Russie politics
Nouvelles sanctions américaines et
la nécessaire clarification idéologique
en Russie
Karine Bechet-Golovko
Mardi 25 juillet 2017
Le Congrès
américain entend légiférer sur les
sanctions contre la Russie, la plaçant
au même titre que la Corée du Nord ou
l'Iran dans la liste des dangers
premiers pour les Etats Unis, et
limitant ainsi la possibilité pour Trump
de négocier en tête à tête avec son
homologue russe. Pourtant, Trump
est-il réellement opposé à reprendre le
contrôle du marché énergétique européen
et à affaiblir son concurrent russe?
Ou comment les sanctions américaines
servent deux buts: économique, tout
d'abord, avec le marché énergétique
européen et géopolitique, ensuite, par
la dissociation de l'oligarchie
énergétique russe de la politique
internationale menée par le Kremlin.
Dans les deux cas, la Maison Blanche
applaudit. Le Congrès va être
amené à se prononcer jeudi sur la
nouvelle mouture du projet de loi sur
les sanctions à prendre contre la
Russie, l'Iran et la Corée du Nord. Les
explications
avancées sont toujours les mêmes:
soutien des "séparatistes" en Ukraine,
interférence dans les élections
américaines ou encore omnipotence des
hackers russes. Sur les 10 raisons
avancées par les autortés américaines, 5
concernent directement ou indirectement
la Russie ... et les intérêts du marché
américain, comme cela est clairement
indiqué.
Ces
sanctions doivent concerner tous les
partenaires de la Russie dans le domaine
énergétique, c'est-à-dire l'Allemagne en
particulier et l'Europe en général. D'où
la réaction inquiète de la
Commission européenne qui intime aux
Etats Unis de coordonner avec elle la
politique des sanctions contre la
Russie, la construction de Nord Stream 2
est dans le collimateur et la question
énergétique est très importante pour
l'Europe. Evidemment, aucune réponse
Outre-Atlantique n'est tombée.
La communication de
la Maison Blanche autour de ce projet de
loi reste assez flou. D'un côté,
Scarramucci annonce que Trump va
réfléchir, puisque rien de démontre
l'intervention de la Russie pour les
hackers. Mais, S. Sanders, elle, selon
CNN, annonce que la Maison Blanche
est satisfaite de ce projet de loi, dont
la qualité rédactionnelle et juridique a
été largment améliorée et sera donc
prête à le soutenir.
Et en effet,
pourquoi D. Trump ne devrait pas
soutenir ce projet de loi?
D'un côté, en
attaquant dans le domaine énergétique,
il tente de "libérer" l'Europe contre
elle-même et contre ses intérêts, ce qui
finalement n'est que la tradition
américaine, de "l'oligarchie énergétique
russe". Au passage, les Etats Unis
cherchent à vendre leur gaz de
schiste, beaucoup plus cher que le
gaz russe et économiquement invendable
sans motivation idéologique.
D'un autre côté, il
peut tenter d'affaiblir la Russie de
l'intérieur en tapant sur le point
sensible, celui de l'oligarchie. Certes,
le "patriotisme économique" a été
décrété, mais la confusion des genres
est bien le point faible du système
russe. La confusion de l'économique
et du politique est telle, que,
effectivement, la politique
internationale menée par la Russie,
impliquant une souveraineté réelle du
pays, se trouve confrontée aux
contraintes de la politique intérieure
de plus en plus orientée vers le
néolibéralisme et le culte du marché
tout puissant, rejetant donc l'Etat et
l'intérêt général au second plan.
Le projet de loi de
sanctions, en mettant en avant la
question sensible de ce lien
"pouvoir/business d'Etat privatisé",
sous l'angle de la corruption des grands
oligarques, de leurs liens inévitables
avec l'Etat et en les menaçant de
sanctions lorsqu'ils utilisent le dollar
(et ils utilisent tous les dollars, à
titre privé comme professionnel),
cherche justement à provoquer une
rupture, un schisme, dans le système
politique russe qui se trouve balancer
entre deux conceptions de l'Etat et du
pouvoir incompatibles.
D'une manière
générale, pourquoi s'en priver, puisque
récemment aucune mesure en réponse n'a
été adoptée. Les enchères montent. Les
Etats Unis cherchent à savoir jusqu'où
ils peuvent aller. Pour l'instant, assez
loin. Et cette hésitation en Russie
dans la réponse à apporter est aussi le
résultat de ce conflit idéologique
interne, qui commence à paralyser le
pouvoir sur les grands dossiers, tant
qu'une décision au sommet n'a pas été
prise.
Comme les
sanctions sectorielles ont obligé la
Russie a positivement restructurer son
économie, à la diversifier, à ne
plus penser que la richesse subitement
acquise grâce au gaz et au pétrole la
dispense de redévelopper une véritable
industrie et de relancer l'agriculture
puisqu'elle peut acheter tout ce dont
elle a besoin à l'étranger, ce projet
de loi, s'il est adopté, va obliger la
Russie à recomposer son champ politique,
à clarifier sa base idéologique. Ce
qui ne peut que la renforcer à long
terme.
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