Russie politics
JO: Les purges du CIO contre la
Russie
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 25 janvier 2018
Sans même plus recourir au prétexte du
dopage, le CIO a décapité le sport russe
en enlevant 111 noms de la liste des 500
sportifs ayant accepté les conditions
déjà humiliantes de participer sans
drapeau et sans hymne national, sans
aucune référence à leur pays. Pourtant,
manifestement, cette humiliation n'a pas
été suffisante, le CIO va encore plus
loin et veut "purger" la Russie
d'elle-même, de toutes ses têtes
médaillées, pour faire place neuve à une
"nouvelle génération", celle qui
manifestement n'a aucune chance de
médaille, une génération "globalisée". Pourtant, la
stratégie du CIO laisse songeur, car
elle est contre-productive à long terme:
au lieu de discréditer la Russie, il se
discrédite lui-même et les pays qui en
bénéficient, provoquant ainsi un sursaut
patriotique, post factum, chez
les sportifs russes définitivement
exclus. Signe de faiblesse intéressant
de la part de cette structure.
Les trois
stratégies du CIO
Lorsque le CIO
avait pris la décision de suspendre le
Comité olympique russe et d'interdire
tout signe national russe, sa stratégie
semblait plutôt simple ... et avait
finalement fonctionné. En
interdisant l'équipe nationale russe, il
s'agissait alors de provoquer une
rupture dans la société, en montrant la
toute relativité du patriotisme des
grands sportifs, ayant tous plus
ou moins rapidement, et avec la
bénédiction des instances politiques et
sportives, décidés d'accepter les
conditions humiliantes conduisant à nier
le drapeau et l'hymne, qui devaient
rester bien cachés au fond du cœur.
La réaction de la
société avait été assez violente sur les
réseaux sociaux, les "simples" gens ne
comprenant pas pourquoi le patriotisme
tant valorisé habituellement pouvait
être si facilement écarté, selon les
circonstances (voir
notre texte ici au sujet de la décision
du CIO). Dans cette logique, le CIO
devait laisser venir un maximum de
grands sportifs russes, tout en
encadrant au maximum la parole et
l'image, pour montrer à tous la très
grande relativité des valeurs
patriotiques si souvent accolées à la
Russie.
De son côté, la
Russie a mis en place un discours
médiatique recréant une nouvelle réalité,
visant à "normaliser" cette réalité,
permettant presque d'oublier qu'il n'y a
pas d'équipe russe aux JO, mais des
sportifs "indépendants", indépendants de
leur pays. Cette réalité virtuelle du
tout va bien, on va bientôt aller aux
JO, qui seront montrés évidemment sur
les chaînes nationales et l'on verra nos
stars, n'a finalement pas été du goût
des organisateurs de cette vendetta
olympique. Et ils ont été poussés à la
faute.
La deuxième
solution, qui a été alors
écartée, aurait été à l'inverse d'accepter
la participation de l'équipe russe au
nom du pays, mais purgée de ses têtes
médaillées et couronnables,
permettant ainsi de développer
l'argument selon lequel, sans dopage, la
Russie ne peut réaliser les scores de
Sotchi.
Finalement, c'est
la troisième solution qui
a été retenue, la plus faible, la moins
rationnelle et la plus émotive: si
drapeau, ni couronnes. Ce qui
constitue une erreur stratégique du CIO.
Ni drapeau, ni
couronne ... ni légitimité pour le CIO
Le CIO vient encore
de changer de trajectoire et
refuse une
centaine de sportifs russes sur la
liste des 500 ayant demandé à
participer. Il s'agit
essentiellement de ceux ayant participé
à Sotchi et des sportifs ayant une
chance de médaille. Pourtant, le dopage
ou la liste McLaren ne semblent
finalement pas être le fondement de la
décision.
Tout d'abord, le
ciblage des têtes couronnées est
expliqué de manière très spécieuse par
la responsable de la commission
évidemment indépendante qui a opéré
la sélection. Valérie Fourneyron a
ainsi, mélangeant preuves, suspicion et
politique, déclaré:
"En examinant
soigneusement toutes les preuves
à disposition, nous voulions être
absolument certains qu'il n'y ait pas le
moindre doute ni la moindre suspicion
à propos de l'un des athlètes qui
seront invités."
Pour ajouter
ensuite:
«Si un athlète
ne figure pas sur la liste des athlètes
invités, cela ne signifie pas
nécessairement qu'il s'est dopé.»
Bref, le dopage n'y
est pour rien. Peut-être la liste
McLaren alors? Mais
non, non plus, comme il est possible
de le lire dans la presse sportive:
Pendant ce temps
les Russes partis représenter la Corée,
Lapshin et Frolina, cités dans le
rapport McLaren pour le premier nommé,
ne sont pas inquiétés et seront présents
à PyeongChang. Tout va bien...
La "purge" des
sportifs russes
En effet, le dopage
n'y est pour rien. Car la
technique mise en place est celle des
purges, que l'on appelle
"lustration" dans les pays de l'Est.
