous est
refusé, tout comme l'accès à la plupart
de votre courrier, à l'écriture et à la
lecture ainsi que l'accès à votre propre
dossier!
5. De plus,
Tariq Ramadan est très malade, et il
n'est pas exagéré d’affirmer que les
conditions de son emprisonnement sont
tortueuses. Ces conditions ont pour
effet une grave détérioration de son
état de santé et peuvent même conduire à
sa mort. Malgré un dossier médical
excessivement documenté, le tribunal
français a refusé de le mettre dans un
hôpital et de lui fournir les soins
médicaux adéquats.
6. La
présomption d'innocence signifie que
nous devons présumer qu'une personne est
innocente jusqu'à preuve du contraire.
Mais cela n’a pas été respecté dans
l’affaire Ramadan. La manière dont il
est traité est semblable à celle dont
les tribunaux français ont traité des
personnes soupçonnées de terrorisme, où
leur droit à une procédure équitable a
été bafoué en raison d’une prétendue
protection de la sécurité nationale.
Cependant,
l’affaire Tariq Ramadan n'est pas censée
être lié au terrorisme mais à des
agressions sexuelles présumées. Le
tribunal n’a produit aucune
justification convaincante pour toutes
les restrictions qui lui ont été
imposées en prison. Tariq Ramadan n’est
pas traité comme la plupart des accusés
faisant face à des accusations
similaires, qui sont libérés sous
surveillance jusqu'à la date de leur
procès.
Le
gouvernement français a d’ailleurs
récemment découvert un complot
terroriste d'un groupe nationaliste
blanc, l'AFO, qui projetait d’attaquer
et d’assassiner des musulmans dans toute
la France. Bien que les dix membres de
l'AFO aient admis leurs intentions de
commettre des attentats meurtriers
contre des mosquées et des écoles
musulmanes en France, le chef du groupe
et la plupart de ses membres ont été
immédiatement libérés sous surveillance.
(https://lemde.fr/2LvtQZZ)
Les accusés de l'AFO n'ont rien subi de
ce qui a été infligé à Tariq Ramadan.
Je dois
avouer que j’aurais montré moins
d’empathie pour Tariq Ramadan si les
preuves présentées contre lui par les
trois présumées victimes étaient plus
solides. La vérité est qu'à ce jour,
aucune preuve crédible n'a été dévoilée
contre Ramadan. La première plaignante,
Henda Ayari, a présenté des récits
contradictoires et incohérents, non
seulement devant les tribunaux, mais
aussi dans ses nombreuses apparitions
dans les médias français. Entre autres,
elle a menti sur sa relation avec la
deuxième plaignante, et sur la
coordination de leurs récits d'agression
sexuelle contre Ramadan. De plus, il
s'est avéré qu'elle a des relations
maintenues et de longue date avec les
ennemis idéologiques de Ramadan, y
compris les islamophobes les plus
notoires de France. Plus récemment, elle
a reçu le soutien des islamophobes
américains, tels que le célèbre Robert
Spencer. Plus troublant encore, avec son
islamophobie et ses attaques contre les
musulmans, Ayari est devenue une
célébrité dans les médias français et
elle a exploité ses accusations contre
Ramadan pour développer sa carrière.
A multiples
égards, le cas de la deuxième plaignante
(appelée Christelle) est plus alarmant.
Il a été prouvé qu’elle était une
militante du « suprématisme français
blanc ». Ce courant a une longue
expérience dans la défense des pogroms
génocidaires contre les musulmans en
France et en Europe, et semble avoir
développé une haine compulsive contre
Tariq Ramadan. Comme Ayari, «Christelle»
a entretenu une relation de longue date
avec Caroline Fourest, l'ennemie jurée
de Ramadan et l'auteure de « Frère Tariq »,
un livre islamophobe publié en 2008.
Comme Ayari, son témoignage a été
contradictoire, incohérent et sans
fondement.
Quant à la
troisième accusatrice (appelée Marie),
elle ne peut plus être considérée comme
une plaignante. Ses accusations étaient
tellement faibles que même le tribunal
français, qui a jusqu’ici ignoré les
incohérences et les contradictions des
autres plaignantes, a été forcé de
rejeter son cas. Lors de l'audience du 5
juin, l'avocat de Ramadan a présenté de
nombreux éléments qui prouvent qu’il
s’agissait de mensonge pur et simple. Le
cas de (Mounia) est désormais exclu.
Ainsi, Ramadan reste détenu à
l'isolement et continue de subir un
traitement réservé normalement aux
personnes soupçonnées de terrorisme, en
raison des accusations non fondées
portées par deux plaignantes non
crédibles, Ayari et Christelle
Déni de
procédure équitable
Permettez-moi
d’exprimer mon avis aussi clairement que
possible : cette affaire a surtout
révélé un problème de discrimination.
Aucun autre accusé faisant face à des
charges similaires n’a subi le
traitement réservé à Tariq Ramadan. Il
s’agit incontestablement d’un déni de
procédure équitable. Les conditions de
sa détention l’empêchent effectivement
d’assurer sa défense. Egalement, le
lynchage subi par Ramadan et sa famille
de la part des médias français
s’apparente indéniablement à de la
persécution. Il y a des preuves
cumulatives qui démontrent que les
détracteurs politiques de Ramadan ont
conspiré avec les plaignantes pour
produire des récits non corroborés et
très souvent incohérents et
contradictoires d'agression sexuelle.
De plus,
l'État Français a été complice de
l'exploitation de l'opportunité offerte
par les accusations portées par deux
femmes très suspectes contre un
intellectuel musulman public, qui a
pendant des années dérangé le
gouvernement français. A l’instar du « Muslim
Ban » qui a été récemment validé par la
Cour suprême des États-Unis, il existe
de nombreuses preuves d’une motivation
antimusulmane qui sont commodément
ignorées par la justice française.
Compte tenu des antécédents de la
justice française jusqu'à présent, il
est permis de douter que le système
français soit en mesure de garantir à
quelqu'un comme Tariq Ramadan un procès
juste et équitable. Comme la célèbre
affaire Dreyfus, chaque jour qui passe,
cela ressemble de plus en plus à un
assassinat politique et non à un
jugement équitable.
Dans
l'Affaire Dreyfus, un homme innocent a
dû être condamné et emprisonné pendant
des années avant que les Juifs français
réalisent que les valeurs de la
République Française de liberté, égalité
et fraternité ne les incluaient pas, et
qu'en tant que citoyens, ils avaient un
statut de seconde classe. Cependant,
l’affaire Dreyfus a permis aux Juifs de
France et d'Europe de prendre conscience
de la nécessité de revendiquer
agressivement la dignité et l'égalité
des droits en tant que citoyens, et de
ne pas hésiter à exiger leur droit en
tant que peuple. L'affaire Dreyfus a
également été un événement
transformateur dans l'histoire de la
communauté juive européenne car elle a
convaincu de nombreux intellectuels
juifs de devenir conscients de leur
identité collective, de leur dignité et
de leur solidarité avant de pouvoir
espérer obtenir des droits égaux en tant
que citoyens.
L'affaire
Ramadan a cruellement dévoilé
l’impuissance et la fragilité politique
des musulmans dans toute l'Europe. Il
est légitime de se demander si les
musulmans ont conscience de ce terrible
constat et ce qu’il faudrait faire le
cas échéant. Je dois dire que je ne peux
pas résister à la pensée plutôt sombre
qu'un peuple qui ne reconnaît pas
l'importance de soutenir ses plus
brillants penseurs quand ils sont
injustement traités et privés de droits
fondamentaux, aura du mal à gagner le
respect en tant que peuple.
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