Russie politics
Dénonciation de l'accord sur le Ciel
ouvert :
les Etats-Unis attendent des concessions
stratégiques de la Russie
Karine Bechet-Golovko
Samedi 23 mai 2020
Trump a annoncé le retrait des
Etats-Unis de l'accord international sur
le Ciel ouvert, entré en vigueur en
2002, permettant aux 34 pays
signataires, essentiellement membres de
l'OTAN, de survoler l'espace aérien de
ces pays, afin de vérifier qu'ils ne
sortent pas de leurs obligations
internationales en matière militaire.
Officiellement, il s'agit d'un "outil
de confiance", réellement d'un "outil
de renseignement". Or, justement,
les Etats-Unis reprochent finalement à
la Russie de ne pas leur permettre de
pleinement rentabiliser cet instrument,
qui perd alors de son intérêt et auquel
ils annoncent renoncer, surtout si
elle-même ose l'utiliser. Mais la
dénonciation n'est pas immédiate, afin
de garder du temps pour tenter de
conduire la Russie à fire des
concessions stratégiques. Bref, les
Etats-Unis font monter les enchères, car
ils estiment que la situation
géopolitique n'est plus celle issue de
la Guerre froide, à chaque Etat
prétendant être un acteur de défendre
son titre. Le Traité sur le
Ciel ouvert est entré en vigueur en 2002
et compte 34 signataires qui, outre les
Etats-Unis, le Canada, la Turquie et le
Kirghizistan sont essentiellement les
pays européens, et la Russie. Il permet
le survol des territoires des pays
membres, avec certaines restrictions
(notamment une bande de non-survol de 10
km à la frontière) pour vérifier les
mouvements militaires et les
infrastructures militaires. Cette idée
n'est pourtant pas nouvelle, elle avait
été proposée dans le milieu des années
50 (après la mort de Staline) par les
Etats-Unis, mais refusée par
Khrouchtchev, qui y avait, à juste
titre, vu une tentative d'espionnage.
L'on pourrait même dire de
légalisation de l'espionnage. Bush,
en 1989, quand l'URSS est en pleine
"ouverture", relance l'idée, qui sera
alors circonscrite aux pays de l'OTAN,
mais ne sera réellement formalisée qu'en
2002, lorsque la Russie de Poutine et
les Etats-Unis parviennent à cet accord.
Il semblerait donc que ce Traité
sur le Ciel ouvert n'ait pris tout son
sens qu'avec l'entrée de la Russie et
donc l'accès à son espace aérien,
surtout que les tentatives historiques
de le faire passer coïncident avec des
périodes de l'histoire politique russe
considérées comme zones de transition,
donc de faiblesse.
Maintenant, les
Etats-Unis disent vouloir se retirer,
car la Russie ne remplirait pas ses
obligations. Il faut dire qu'elle a
été obligée de bloquer le survol de la
région de Kaliningrad, tous les moyens
étaient bons aux "amis-partenaires" de
la Russie pour prendre des
renseignements sur cette région qui leur
reste en travers de la gorge, même
l'utilisation de l'aviation civile et
commerciale. De la même manière, la
Russie, s'appuyant sur les normes du
traité interdisant le survol sur une
bande de 10 km à la frontière, interdit
de se rapprocher de l'Abkhazie et de
l'Ossétie du Sud. Récemment, elle a dû
refuser le survol des exercices
militaires pendant la phase chaude pour
raison de sécurité. La Russie n'aurait
ainsi pas respecté le quota de survol.
Ce sont ces éléments qui lui sont
reprochés par les Etats-Unis, autant que
d'utiliser le traité pour recueillir des
informations sur les infrastructures
militaires des Etats-Unis et des pays de
l'OTAN. Autrement dit, il est
reproché à la Russie d'utiliser le
traité de la manière que les pays de
l'OTAN, dans son intérêt, ce qui
manifestement n'était pas prévu.
La dénonciation ne
sera officialisée par les Etats-Unis que
le 22 mai et ne prendra effet que 6 mois
plus tard, ce qui laisse le temps de la
négociation. La Russie de son côté a
déclaré ne pas vouloir sortir du traité
et espérer que les autres pays membres
ne partageront pas les informations
recueillies avec les Etats-Unis.
Soit, mais c'est un peu surprenant car
ce sont des pays membres de l'OTAN.
Donc, même si par une plus qu'étrange et
subite volonté des pays membres du Clan
atlantiste de ne pas coopérer avec les
Etats-Unis (une sorte de poussée
incontrôlée de souverainisme),
concrètement, comment devraient alors se
dérouler les discussions à l'OTAN:
lorsqu'il s'agit de la Russie, les
Etats-Unis doivent sortir de la salle ?
Assez peu réaliste. Bref, si la
Russie reste dans le traité alors que
les Etats-Unis en sortent, elle offrira
ses informations, perdant celles
concernant l'espace aérien américain,
qui lui sera fermé. Et l'on peut être
certain que, dans ce sens, les
"amis-partenaires" ne partageront pas
les informations.
Mais il n'est pas
certain que les Etats-Unis finalement
sortent. Ils veulent surtout renégocier
un traité qui leur soit plus favorable
en matière de renseignement sur le sol
russe. Et
Trump l'a exprimé très clairement :
"Donald Trump
n'a pas fermé la porte à une
renégociation de ce traité signé par 35
pays. "Je pense que ce qui va se passer,
c'est que nous allons nous retirer et
ils vont revenir et demander à négocier
un accord", a-t-il dit. "Nous avons
eu de très bonnes relations récemment
avec la Russie"."
Il faut dire
que cette volonté de négocier envers et
contre tout est déjà visible en ce qui
concerne la prolongation du traité
Start III sur la réduction
des armes nucléaires entre la Russie et
les Etats-Unis, où la Russie faute de ne
pouvoir négocier un autre traité propose
de le reconduire pour 5 ans - silence
américain. C'est la même chose
avec la question du développement des
systèmes américains de défense
antimissiles NMD : la Russie a
demandé, pour la énième fois, de ne pas
les développer, car elle considère ces
modifications des systèmes comme un
danger pour elle. La réponse du
représentant spécial de Donald Trump
pour le contrôle de l'armement, le
Marshall Billingslea fut singlante :
"Le Président
Donald Trump a clairement laissé
entendre qu'il n'envisage aucune
limitation dans le développement du
système NMD (...). Pour autant, la
Russie est un pays indépendant et
Riabkov (vice-directeur du MAE) a
précisé lors de notre discussion qu'il
allait soulever la question des NMD et
d'autres questions. C'est pourquoi je
suis certain que nous allons en
discuter. Mais il me semble que les
Russes doivent faire des propositions
incroyables, je n'imagine même pas
lesquelles et si c'est possible, pour
que le Président change d'avis sur cette
question."
Manifestement, le
jeu américain est totalement décalé par
rapport à la diplomatie classique
développée par la Russie, prise pour de
la faiblesse. Trump développe une
tactique de négociations agressives, qui
conduisent ses adversaires à faire plus
de concessions qu'ils n'en feraient en
temps normal. "ils vont revenir et
demander à négocier un accord",
l'attente en réponse n'est pas une
erreur, surtout lorsque l'action ne
conduit pas au résultat recherché.
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