Elles sont employées dans
l'administration d'Etat et la justice,
sous le slogan de lutte contre la
corruption, pour mettre à l'écart les
personnes idéologiquement incompatibles
avec le nouveau régime, dit
démocratique, puisque ces purges sont
conduites sous le contrôle et l'égide
des organismes internationaux. Des "purges
démocratiques". Ici, il s'agit et de
corruption - pour affirmer faute
de démontrer le dopage d'Etat, et de
dopage pour servir de fondement à la
purge des athlètes. Les JO purgés
de la Russie, les fédérations purgées
des athlètes russes.
Comme l'affirme
parfaitement le journal
Le Monde, qui a compris l'essentiel:
Il s'agit
bien de "créer" une nouvelle génération.
Et pour être certain qu'elle sera bien
"nouvelle", les invitations seront
envoyées au dernier moment, ce qui
enlèvera tout recours possible. Les
droits de la défense, quelle importance?
Les limites de
la stratégie post-moderne du zig-zag
Ces virements et
revirements sont particulièrement
instructifs de la stratégie menée par le
CIO. Le monde actuel ne permet
plus le conflit ouvert, assumé,
car il ne peut l'intégrer et le digérer:
un conflit ouvert signifierait que ce
modèle idéologique puisse être contesté,
donc qu'il soit contestable. Il ne
serait alors plus global.
Par ailleurs, un
conflit assumé est un conflit qui se
règle, avec un gagnant et un perdant.
Or, en n'assumant pas le conflit, cela
permet de ne pas le régler et l'on reste
dans la théorie du chaos. Ce mélange des
genres entraîne toutefois certaines
conséquences.
Les conflits ne
peuvent donc être fondamentaux, ils ne
peuvent qu'être situatifs. Et pour
qu'ils restent à ce niveau, il est
nécessaire de ne pas permettre au
conflit de durer trop longtemps sur la
même ligne, d'où les changements
perpétuels de stratégie locale.
Pourtant, cette
stratégie que l'on pourrait appeler du
"zig-zag" est perdante pour
l'institution qui la mène, en
l'occurrence le CIO. Et ce, à plusieurs
niveaux.
Dans les milieux
sportifs, des questions finissent quand
même par se poser devant l'absence de
justification et le caractère très
sélectif de la purge. Ainsi,
Fourcade ne comprenant pas pourquoi
il y a une responsabilité collective et
pourquoi tous les sportifs ne sont pas
soumis aux mêmes règles:
De la même manière
certaines
fédérations internationales, celles
de biathlon (où 14 des 18 sportifs
russes ont été écartés) et de ski, ont
demandé des explications au CIO, puisque
la décision a été prononcée sans aucun
argument concret concernant les sportifs
victimes des purges.
Par ailleurs
certains
journaux sportifs, spécialisés dans
les sports d'hiver, moins connus mais
aussi moins politisés, sont
manifestement sous le choc de ce qu'ils
appellent un scandale qui va porter
atteinte à la crédibilité des instances
olympiques.
Ou
encore:
Interrogé ce 24
janvier par RT
France, le président de la
Fédération française des sports de glace
(FFSG) Didier Gailhaguet s'est dit gêné
par les «donneurs de leçons
nord-américains». «Je n'oublie pas quand
même quelle est la patrie de Lance
Armstrong [...] qui aujourd'hui
s'acharne sur un seul pays», a-t-il
souligné, faisant référence à
l'importance du dopage dans l'athlétisme
américain. «Il n'y a pas que des
sportifs tricheurs en Russie», a-t-il
ironisé, ajoutant : «Et ceux qui n'ont
pas triché doivent avoir le droit de
participer»
L'autre effet est
le sursaut national des sportifs
écartés, qui finalement jouent à nouveau
la carte collective. Ainsi:
la star du ski de
fond Sergueï Oustiougov a regretté sur
Instagram la décision du CIO, se disant
déçu par le mouvement olympique. «La vie
ne s'arrête pas aux JO. Il y aura
d'autres compétitions où nous vaincrons»
La Russie a à
nouveau les cartes en main pour
retourner la situation à son avantage,
puisque le comportement des instances
olympiques est irrationnel. Ces
instances ont à la fois peur du scandale
et du conflit direct, et prennent des
décisions dictées par le ressentiment,
des décisions viscérales. Comme en ce
qui concerne l'interdiction du drapeau
russe, même dans les tribunes. Jusqu'au
dernier moment ils peuvent écarter les
sportifs russes pour une raison, pour
une autre, ou sans raison. Car il
leur faut une "nouvelle" génération, une
génération globalisée, dopée à l'ITech
et à la tolérance, sans drapeau et sans
pays, une génération de citoyens du
monde qui s'assume en tant que telle.
Ils doivent créer le précédent.
PS: Vu dans la
presse anglo-saxonne le 21 janvier:
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